Intervention de David Azéma

Réunion du jeudi 8 février 2018 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

David Azéma, ancien directeur général de l'Agence des participations de l'État :

Ou plus exactement Aérospatiale, qui n'aurait pas pu créer Airbus à elle seule. C'est d'ailleurs un cas intéressant : on a dû transformer Airbus, qui était à l'origine un programme de coopération internationale, car il ne tenait pas dans la durée, faute d'alignement en matière de gouvernance – j'ai vécu exactement le même problème à Eurostar. On est alors passé d'une coopération autour d'un produit à une société commune fabriquant ce même produit, ce qui nous a obligés à négocier et à faire des compromis. Dans le deal qui a permis de créer EADS à l'époque où Dominique Strauss-Kahn était ministre, il n'était pas question pour les Allemands que l'entreprise soit sous domination publique. C'est la négociation sur la gouvernance d'Airbus, à laquelle j'ai participé dans le cadre de l'APE, qui a fait rentrer du capital allemand et a ainsi augmenté le niveau du capital public.

Dans l'univers où nous vivons, les schémas à 100 % publics sont assez compliqués – et je ne parle pas toutes les complexités qui pourraient voir le jour du côté de Bruxelles. Le jour où une entité publique à 100 % veut procéder à une augmentation de capital dans une entreprise concurrentielle comme Alstom, il faut qu'elle fasse passer toutes ses augmentations de capital en aides d'État auprès de la Commission européenne : je lui souhaite bien du plaisir pour le pilotage !

Dans un autre univers politique que celui où nous vivons, cela pourrait éventuellement se faire, mais je ferai juste remarquer que la gestion bureaucratique des entreprises, ça ne marche pas toujours très bien – on peut le regretter ou pas, selon le point de vue philosophique auquel on se réfère, mais c'est comme ça. Peut-être existe-t-il une pierre philosophale pour que ça marche, mais personne ne l'a encore trouvée ! Je vous ai dit tout à l'heure que je ne croyais absolument pas aux vertus de la privatisation dans ce domaine et qu'il fallait donc faire preuve d'intelligence pour la gouvernance – mais dans le domaine des chemins de fer français, qui sont aujourd'hui publics à 100 %, je ne crois pas qu'on ait trouvé comment être efficace. Croyez-moi, il faut être modeste face à ces questions-là, qui sont très compliquées.

Vous m'avez demandé si, en tant que dirigeant d'Alstom, Patrick Kron avait eu Bank of America Merrill Lynch comme conseil : la réponse est oui. Pour ma part, j'avais annoncé que je quitterais l'APE dans une interview aux Échos datant de mars ou avril. J'étais à la recherche d'un nouveau poste et j'étais en discussion avec plusieurs employeurs potentiels, qui ne pouvaient pas être ceux dont je venais précédemment : il était donc exclu que je retrouve du travail au sein du groupe SNCF, ni même au sein de la plupart des groupes industriels dans lesquels j'avais une vague compétence, qui se trouvaient tous sur la liste des interdictions. Je me suis donc tourné vers le secteur des fusions-acquisitions, ce qui correspond un peu au métier que j'ai pratiqué précédemment au sein de corporates, et j'ai eu plusieurs offres, dont celle de Bank of America – les autres venaient de « boutiques », c'est-à-dire de petites entités comme celle où je me trouve aujourd'hui, qui ne font que des fusions-acquisitions. Me dirigeant vers un métier que je ne connaissais pas, j'ai choisi d'aller vers une grande société, où je verrais de l'intérieur ce que c'est ; c'était un passage nécessaire à mes yeux. J'ai donc engagé des discussions avec des gens de chez Bank of America, qui ne m'ont évidemment jamais dit qu'ils étaient conseil d'Alstom : c'est seulement quelques jours après la fuite que je l'ai découvert.

Je vous rappelle qu'à ce moment, j'étais en train de faire mes bagages et de me préparer à prendre deux mois et demi de quasi-congés avant de passer à autre chose. Je suis reparti au combat, si je puis dire, à la demande du ministre et de son cabinet et, dès que j'ai eu l'information, je suis évidemment allé voir les deux cabinets pour leur dire : « Normalement, je dois partir chez Bank of America, mais si c'est un problème, je pose le crayon, j'arrête tout de suite ». Sans doute s'est-il écoulé un petit délai, car je me souviens avoir eu le temps de prévenir aussi Joe Kaeser, le patron de Siemens, ainsi que le patron japonais de Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et, bien sûr, Patrick Kron – car il aurait pu décider de se passer du conseil de Bank of America, puisqu'ils sont aussi du côté de l'État, au moins virtuellement. J'ai été totalement transparent : ma position était connue de toutes les parties et il a été jugé par mes autorités que cela ne posait pas de problème d'incompatibilité.

J'en viens à la dernière question, qui est de savoir si les conditions fixées dans l'accord ont été entièrement respectées.

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