Je partage le sentiment de beaucoup d'entre nous : le XXIe siècle sera un siècle de migrations, si l'on considère les changements climatiques auxquels seront confrontés les continents, dont viennent déjà la plupart des migrants, et la croissance démographique, aussi bien en Afrique qu'en Asie. On sait que le nombre d'Africains doublera d'ici à 2050 et qu'il pourrait être multiplié de nouveau par deux d'ici à la fin du siècle.
Je voudrais m'arrêter sur les chiffres, dont vous avez dit vous-même que l'on pouvait leur faire dire beaucoup de choses. On affirme que l'on a dépassé en France les 100 000 nouvelles demandes d'asile en 2017. Qu'en est-il exactement ? Certaines ONG affirment que ce sont 73 689 premières demandes d'asile qui ont été déposées auprès de l'OFPRA en 2017, le reste étant constitué de dossiers concernant des demandes en réexamen ou des mineurs accompagnant leurs parents – seuls les adultes peuvent déposer une demande.
Toutes les statistiques récapitulatives de ces trente dernières années prennent pour comparaison les premières demandes donnant lieu à l'ouverture d'un dossier à l'OFPRA. Si l'on compare ces 73 689 premières demandes d'asile déposées en 2017 avec les 61 422 demandes déposées en 1989, on constate une hausse, mais ce n'est pas l'explosion dont on parle aujourd'hui.
Dernier point, vous avez expliqué qu'il fallait traiter les causes profondes de l'émigration. Il se trouve que, en marge du déplacement du Président de la République en Afrique, j'ai eu l'occasion de recueillir le témoignage bouleversant de deux jeunes Ivoiriens qui avaient tenté l'aventure. Elle s'est arrêtée en Méditerranée pour le premier et dans un cachot libyen où l'avaient jeté des esclavagistes pour le second. Ce que vous avez dit est assez juste, il s'agit dans ces deux cas, et comme souvent, de jeunes issus, en quelque sorte, de la classe moyenne. Je ne suis pas certain que l'aide au développement, que je défends par ailleurs en tant que rapporteur pour avis, soit forcément une réponse. Les recherches le montrent : si l'aide au développement augmente le revenu moyen dans les pays de départ, il n'est pas sûr qu'elle ne constitue pas un encouragement à l'émigration.
Joachim Son-Forget. Merci pour vos propos, monsieur l'ambassadeur. Ma question porte sur la relation entre migration et aide au développement, celle-ci étant censée combattre les causes profondes du départ – pauvreté, manque de perspectives, conflits et leurs conséquences. Ce mécanisme hypothétique, quoique intuitif, n'est pas toujours corroboré par les observations empiriques et certaines études suggèrent qu'une faible part de l'aide au développement, au niveau mondial, est susceptible d'affecter les causes premières de la migration.
Par ailleurs, d'après les travaux de Michael Clemens du Center for Global Development, il existerait une relation non linéaire entre niveau de développement et migration. L'émigration représentant un coût, ce n'est pas dans les niveaux de développement les plus faibles qu'elle est la plus forte. Les taux de migration tendent à augmenter avec le niveau de richesse puis diminuent à nouveau à partir d'un PIB per capita de 6 000 à 8 000 dollars.
J'ai pu le constater lors d'un déplacement récent au Nigeria. Les ressortissants nigérians qui ont été rapatriés de Libye ne venaient pas du bassin du lac Tchad, parmi les peuples plus agraires et les plus pauvres, mais de Benin City. Il convient donc de s'interroger sur les motivations de ces personnes, qui rêvent d'un Occident merveilleux, mais qui ne sont pas les plus pauvres.
Ma question est la suivante : comment articuler efficacement notre politique de développement et notre politique migratoire ? Comment insister sur la nécessité d'assister les pays dans leur transition d'économie intermédiaire, lorsque la tentation migratoire est la plus forte, vers un niveau de développement mature, grâce auquel les gens auraient envie de rester ?