Intervention de Laurence Dumont

Réunion du mercredi 31 janvier 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Dumont, rapporteure :

L'accord international sur lequel je suis chargée de rapporter a en lui-même une portée modeste, mais il concerne une question importante, la politique aérienne extérieure de l'Union européenne.

Pour présenter cet accord, il faut faire un petit rappel historique. Jusque dans les années 1990, les relations aériennes transatlantiques étaient régies par des accords interétatiques entre les États-Unis et les pays européens, par lesquels les signataires accordaient mutuellement des droits de trafic à leurs compagnies aériennes respectives. Au début des années 2000, la Commission européenne a revendiqué une compétence communautaire exclusive pour passer ce genre d'accords. En 2002, la Cour de justice des communautés européennes, sans donner raison à la Commission sur ce point, a jugé que plusieurs des accords interétatiques qui existaient alors étaient contraires au droit européen. En conséquence, les États-membres ont décidé de communautariser cette politique et un accord dit « ciel ouvert » a été passé entre l'Union européenne et les États-Unis en 2007, puis amendé en 2010.

Cet accord « ciel ouvert » vise principalement à libéraliser, sous diverses restrictions, le trafic aérien transatlantique, mais traite aussi de nombreuses autres questions : liberté tarifaire, possibilité de partager des vols entre compagnies, présence commerciale sur le territoire du partenaire, possibilité de louer des avions avec leur équipage, environnement, dimension sociale, etc.

L'accord que nous examinons aujourd'hui, qui remonte à 2011, a un objet beaucoup plus limité : il vise uniquement à étendre ce système de ciel ouvert euro-américain à deux nouveaux partenaires, l'Islande et la Norvège. C'est ce que dit l'article 2 de cet accord, selon lequel le système de ciel ouvert s'appliquera à l'Islande et à la Norvège « comme si ces pays étaient des États membres de l'Union européenne, de sorte que [ces pays] ont tous les droits et obligations des États membres » prévus dans l'accord de 2007. Le reste du dispositif qui nous est soumis peut sembler un peu long, mais il s'agit uniquement de mesures de conséquence et de coordination concernant notamment la rédaction d'annexes de l'accord ciel ouvert de 2007.

La principale conséquence du présent accord sera donc d'autoriser formellement les compagnies aériennes des États-membres à proposer librement des vols entre l'Islande ou la Norvège et les États-Unis et réciproquement les compagnies aériennes de ces deux pays à proposer des vols entre des aéroports de l'Union et les États-Unis.

L'impact de l'accord, tant économique que social ou environnemental, si l'on pense aux conséquences du développement du trafic aérien, devrait toutefois être limité pour plusieurs raisons.

D'abord, le poids démographique et partant économique des deux nouveaux adhérents du « ciel ouvert » euro-américain est modeste : la Norvège a un peu plus de 5 millions d'habitants et l'Islande 330 000, alors que l'ensemble Union européenne-États-Unis en compte plus de 830 millions.

Ensuite, ces nouveaux adhérents, membres de l'Espace économique européen, appliquent déjà l'ensemble de la réglementation européenne afférente au secteur du transport aérien et, plus généralement, ont des standards sociaux et environnementaux élevés.

Enfin, leurs compagnies aériennes n'ont pas attendu le présent accord pour investir le marché euro-américain quand elles le souhaitaient. Norwegian, entreprise leader sur le marché des vols long-courrier à bas-coûts, a ainsi contourné l'obstacle en créant des filiales dans l'Union européenne, en Irlande et au Royaume-Uni, filiales qui lui ont permis d'obtenir la licence européenne de transporteur aérien et de développer un réseau de liaisons transatlantiques au départ de plusieurs États-membres. En France, par exemple, Norwegian a implanté en 2016 une base à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle pour desservir quatre destinations aux États-Unis, auxquelles trois autres devraient s'ajouter dès l'été de cette année.

Dans l'autre sens, le présent accord ouvre en principe des opportunités aux compagnies de l'Union européenne pour développer des vols entre les États-Unis et l'Islande ou la Norvège, mais il n'est pas très probable qu'elles se précipitent sur ce marché au regard de sa petite taille et de la solidité des compagnies locales déjà présentes.

Les groupes de la France insoumise et de la Gauche démocrate et républicaine ont demandé à ce que ce texte fasse l'objet d'un débat en séance publique.

Je le comprends, car la politique aérienne extérieure de l'Union européenne présente des enjeux importants et il est légitime d'en débattre. Il y a dans ce domaine un certain activisme de la Commission européenne qui a obtenu des mandats pour ouvrir des négociations avec de nombreux pays ou d'autres organisations régionales comme l'ASEAN. Nous devons absolument aller vers une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans les accords de libéralisation qui seront passés. Je rappelle que, selon les sources, le transport aérien représente entre 2 % et 5 % des émissions globales de gaz à effet de serre et que cette part est sans doute amenée à augmenter.

Pour autant, il faut aussi savoir reconnaître le rôle positif déjà joué à cet égard par l'Union européenne. C'est l'Union qui a, la première, cherché à intégrer le transport aérien international dans son système de droits carbone. Elle y a renoncé face au tollé international qui en a résulté, mais cela a permis d'avancer à l'Organisation internationale de l'aviation civile (l'OACI) et un système général de compensation des augmentations d'émissions de gaz à effet de serre devrait être mis en place progressivement à partir de 2020. Je tempère tout de suite cette présentation optimiste en précisant que ce dispositif n'envisage pas une réduction des émissions, mais prend seulement en compte leur niveau de 2020, et sera d'abord appliqué sur la base du volontariat. Ce n'est donc qu'un premier pas, mais il a été permis par l'action des Européens.

On pourrait aussi évoquer la question de la transmission des données personnelles des passagers, le fameux PNR. Là-aussi, l'Europe a refréné les prétentions américaines. Mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui car le PNR n'est pas traité dans l'accord « ciel ouvert », mais dans un accord spécifique avec les États-Unis.

Bref, je comprends que certains souhaitent un débat sur ces questions. Mais, pour revenir au présent accord, il ne représente qu'un tout petit élément de la politique aérienne de l'Union et son impact propre sera selon toute vraisemblance faible, voire minime. Je pense donc que nous pouvons sans crainte adopter le présent projet de loi, qui ne mérite ni enthousiasme ni réticence excessifs.

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