Intervention de Fabien Roussel

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 9h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Roussel, rapporteur :

Chers collègues, je vous invite tout d'abord à regarder une courte publicité. (Est projeté sur écran un spot publicitaire.)

Je voulais vous montrer comment il est possible de créer des sociétés offshore en quelques clics et en quelques minutes. Ces entreprises, ces établissements, ces institutions financières ont pignon sur rue, y compris dans les États membres de l'Union européenne. Bureaux virtuels, directeurs désignés, etc. : c'est une véritable délinquance en col blanc organisée.

La lutte contre l'évasion et la fraude fiscales progresse en France, en Europe et dans le monde, mais les paradis fiscaux ont la peau dure. L'actualité nous en donne un exemple avec la succession de Johnny Hallyday. Les entreprises qui gèrent son patrimoine ont des ramifications au Luxembourg, en Suisse et dans les îles Vierges britanniques. Johnny est au paradis, c'est bien, mais son patrimoine aussi, et c'est moins bien... Excusez-moi mais, quand on parle du patrimoine culturel français, nous voyons quels peuvent en être les limites, car le patrimoine financier, lui, a tendance à s'échapper, et à s'évader. Nous devons nous attaquer à ces scandales qui éclatent tous les jours.

Les conséquences de l'évasion et de la fraude fiscales sont terribles pour nos finances publiques. Tout d'abord, les pertes de recettes fiscales importantes qui en résultent limitent les marges de manoeuvre des États, notamment du nôtre. Ensuite, l'évasion fiscale siphonne les revenus des pays en voie de développement. Enfin, l'évasion fiscale provoque indirectement la hausse des impôts auxquels sont soumis le monde du travail et les salariés les plus modestes. Enfin, elle décrédibilise l'impôt : certains doivent le payer rubis sur l'ongle, voient parfois même leurs contributions augmenter aujourd'hui en France, tandis que de grandes multinationales et de grandes fortunes peuvent échapper à l'impôt. Allez expliquer aux retraités qui voient la contribution sociale généralisée (CSG) augmenter qu'eux vont devoir participer à l'effort de redressement de la France tandis que des multinationales et de grandes fortunes peuvent défiscaliser leurs bénéfices et revenus grâce à des sociétés offshore ! L'évasion et la fraude fiscale représentent 1 000 milliards d'euros de pertes fiscales pour l'Union européenne par an, 60 à 80 milliards d'euros de pertes annuelles pour la France. Un quart des bénéfices des plus grandes banques européennes sont déclarés dans les paradis fiscaux. Quant à la stabilité financière mondiale, Enron et Madoff, par exemple, ont recouru aux paradis fiscaux. Voyez ce que cela a donné !

Et, comme l'ont souligné les économistes, les organisations non gouvernementales (ONG) et les banques que nous avons auditionnés, les paradis fiscaux, c'est aussi le blanchiment d'argent sale. C'est par les paradis fiscaux et les banques qui y sont établies que transite l'argent sale, l'argent du terrorisme, du trafic d'armes, du trafic d'êtres humains, du trafic d'organes, chaque année au moins 1 500 milliards de dollars.

Vous voyez bien l'enjeu, chers collègues : il s'agit de s'attaquer à un véritable fléau. La lutte contre les paradis fiscaux a déjà progressé, sous la pression d'ONG, de parlementaires en Europe comme en France. Des mesures de transparence ont été prises, dans le cadre de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et du Forum mondial. Le plan Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) a été mis en oeuvre par l'OCDE pour lutter contre les pratiques d'érosion des bases fiscales et de transfert de bénéfices. Et puis il y a aussi le projet de « COP fiscale », qui consiste à réunir une conférence mondiale sur l'harmonisation fiscale, à l'image de la COP environnementale. Notre assemblée a adopté l'an dernier une résolution en ce sens, à l'instigation d'Alain Bocquet, à qui je succède dans sa circonscription du Nord, et le Parlement européen a repris l'idée dans le cadre d'un rapport remis il y a quelques jours sur les Paradise Papers. L'Union européenne appelle donc elle aussi à la création d'une COP fiscale pour lutter contre l'évasion et pour une harmonisation fiscales.

Une dernière avancée de ces dernières années est la création de listes noires de paradis fiscaux, qui seraient, si l'on fait la synthèse de toutes ces listes, au nombre d'une centaine dans le monde. Pour éviter de se retrouver sur la liste noire de paradis fiscaux de l'Union européenne, il faut essentiellement respecter trois critères : la transparence, critère le plus classique ; l'équité fiscale ; l'adhésion aux mesures internationalement reconnues contre l'optimisation fiscale agressive – objet du plan BEPS. Las, cette liste prévoit plusieurs exemptions et a fait l'objet de négociations diplomatiques. Du coup, elle est loin d'être complète et perd en crédibilité. Y figurent : les îles Samoa, les Samoa américaines, Bahreïn, les îles Marshall, la Namibie, l'archipel des Palaos, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago, Guam. Il devrait y avoir dans cette liste une trentaine d'autres États, mais ils figurent actuellement sur une liste « grise » – il s'agit pour eux de se conformer aux différents critères de l'Union européenne. Nous verrons dans un an ce que cela donnera, mais aujourd'hui les principaux paradis fiscaux sont dans la liste grise. Par ailleurs, sont exclus d'office de la liste les pays de l'Union européenne qui ont des pratiques d'optimisation fiscale qui ne respectent pas les critères édictés par l'Union elle-même.

Et puis il y a la liste française, qui date de 2016 et comporte sept États : Brunei, Nauru, Niue, le Panama, les îles Marshall, le Guatemala et le Botswana.

Les critères retenus sont très faibles. La France ne considère que la transparence ; l'Union européenne à des critères plus stricts et plus exigeants. En revanche, l'arsenal juridique français contre les paradis fiscaux et ceux qui y transfèrent leurs bénéfices est dissuasif. Nous avons donc une bonne législation de ce point de vue, mais, en raison de critères qui manquent de pertinence, elle s'applique à une liste trop courte.

Avec cette proposition de loi, nous essayons de reprendre les critères de l'Union européenne pour établir une liste sincère de paradis fiscaux et leur appliquer les sanctions dissuasives déjà prévues par notre législation. Nous proposons également la tenue, au début de chaque année, à l'Assemblée nationale et au Sénat, d'une discussion afin d'évaluer cette liste noire des paradis fiscaux et, si nécessaire, de réévaluer les critères en fonction de l'évolution des législations dans les différents pays. Il faut que cela devienne une affaire citoyenne et démocratique, que les Français puissent assister à ces débats en toute transparence et que le Parlement soit associé aux décisions. Ce qui pénalise beaucoup la lutte contre les paradis fiscaux, c'est l'opacité, le manque de transparence sur l'élaboration de ces listes et les mesures qui peuvent être prises. Un débat au Parlement, en lien avec le ministère des affaires étrangères, dans le cadre de nos commissions des finances et des affaires étrangères, permettrait une discussion transparente avec nos concitoyens.

À l'article 2, nous proposons une sanction dissuasive susceptible d'être infligée aux banques : interdire l'activité bancaire dans ces paradis fiscaux, si c'est pour avoir une pratique d'optimisation fiscale. On nous a avertis du fait que ce n'est pas précisé dans le texte proposé, dont la formulation contrevient à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'installation des entreprises. Nous avons entendu cette remarque. Les banques doivent pouvoir avoir une activité bancaire et commerciale normale dans des États ou territoires non coopératifs (ETNC) ; en revanche, il ne serait pas admissible qu'elles s'installent dans ces États pour y réaliser des schémas d'optimisation fiscale et contribuer à l'évasion fiscale. Par un amendement que je présenterai, nous précisons qu'il ne s'agit pas pour nous de contrevenir à la liberté d'entreprendre des banques.

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