Intervention de Général Jean-Pierre Bosser

Réunion du mardi 13 février 2018 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Je citerais aussi Françoise Dumas. Mesdames, Messieurs, votre visite a été particulièrement appréciée. Nos soldats ont beaucoup de chance de vous voir. Les soldats de ma génération voyaient rarement les élus et avaient parfois l'impression d'être un peu isolés. En tout état de cause, vous avez pu rencontrer des soldats tels que l'on vous les dépeint, c'est-à-dire courageux, rigoureux et talentueux. Pour que vous appréhendiez au mieux la réalité des enjeux auxquels nous faisons face, les portes de l'armée de terre vous sont toujours ouvertes, que vous soyez seul ou en groupe.

Cette audition revêt une importance toute particulière, j'en suis parfaitement conscient. Elle prend place à un moment et dans un contexte singuliers qui placent chacun de nous devant ses responsabilités. Ce projet de loi de programmation militaire engage l'avenir ; il fixe un cap, une distance et je dirais même un tempo : 2019, 2021, 2023 et 2025. Mon objectif, ce soir, est de vous donner mon appréciation de ce texte qui est soumis à votre examen.

Ma présentation se déroulera en trois parties. Je vais partir de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, qui constitue le cadre de la construction de la LPM. Ensuite, je vais vous dire en quoi ce texte répond aux grandes attentes de l'armée de terre : cette LPM, à hauteur d'homme et de haute technologie, frappe en plein centre de notre cible. Enfin, je vais partager avec vous mon appréciation des enjeux que revêtent la préparation de l'entrée en LPM et son exécution.

Commençons par la Revue stratégique. Elle a exprimé un constat clair : le monde est plus imprévisible, plus instable, plus armé. Face à une mutation de la conflictualité qui se déploie dans tous les domaines et sur tout le spectre des menaces, l'armée de terre est présente. Elle fait face à des menaces conventionnelles, hybrides et irrégulières, que ce soit sur le territoire national ou à l'extérieur, notamment sur l'arc de crise qui va de l'Afrique subsaharienne au Levant, ainsi qu'en Europe dans les mesures de réassurance.

La Revue stratégique a logiquement conclu à la nécessité d'une remontée en puissance de l'outil militaire pour atteindre un modèle complet et équilibré. Elle entérinait une hiérarchie de nos buts stratégiques et de nos intérêts, par cercles concentriques et en partant du territoire national. Elle insistait sur l'interaction et l'interdépendance des cinq grandes fonctions stratégiques, articulant étroitement la prévention, l'intervention et la protection en lien avec la dissuasion.

Elle recommande également l'inscription des opérations militaires dans le cadre d'une approche globale, rappelée par le président de la République lors de sa visite à Niamey. Nous nous inscrivons parfaitement dans cette approche : pressions internationales, mode de gouvernance, intervention, formation et reconstruction. En ce qui concerne le mode de gouvernance, je citerais par exemple dans le cas du Sahel notre participation à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et à la mission d'entraînement de l'Union européenne au Mali (EUTM). En matière d'intervention, nous avons le dispositif de l'échelon national d'urgence (ENU) et l'opération Barkhane. S'agissant de la formation, nous sommes en train de développer notre partenariat militaire opérationnel, notamment en direction de la force conjointe du G5 Sahel. Enfin, en matière d'aide à la reconstruction, nous déployons des actions civilo-militaires depuis de nombreuses années. Force est de constater que peu de pays européens disposent d'une armée ayant les mêmes savoir-faire que notre armée de terre dans l'ensemble de ces domaines concourant à l'approche globale.

La Revue stratégique affirme enfin une ambition industrielle et technologique forte dans laquelle l'armée de terre a toute sa place. Souvent considérée comme peu technologique par le passé, l'armée de terre s'implique aujourd'hui dans le maintien de l'excellence industrielle française, notamment au travers du programme Scorpion (Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l'infovalorisation). Cela vous explique ma volonté de me rapprocher de la direction générale de l'armement (DGA) et des industriels, et de faire équipe à trois dans le cadre de la LPM. Lors de l'édition 2018 du salon Eurosatory, je souhaite d'ailleurs qu'avec le DGA et le président du GICAT, nous puissions nous exprimer ensemble sur le thème de l'innovation à hauteur d'homme.

De façon cohérente avec l'ensemble de ces conclusions, on peut dire que le projet de LPM décline pour 2030 une ambition d'un modèle d'armée complet, équilibré, durable et surtout soutenable. Nous aurons ainsi la capacité d'assurer, dans la durée, un socle fondamental de capacités de défense autour des cinq fonctions stratégiques. Nous aurons également la garantie d'une autonomie stratégique qui s'inscrit désormais dans la consolidation d'une autonomie stratégique européenne.

Pour l'armée de terre, le contrat 2030 est très clair : être capable d'engager, en gestion de crise, dans la durée et simultanément sur trois théâtres d'opération, l'équivalent d'une brigade à plusieurs groupements tactiques interarmes (GTIA) ; être capable de déployer, dans une opération majeure de coercition, une capacité de commandement de niveau corps d'armée ainsi que les moyens organiques permettant d'assumer la responsabilité de nation-cadre – sachez à ce sujet que, l'an dernier, le corps de réaction rapide-France a été certifié par l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) – ; les moyens organiques de niveau divisionnaire et jusqu'à deux brigades représentant environ 15 000 hommes, mettant en oeuvre près d'un millier de véhicules de combat, soixante-quatre hélicoptères et quarante-huit camions équipés d'un système d'artillerie (CAESAr). Ajoutons à cela la capacité de réaction immédiate : 5 000 hommes en alerte ; enfin 7 000 hommes pour la protection du territoire, un nombre qui peut être porté à 10 000 avec le renforcement des forces déjà déployées.

Cette LPM traduit budgétairement l'ambition présidentielle telle qu'elle était comprise en début de construction. Vous connaissez les chiffres mieux que moi mais je voudrais souligner quelques points qui me paraissent saillants pour l'armée de terre. Le président de la République a fixé une ambition, un cap sans ambiguïté : porter le budget de la défense à 2 % du PIB d'ici 2025, objectif qui fera l'objet d'une réévaluation en 2021. Cette dynamique permet d'apporter de la lisibilité et de la profondeur à nos industriels et de leur donner envie d'investir. Nous assistons donc à une inversion de tendance historique. Ma génération n'a connu que la déflation et la déconstruction, et depuis plus de vingt ans mes prédécesseurs n'ont cessé de relever le différentiel entre l'ambition et les moyens. Pour la première fois, nous voyons ces deux lignes se rapprocher, et nous sommes désormais sur une trajectoire de remontée en puissance. Il faut préciser que la notion de durée est importante parce que cette remontée en puissance ne sera pas une affaire de trois ou cinq ans mais elle demandera beaucoup plus de temps. Le fait par ailleurs que le projet de LPM soit fondé sur des crédits budgétaires et ne prévoit pas de financement par des ressources exceptionnelles permet aux états-majors de mieux construire leur budget. Nous pouvons ainsi espérer une meilleure sincérité des comptes.

J'en déduis trois conclusions. Premièrement, il nous appartient maintenant de rapprocher intelligemment les moyens des ambitions. Deuxièmement, cette LPM s'inscrit dans la durée et donne un horizon à tous pour s'engager dans les différentes « boîtes » sur lesquelles je vais revenir. Troisièmement, vous avez devant vous un chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT) heureux : après avoir densifié la force opérationnelle terrestre (FOT) à 77 000 hommes, j'amorce, avec responsabilité et exigence, un renouveau pour l'armée de terre. Ce renouveau est très net et conforme à l'idée maîtresse que j'avais fixée ici l'an dernier : les équipements doivent désormais rattraper les effectifs.

J'en viens à ma vision de la LPM, qui selon moi atteint le coeur de cible de l'armée de terre, et aux différentes « boîtes » que j'ai évoquées : une LPM à hauteur d'homme ; une LPM de réparation ; une LPM de modernisationaccélération ; une LPM d'innovation.

Nous sommes sortis des constructions traditionnelles de LPM autour de grands programmes d'armement qu'on annonçait fièrement : tant de bâtiments de premier rang, tant d'avions, tant de chars. Avec cette liste à la Prévert, on pensait avoir un modèle d'armée répondant aux enjeux stratégiques. Plus thématique, l'approche actuelle va nous permettre de relancer l'action d'une façon que je vais vous décrire.

Comment est-ce que j'analyse la LPM à hauteur d'homme ? Je conçois cette ambition comme un escalier en colimaçon ou comme une spirale. Vous mettez le soldat au centre. Vous lui donnez une tenue militaire : un treillis à sa taille, des chaussures à sa pointure, un gilet de protection moderne. Puis vous lui donnez une arme et des équipements qui lui donnent une supériorité sur l'ennemi, avec lesquels il pourra agir, communiquer et observer dans tous les milieux, de jour comme de nuit. Vous lui donnez un véhicule qui le protège pour se déplacer. Vous lui donnez ensuite un environnement : un service de santé qui lui permettra d'être évacué et d'être soigné en cas de blessure, un soutien de proximité qui répond à ses besoins et à ses attentes, etc. Vous voyez ainsi se dessiner cette sorte de colimaçon dont je vous parlais, qui s'enroule autour du soldat. Si on va jusqu'au bout, on peut associer sa famille – comme vous le savez, c'est une préoccupation majeure de la ministre – et les infrastructures : infrastructures de vie courante, infrastructures opérationnelles pour l'entraînement, infrastructures techniques pour les matériels comme Scorpion, ou encore infrastructures liées au patrimoine.

Dans cette « boîte » extrêmement large que constitue donc la LPM à hauteur d'homme, on devrait donc trouver nos treillis F3 pour être mieux protégé, nos structures modulaires balistiques (SMB) qui sont des gilets de protection. Je ne reviens pas sur les chiffres que vous a donnés la ministre mais nous pourrons discuter de leur fléchage au moment des questions. Dans cette boîte, je trouve aussi le paquet protection, avec les casques balistiques de nouvelle génération, les ensembles intempéries ou d'autres équipements individuels du combattant. Souvenez-vous des problèmes de chaussures dans l'Adrar des Ifoghas lors de l'opération Serval en 2013, ou encore des problèmes de moustiquaires pendant l'opération Sangaris en République de Centrafrique en 2014. Les petits équipements d'environnement font aussi partie de cette famille : l'armement individuel, le pistolet, les télécommunications, l'optronique, les équipements NRBC comme le masque à gaz, etc.

Dans la boîte « LPM à hauteur d'homme », on peut ajouter des aspects liés à la condition du personnel et à la rémunération des militaires. La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) entre dans cette boîte, même si son financement n'interviendra qu'à compter de 2021. Cette partie indiciaire et indemnitaire est importante. Elle doit s'inscrire dans une logique d'équité avec la fonction publique – sujet qui revient régulièrement dans les tables rondes avec le personnel. Elle doit aussi permettre de garantir l'attractivité du service des armes pour fidéliser les compétences dans des métiers de plus en plus rares exercés par des personnels qui peuvent être débauchés par des entreprises civiles. Elle doit enfin permettre de trouver un juste équilibre entre les obligations et sujétions acceptées par nos soldats, et leur rémunération.

Passons à la « boîte » suivante qui est celle des réparations. Elle est beaucoup plus fléchée par armée car elle résulte d'une analyse des niveaux critiques que vous avez pu observer dans le domaine des équipements, de l'entraînement, de l'infrastructure ou du soutien. Face aux menaces émergentes, cette notion de « réparation » doit aussi s'inscrire dans un investissement d'avenir. Le terme réparation ne veut pas dire qu'il faut systématiquement racheter ou régénérer de vieux matériels pour combler les manques ou amener un segment – le segment médian, par exemple – au niveau. Nous avons donc calibré très précisément nos besoins. Dans le domaine de la réparation, l'armée de terre fera un effort en matière d'appui feu sol-sol avec les trente-deux canons CAESAr, qui nous manquent cruellement à un moment où nos canons sont soumis à rude épreuve dans l'opération Chammal. Ces canons devraient être livrés d'ici à 2025, et notre artillerie restera de premier rang.

Nous avons également prévu des moyens de coordination des interventions dans la troisième dimension avec cinq radars Ground Master 60 (GM60) qui seront livrés d'ici à 2025. Ces radars permettront de garantir la défense sol-air d'accompagnement des troupes au contact et la coordination de la manoeuvre aéroterrestre au sol et près du sol.

Phénomène majeur pour l'armée de terre, le projet de LPM vise à renforcer l'entretien programmé des matériels (EPM), ce qui est finalement notre garantie en matière de préparation opérationnelle. Nous introduisons une caractéristique totalement nouvelle : comme les autres armées, l'armée de terre a souhaité présenter des normes d'entraînement par type de matériel, afin d'assurer un niveau de préparation suffisant avant d'engager nos hommes en opérations. Nous considérons, par exemple, qu'un équipage de char Leclerc doit faire 115 heures de pratique dans l'année, que ce soit sur le territoire national ou en opération, afin de pouvoir être engagé de façon raisonnable et de remplir sa mission tout en étant protégé.

Nous avons ainsi fixé la norme à 130 heures par an pour le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), à 100 heures par an pour l'AMX-10 RC et le futur Jaguar, à 1 100 kilomètres par an pour le véhicule de l'avant blindé (VAB) et le futur Griffon, à 110 coups d'artillerie par an pour le CAESAr. Nous allons adopter une norme de 200 heures de vol pour tous les pilotes d'hélicoptère (hors forces spéciales), une norme identique d'ailleurs à celle de l'armée de l'air et de la marine nationale.

La troisième « boîte » est celle de la modernisation. En la matière, l'armée de terre affiche une ambition réelle, accentuée par l'accélération du remplacement du segment des véhicules blindés médians, et notamment des VAB. La moitié des véhicules du programme Scorpion devrait ainsi être livrée en 2025, alors que la LPM précédente n'en prévoyait que le tiers. De plus, les cibles sont augmentées : le nombre de Jaguar passe de 248 à 300, et le nombre de véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon de 1 722 à 1 872. Hier à Roanne, la ministre a d'ailleurs annoncé la notification du contrat concernant les VBMR légers, dont le nombre livré en 2025 a été porté de 400 à 489. À l'horizon de 2025, nous devrions aussi avoir 93 000 fusils d'assaut HK416, en remplacement du FAMAS.

Plusieurs autres programmes s'inscrivent dans le cadre de cette modernisation accélérée : la suite du programme Scorpion, les véhicules blindés d'aide à l'engagement (VBAE), le système de franchissement léger (SYFRAL), le module d'appui au contact (MAC), le mortier embarqué pour l'appui au contact (MEPAC), le véhicule léger tactique polyvalent protégé (VLTP-P), pour lequel nous avons déjà des orientations, voient leurs études accélérées pour anticiper si possible leurs livraisons.

En matière de renseignement, le système de drones tactiques intérimaires (SDTI) va être remplacé par le Patroller. Le projet de LPM prévoit que d'ici 2025, les trois premiers systèmes de drone tactique (SDT) seront livrés et qu'une commande pour équiper l'armée de terre à hauteur de cinq systèmes à l'horizon 2030 sera réalisée. Nous voudrions donc disposer de cinq systèmes et vingt-huit drones tactiques de ce type en 2030.

La modernisation de notre flotte tactique et logistique se traduira par l'initialisation du remplacement des poids lourds de l'armée de terre, dont le GBC180, par une nouvelle gamme de camions de quatre à six tonnes.

La modernisation concerne également le maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos matériels, qui se fera dans le cadre du plan MCO-terre 2025. Ce plan propose une claire distinction entre la maintenance opérationnelle et la maintenance industrielle, et au sein de cette dernière un équilibre choisi et maîtrisé entre la maintenance réalisée en étatique et la maintenance réalisée par l'industrie privée au travers de nouveaux contrats de soutien plus performants.

Enfin, la quatrième « boîte » est celle de l'innovation. Elle constitue un axe fort de la LPM. Elle répond au besoin d'investir dans l'avenir et de faire face aux menaces de demain. Dans cette catégorie, l'armée de terre inclut le futur char de combat qui devrait se faire en coopération avec nos amis allemands, des programmes de recherche et de développement dans des domaines tels que l'énergie solaire ou les mules de transport sans pilote, des achats sur étagère effectués en boucles courtes au travers du Battle Lab Terre, et la transformation numérique. Ce dernier sujet, sur lequel vous allez travailler, nous paraît être un enjeu central de l'innovation. Nous considérons que si nous n'aurons jamais les moyens de toucher numériquement chacun de nos soldats par le réseau « réglementaire », c'est-à-dire par Intradef, nous pouvons cependant les toucher via leur téléphone portable ou des appareils équivalents qui sont notamment utilisés de façon très performante par la gendarmerie.

J'en viens à ma troisième partie, c'est-à-dire ma vision du « jour d'après ». Cette LPM nous oblige. Souvent dans le passé, en ayant l'impression de gagner des batailles stratégiques, nous avons perdu des batailles tactiques. Nous devons donc préparer l'entrée en LPM si nous voulons réussir le « jour d'après ». Tel est le message que j'ai fait passer à l'armée de terre. Je viens de réunir une partie de l'état-major pour évoquer ce jour d'après. Je considère que nous devons nous mettre en ordre de bataille pour concrétiser toutes ces avancées que nos hommes considéreront comme un progrès à condition qu'ils puissent constater la réalité physique de cette remontée en puissance.

Pour cela, nous allons nous appuyer sur des travaux déjà réalisés et qui donnent le cap. Ainsi, l'armée de terre dispose d'un nouveau modèle « Au contact ! » qui devrait être finalisé au cours de l'été. Parmi les sujets qui n'ont pas encore été traités, je peux vous citer l'aguerrissement, la cynotechnie – nous n'avons pas assez développé l'appui que peuvent apporter les chiens – ou encore la troisième dimension. Comment articuler l'artillerie sol-air, les drones et les hélicoptères ? Actuellement, tout cela navigue dans un monde extrêmement contraint. Nous devons réfléchir à la manière de les regrouper et de les positionner dans le modèle « Au contact ! ».

De même, nous devons mieux organiser et mieux tirer parti du renseignement de niveau tactique, le renseignement de terrain. Au cours de nos opérations, nous avons pris l'habitude de travailler avec du renseignement fourni par des capteurs très perfectionnés et nous avons peut-être sous-évalué l'intérêt du renseignement tactique. Moi-même, en créant le pilier renseignement de l'armée de terre, j'ai vu une partie de mes hommes formés s'en aller vers le haut, vers les services de renseignement, par exemple vers la direction du renseignement militaire (DRM) pour travailler dans le renseignement de niveau stratégique. Mais en habillant Paul, on a un peu déshabillé Pierre. Le renseignement tactique, c'est un vrai métier : entrer dans un village, demander qui est venu s'approvisionner sur le marché la semaine dernière, etc. C'est intéressant. Ces informations peuvent améliorer le renseignement fourni par ailleurs grâce à d'autres capteurs.

Par ailleurs, je voudrais insister ici sur le commandement puisque l'armée de terre est d'abord une armée d'hommes au sein de laquelle le commandement revêt une place essentielle. L'an dernier, nous avons toiletté un document intitulé L'Exercice du commandement dans l'armée de terre, dont la précédente édition datait du début de la professionnalisation il y a vingt ans. Dans deux mois, nous allons produire une nouvelle édition d'un document intitulé L'Exercice du métier des armes, fondements et principes, qui traitera du cadre éthique et déontologique dans lequel s'inscrit le combat du futur. Outre les questions morales éternelles que pose l'emploi de la force armée, ce document abordera des thématiques nouvelles comme les questions éthiques liées à l'emploi des robots. Il ouvrira donc des portes extrêmement intéressantes.

Quelle est ma vision de la période des douze mois d'entrée en LPM ? Nous avons un cap, une distance, un tempo. Il faudra gérer la temporalité. À l'image de ce que nous avons vécu lors de la remontée en puissance des effectifs de la FOT à 77 000 hommes, nous allons connaître un inévitable temps de latence. C'est le délai qui s'écoule entre le moment où l'on appuie sur l'accélérateur et celui où le véhicule prend de la vitesse,. Il pourrait alors se produire un effet de ciseaux entre des effets d'annonce puissants et la réalité des effets physiques de l'argent investi. C'est pourquoi j'ai demandé à l'état-major de faire des propositions pour que certains projets viennent rapidement combler les attentes des soldats. Mais il nous faudra aussi établir des priorités et ne pas promettre à nos hommes qu'ils auront tout, tout de suite. Les chefs militaires devront expliquer et assumer ces priorités. Ils devront dire que les changements se produiront dans un délai de cinq à dix ans, et en fonction de telle ou telle priorité.

Nous associerons nos partenaires – notamment la DGA et les industriels – à la gestion de cette temporalité, en veillant ensemble au respect des objectifs fixés. Nous nous sommes battus pour convaincre tout le monde qu'il était nécessaire et indispensable d'accélérer le programme Scorpion. 50 % des véhicules de la gamme Scorpion devraient avoir été livrés en 2025. Autant dire qu'il ne faut pas s'endormir et se réveiller en 2024 pour se rendre compte que nous ne sommes pas en mesure de répondre à la question posée ! Pour moi, le « jour d'après » démarre aujourd'hui.

Pendant cette période de transition, il nous faut également améliorer l'adaptation réactive de nos forces. Ce sont des boucles courtes. Il n'est pas normal que l'ennemi, en face de nous, puisse acquérir des matériels avec des boucles douze fois plus courtes que les nôtres.

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