Cette initiative pour le transport routier est la première des trois annoncées au printemps dernier par la Commissaire européenne aux transports, Mme Violeta Bulc. Outre ce paquet Mobilité I, un « paquet Mobilité propre », ou « paquet Mobilité II », a été publié le 8 novembre. Les textes restants paraîtront vraisemblablement au printemps 2018.
Pourquoi prendre position ? Parce que le cadre juridique applicable au transport routier est complexe et dépassé, avec un fractionnement réglementaire accentué par les disparités économiques et sociales au sein de l'Union européenne. Cette situation a pour conséquence un transfert géographique de l'activité de transport routier de marchandises (TRM) vers les acteurs établis hors du coeur géographique de l'Union européenne – phénomène qui va en s'accentuant.
Les États membres ne sont pas d'accord sur les politiques européennes qu'il convient de mener dans ce secteur. Depuis plusieurs années, ils expriment leurs préoccupations d'une manière particulièrement clivée, se partageant entre les États situés à l'ouest de l'Union, mobilisés contre la libéralisation totale du cabotage et les dérives liées au détachement, et les États situés à l'est et au sud, qui privilégient la liberté de circulation. Le risque clairement identifié par le Président de la République dans son discours sur l'Europe, à la Sorbonne, le 26 septembre dernier, est que la « compétition sans règles [devienne] la division sans retour ».
Que notre commission, compétente en matière de transports, prenne position me semble encore plus indispensable aujourd'hui, pour rappeler ce que nous attendons de l'Union européenne : une harmonisation par le haut, non seulement des règles applicables aux volets « marché » et « social » du transport routier couverts par ce paquet, mais aussi des pratiques des États membres en matière de contrôle, en particulier l'obligation d'installation du tachygraphe intelligent sur l'ensemble de la flotte européenne, obligation dont la mise en oeuvre doit être accélérée.
Ce secteur est emblématique de l'Europe que nous voulons.
Je parle d'une Europe au sein de laquelle la Commission européenne reconnaît l'existence de déséquilibres dans le marché unique, déséquilibres que le marché à lui seul ne suffit pas à réguler. Telle est bien l'origine des initiatives sur le détachement « général » et sur le volet économique et social que l'on trouve dans ce paquet. En la matière, il faut saluer le rôle du président M. Juncker qui, poussé et soutenu par des États membres pugnaces, a su insuffler ce changement de cap.
Je parle d'une Europe où, par l'écoute et l'échange, et non par l'invective ou l'anathème, on obtient des résultats concrets pour nos concitoyens, quand et là où c'est nécessaire. C'est avec cette méthode que le Président de la République a réussi, alors que beaucoup pensaient qu'il allait échouer, en obtenant, d'abord, en juin, une renégociation de la directive détachement, puis un accord, en octobre dernier, et, enfin, une lex specialis qui régira le secteur routier.
J'en viens aux trois volets thématiques de ce paquet Mobilité.
Un volet est consacré aux aspects sociaux et à l'accès au marché. Il comporte la plupart des points durs de la négociation. J'ai pu le constater lors de déplacements en Roumanie et au Portugal, deux pays représentatifs du « bloc » avec lequel nous devons discuter. Je veux évoquer quatre enjeux de ce volet.
La question des règles liées au détachement constitue un premier enjeu. Dans la proposition de la Commission, le transport international routier (TIR) serait l'objet de règles spécifiques, avec un seuil de déclenchement de trois jours, apprécié mensuellement – en deçà duquel les règles relatives à la rémunération et aux congés payés du pays d'accueil ne s'appliqueraient pas. Le régime du détachement s'appliquera en revanche sans seuil spécifique pour le cabotage. Une déclaration de la Commission a levé l'ambiguïté sur le cas du transit : il ne donne pas lieu à l'application des règles du détachement, même si l'Allemagne y tient encore.
La négociation parallèle de la directive générale a ralenti les discussions au Conseil sous présidence estonienne. L'actuelle présidence bulgare semble avoir une vision très libérale, avec un seuil d'application non seulement triplé pour le TIR mais qui s'étend également au cabotage.
Des signaux négatifs ont été donnés au Parlement européen, au moins dans le rapport de Mme Merja Kyllönen – elle était absente lors de la réunion de la commission des transports du Parlement européen, le 23 janvier. Sans se prononcer sur le seuil numérique de déclenchement du régime du détachement pour le TIR, Mme Kyllönen a semblé d'ores et déjà en valider le principe. Elle a fait des propositions qui, si elles étaient acceptées, aboutiraient à une double inégalité de traitement : d'une part, entre les travailleurs détachés en fonction de leur secteur d'activité, et, d'autre part, entre les conducteurs routiers en fonction de la nature de la cargaison transportée ou de celle de leur employeur.
Ouvrir aussi largement les dérogations revient à détourner le principe accepté de l'application du détachement dans le secteur routier. Il est donc indispensable que l'Assemblée nationale apporte son soutien à l'opposition ferme exprimée par le Gouvernement.
La question du cabotage est un deuxième enjeu. En contrepartie d'un nombre illimité d'opérations de cabotage, la Commission européenne propose de réduire la période autorisée à cinq jours, au lieu de trois opérations sur une période de sept jours actuellement, et de l'étendre aux États limitrophes. Il s'agit, à mes yeux, à une libéralisation déguisée. Le cabotage remplit une fonction environnementale et économique dans l'intérêt de tous, c'est indéniable, et il faut donc le maintenir, mais l'ouverture proposée ne ferait que cannibaliser les marchés intérieurs des États membres situés géographiquement au coeur de l'Europe.
Le rapporteur du Parlement européen, M. Jens Nilsson, a choisi de limiter significativement les possibilités de cabotage notamment en réduisant la période autorisée à quarante-huit heures au maximum, tout en maintenant le déplafonnement du nombre d'opérations. Cette option a reçu un accueil « mitigé » au Parlement européen. Un tel déplafonnement s'oppose dans son essence même au principe selon lequel le cabotage n'est pas et ne doit pas s'apparenter à un mode opératoire ordinaire du transport routier.
La solution consiste, selon moi, à maintenir une limite au nombre d'opérations, à réduire la période autorisée, et, en même temps, à instaurer une période de carence entre deux périodes de cabotage. Cette période de carence fait partie des sujets de discussion abordés au Conseil. La présidence estonienne en a proposé le principe, et la présidence bulgare a entamé les discussions sur sa durée, en proposant de la fixer à deux jours seulement. C'est clairement insuffisant pour respecter à la fois la lettre et l'esprit du cabotage. Je vous propose donc d'appeler à fixer cette période de carence à trois semaines.
Un troisième enjeu se joue avec la question du repos hebdomadaire. Il est à craindre que l'interdiction claire, proposée par la Commission et affirmée par la Cour de Justice de l'Union européenne, le 20 décembre dernier, de la prise du repos normal en cabine, laisse la place à un compromis boiteux, avec une autorisation lorsque des installations appropriées etou des parkings sécurisés sont disponibles.
Pour moi, la discussion ouverte aujourd'hui au Conseil et au Parlement européen sur les critères des « zones appropriées » permettant le repos en cabine n'a pas lieu d'être, et je m'inquiète du signal ainsi donné.
À l'inverse, je me réjouis de la proposition de M. Wim van de Camp, rapporteur au Parlement européen, d'appliquer les règles en matière de temps de repos et de conduite à tous les véhicules effectuant du transport international, prenant ainsi en compte la part de plus en plus grande des véhicules utilitaires légers (VUL) dans cette activité.
J'en viens précisément à un quatrième et dernier enjeu : l'extension du champ de la réglementation aux véhicules utilitaires légers, les VUL. Il s'agit d'un sujet très important pour lequel le Premier ministre m'a nommé député en mission – je rendrai mon rapport à la mi-mars.
La Commission européenne prend enfin acte d'un phénomène aujourd'hui largement répandu, le transport de marchandises par des camionnettes et des minivans, qui ne sont soumis ni aux contraintes « statutaires » des transports par poids lourds – établissement, honorabilité, capacité financière et professionnelle –, ni même aux règles sur les temps de conduite et de repos. Outre la concurrence déloyale que cela implique, il faut souligner le risque en matière de sécurité routière, l'atteinte à la dignité des conducteurs – ils vivent et dorment dans des conditions qui ne sont pas acceptables –, et l'impact négatif en termes de pollution.
La Commission européenne fait des propositions, mais ces dernières sont modestes, puisqu'elle ne propose de soumettre ces VUL qu'à deux des quatre critères exigibles pour les poids lourds – en matière d'établissement et de capacité financière, dans une version amoindrie et adaptée à l'activité.
Pour ma part, j'estime, comme le Gouvernement, que le seul critère pertinent est celui de l'activité : tous les VUL impliqués dans des opérations de transport devraient être concernés dans la mesure où ils sont en concurrence avec les entreprises de transport utilisant des poids lourds. Il est par conséquent nécessaire de disposer de moyens de contrôle adéquats pour éviter le contournement des règles.
Le deuxième volet du paquet Mobilité concerne la simplification des procédures et le renforcement des contrôles, ainsi que leur numérisation.
Pour être efficaces, nous devons renforcer les règles et, en même temps, nous donner les moyens de les mettre en oeuvre et de les contrôler de façon effective. C'est un sujet dont m'ont beaucoup parlé mes interlocuteurs belges et français, mais aussi, en insistant sur la simplification et la numérisation, mes interlocuteurs roumains et portugais. Une convergence semble donc possible.
Les propositions de la Commission comportent en ce sens toute une série de propositions fortement soutenues par la France : nouvelles données obligatoires pour lutter contre les sociétés « boîtes aux lettres », modèle unique et dématérialisé pour les déclarations, relèvement des objectifs de contrôle en matière sociale et de cabotage assignés aux États membres, renforcement de la coopération en cas de saisine d'un État membre par une autorité de contrôle d'un autre État, et enregistrement des passages de frontières.
L'exigence réaffirmée de coopération loyale entre les États membres mérite d'être soulignée. À ce titre, il faut saluer l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) du 6 février dernier : en cas de fraude avérée, le tribunal d'un État membre peut laisser inappliqués, voire annuler, des certificats attestant de l'affiliation de travailleurs détachés à la sécurité sociale de leur pays de provenance si l'autorité émettrice ne procède pas dans un délai raisonnable au réexamen desdits certificats sur la base des éléments soumis par le pays d'accueil attestant la fraude.
La mise en place de l'Autorité européenne du travail, annoncée dans son discours sur l'état de l'Union européenne devant le Parlement européen par le président de la Commission, M. Juncker, en septembre 2017, afin de garantir que les règles de l'Union sur la mobilité de la main-d'oeuvre soient appliquées de façon juste, simple et efficace, se précise. Cette autorité sera dotée d'un volet mobilité qui ne se concentrera pas sur le seul détachement mais concernera toutes les questions de mobilité transfrontalière, y compris la lutte contre le travail non déclaré.
L'installation du tachygraphe intelligent constitue un enjeu majeur du paquet Mobilité I. La question posée est celle du délai de transition pour la flotte existante, sachant que la date-butoir est aujourd'hui fixée au 15 juin 2034. La proposition initiale de la Commission européenne était muette sur ce point, mais tant le Conseil que les trois rapporteurs du premier volet, Mme Merja Kyllönen, M. Jens Nilsson et M. Wim van de Camp, ont mis ce sujet sur la table. Ce dernier souhaite que cette date-butoir soit fixée au 2 janvier 2020, alors que la présidence bulgare semble préférer le 31 janvier 2028. La mise en place du tachygraphe intelligent doit être accélérée, suffisamment mais de manière réaliste. Dans la résolution, je vous propose en conséquence de retenir 2023 comme date limite.
J'en termine avec le troisième volet du paquet Mobilité, relatif à la tarification des infrastructures.
La Commission étend l'application du principe « utilisateur-payeur » à l'ensemble des véhicules à quatre roues. Elle supprime à terme la possibilité de choix entre un système de tarification à la distance ou à la durée. Elle renforce le panel d'outils d'intégration des externalités négatives dans le calcul de la tarification, et elle vise à remplacer la modulation des péages basés sur les classes EURO par un système fondé sur les émissions de CO2. Sur ce point, je souhaite réfléchir à un amendement en vue du passage en séance afin de prendre en compte de façon plus poussée les émissions polluantes en général.
Par ailleurs, la Commission permet aux États membres de réduire voire de supprimer les taxes sur les véhicules en plusieurs étapes – je pense à la taxe à l'essieu que la Cour des comptes a récemment qualifié d'archaïque.
Sur la question principale de la disparition programmée des systèmes de vignette, une divergence nette existe aussi entre les États membres, la Commission et la rapporteure du Parlement européen, Mme Revault d'Allonnes-Bonnefoy.
Lors du débat d'orientation dans le cadre du Conseil Transports du 5 décembre dernier, l'élargissement du champ d'application de la directive « Eurovignette » à l'ensemble des véhicules a rencontré une opposition nette d'une majorité des États membres. L'obligation de mettre fin au système de vignette est également très discutée, les États membres affichant leur préférence pour conserver la flexibilité nécessaire pour choisir le type de système convenant le mieux à leurs caractéristiques spécifiques.
De son côté, Mme Revault d'Allonnes-Bonnefoy entend aller beaucoup plus loin que ce qui est proposé par la Commission européenne, en défendant une tarification à la distance obligatoire, élargie et homogène, dans un délai plus rapide. En contrepartie, elle prévoit des mesures pour faciliter l'acceptabilité par toutes les parties prenantes du dispositif proposé.
Le poids du secteur du transport dans les émissions de gaz à effet de serre et les efforts à fournir pour respecter les engagements de l'Union européenne en application de l'Accord de Paris sur le climat nous obligent à agir.
Un cadre général est nécessaire, mais la diversité des situations des États membres exige une approche plus souple et proportionnée. Il convient donc de préserver, dans des conditions strictement définies, l'option de la tarification basée sur la durée.
Je partage en revanche l'opinion de notre collègue députée européenne sur l'impact positif, en termes d'acceptabilité sociale, de mécanismes d'affectation, au bénéfice des transports, des recettes ainsi générées, mais il convient une nouvelle fois de faire preuve de souplesse et de flexibilité pour ne pas aller à rencontre de l'objectif recherché.