Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 10h30
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du bureau du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), co-présidente du groupe de travail n° 1 du GIEC :

Notre intervention va porter sur l'état des connaissances vis-à-vis des relations entre les cyclones tropicaux et le réchauffement climatique, dans le cinquième rapport du GIEC ; les éléments scientifiques plus récents sur ces thématiques, sur la base d'une veille scientifique des publications récentes, en amont de la préparation de rapports ouvrant le sixième cycle du GIEC ; les connaissances des risques de changements irréversibles et abrupts au-delà de 2100, sur la base du cinquième rapport du GIEC ; le calendrier du sixième cycle d'évaluation du GIEC, entre aujourd'hui et 2022 ; les conséquences des retards dans les stratégies d'atténuation et d'adaptation, non pour les générations futures, mais pour les jeunes générations.

Nous n'aborderons ni les prévisions météorologiques, ni les aspects de vulnérabilité ou d'exposition aux aléas qui ne relèvent pas de l'expertise du groupe n° 1 du GIEC, sur les bases physiques du changement climatique. L'intervention d'Alexandre Magnan et de Virginie Duvat portera spécifiquement sur ces aspects. Nos collègues de Météo-France ont aussi abordé l'aspect de la prévision.

Le GIEC ne mène pas de recherches, mais évalue l'état des connaissances sur la base d'une analyse critique et collective des publications scientifiques. La qualité des rapports du GIEC tient à l'existence de plusieurs étapes de relecture critique par la communauté scientifique et les experts choisis par les gouvernements. Chaque conclusion est donc associée à une évaluation du niveau de confiance. Le GIEC comporte trois groupes de travail, sur les bases physiques, sur les impacts, la vulnérabilité et les options d'adaptation et sur les options d'atténuation.

Notre présentation sera centrée sur les connaissances de physique du climat, qui reposent sur les observations, l'étude et la compréhension des processus, mais aussi sur des approches théoriques fondées sur la modélisation. Au cours du temps, des progrès s'observent dans chacune de ces voies. Sur le sujet des cyclones tropicaux, nous nous situons aussi aux limites des connaissances.

Le cinquième rapport du GIEC comporte une évaluation de cet état des connaissances vis-à-vis de l'évolution des aléas liés aux cyclones tropicaux. Deux questions essentielles se posent : détecte-t-on des tendances sur plusieurs décennies, dans les caractéristiques des cyclones tropicaux, et sont-elles liées à l'influence humaine sur le climat ? Quels pourraient être les changements futurs des caractéristiques de ces cyclones tropicaux dans un climat plus chaud ? Cette évaluation a été conduite dans un rapport public spécial publié en 2012 sur les événements extrêmes, et dans le rapport sur les bases physiques du changement climatique, publié en 2013, sur la base d'articles scientifiques acceptés pour publication avant mars 2013, il y a cinq ans.

Je vais vous exposer les points clefs de ce cinquième rapport. Le niveau de confiance vis-à-vis de l'évolution des changements à long terme – à l'échelle du siècle – de l'activité des cyclones tropicaux reste faible en raison des limites des jeux d'observations disponibles sur le long terme. Cela dit, pour l'Atlantique nord, il est virtuellement certain que la fréquence et l'intensité des cyclones tropicaux les plus violents ont augmenté depuis les années 1970. Le niveau de confiance est faible pour ce qui est de l'attribution du changement de l'activité cyclonique tropicale à l'influence humaine. Cela provient des limites des observations disponibles, du manque de compréhension physique des relations entre, d'une part, les facteurs liés aux activités humaines qui agissent sur le climat, d'autre part, l'activité des cyclones tropicaux, et de divergences dans différentes études qui essaient de faire la part des choses entre la variabilité spontanée du climat, les facteurs naturels et les différents facteurs anthropiques qui peuvent agir. Ainsi, les cyclones de l'Atlantique du Nord peuvent être sensibles à l'augmentation de l'effet de serre, mais aussi à l'injection de particules dans l'atmosphère : il s'agit des aérosols, qui peuvent être soit d'origine naturelle – par exemple ceux qui proviennent des déserts africains – soit liés aux particules de pollution, dont les émissions ont fluctué aussi bien avant les années 1970 que depuis cette période.

Il est très probable que les rejets de gaz à effet de serre dus aux activités humaines ont contribué à l'augmentation de la température à la surface des mers dans les régions de formation des ouragans. Or, au cours des cinquante dernières années, une relation statistique a été identifiée entre la température de surface des mers – par exemple dans l'Atlantique – et des indicateurs d'activité, c'est-à-dire de puissance, des ouragans. Enfin, l'intensité potentielle des cyclones est liée tout particulièrement à la différence entre les températures à la surface de la mer localement et la moyenne des températures des mers tropicales : c'est ce qu'on appelle un indice régional ou un indice relatif de réchauffement. Cette différence de température devrait augmenter dans l'Atlantique nord au XXIe siècle.

Il y a une confiance moyenne dans le fait que la réduction de l'effet des aérosols sur l'Atlantique a pu contribuer, au moins partiellement, à une augmentation de l'activité cyclonique depuis les années 1970. Cependant, il n'était toujours pas possible dans le cinquième rapport du GIEC d'évaluer avec certitude si les changements récents d'activité cyclonique tropicale sont sortis ou non de la gamme de variations naturelles, quand on regarde les informations sur le temps long, en particulier les données historiques. À partir de la compréhension des processus et de la cohérence des projections climatiques – les travaux faits à l'aide de modèles de climat pour le XXIe siècle –, on peut dire qu'il est probable que la fréquence d'occurrence de cyclones tropicaux va soit diminuer, soit rester inchangée globalement, mais avec une augmentation probable – à un degré de confiance moyen – de la vitesse maximum des vents et de l'intensité des précipitations près du centre des cyclones : en d'autres termes, la fréquence des cyclones les plus intenses devrait augmenter.

La fiabilité de ces projections va dépendre de celle des modèles de climats à anticiper les changements de structures de température à la surface des mers et des modifications du phénomène El Niño dans un climat qui change. Il est possible qu'on ne détecte un signal significatif d'intensification des cyclones tropicaux que dans la seconde moitié de ce siècle. En effet, s'agissant d'événements rares par nature, une détection significative prendra probablement du temps par rapport à la variabilité spontanée du climat, qui se superpose à une tendance éventuelle.

Pour ce qui est de la possibilité d'une intensification des cyclones dans l'Atlantique nord pour les prochaines décennies, en réponse à une baisse de la charge en aérosols dans l'atmosphère – suite aux lois sur la qualité de l'air, par exemple –, le degré de confiance est faible.

Le cinquième rapport du GIEC a également abordé la question des événements de niveaux de mer extrêmes en soulignant qu'il est probable que leur intensité a augmenté depuis 1970 et qu'il est très probable que cette augmentation se poursuivra dans les décennies à venir, principalement à cause de la montée du niveau des mers – avec un niveau de confiance élevé sur ce point. Cela signifie que la fréquence des événements excédant un niveau de mer donné va augmenter d'un ordre de grandeur identique ou davantage dans certaines régions d'ici à la fin de ce siècle.

Pour ce qui est du deuxième volet, correspondant aux travaux les plus récents, je ne peux que vous exposer qu'une synthèse préliminaire et personnelle, qui n'a en aucun cas la valeur d'un travail d'évaluation collective. Les publications récentes montrent des progrès dans l'exploitation de multiples sources d'information, des travaux sur les archives naturelles pour connaître l'histoire passée des tempêtes sur un temps long, les sources historiques, la standardisation des jeux de données, les réanalyses atmosphériques, des progrès dans la compréhension théorique des processus, en particulier un cadre théorique reconnu et admis sur les conditions d'intensité potentielle maximale des cyclones. Enfin, il y a une nette amélioration de la simulation des conditions de formation des cyclones dans les modèles de climat – ce qui constitue une avancée remarquable de ces dernières années.

Une étude a détecté une augmentation significative depuis 1975 de la proportion de cyclones tropicaux de catégorie 4 et 5 au détriment des cyclones de faible intensité : on assiste donc à un changement dans les modes de cyclones de faible et de forte intensité. En 2016, Kevin J.E. Walsh et ses coauteurs ont fait paraître, dans la revue américaine WIREs Climate Change, un article confirmant qu'il n'y a pas de changement détecté de fréquence des cyclones, mais une augmentation significative de la proportion des cyclones les plus intenses, globalement et dans tous les bassins, sauf dans le nord-est du Pacifique.

Cette synthèse confirme l'augmentation d'intensité dans le bassin Atlantique, que j'avais mentionnée précédemment. Elle souligne également une forte variabilité sur plusieurs décennies dans cette région de l'Atlantique, qui peut résulter du changement d'aérosols – les particules atmosphériques – et qui est en lien avec la variabilité multi-décennale de la circulation de l'océan Atlantique.

En 2014 et 2016, les travaux d'une équipe américaine dirigée par J.P. Kossin ont montré un déplacement vers les pôles, au cours des trente dernières années, de la position du centre d'intensité maximale au cours de la durée de vie des cyclones, au rythme d'environ un degré de latitude par décennie. Ce constat est également lié aux problèmes de détection : on ne va pas forcément détecter l'intensification sur une zone donnée, parce qu'il faut intégrer le déplacement de ces lieux d'intensité maximale – vers le nord dans l'hémisphère nord, vers le sud dans l'hémisphère sud. Une relation systématique a été identifiée entre l'indicateur de température relative des mers et l'augmentation de la taille des cyclones tropicaux, qui joue aussi un rôle important dans les dommages potentiels.

En 2016, un rapport de l'Académie des sciences américaine sur l'attribution des événements extrêmes indiquait que la confiance dans la projection d'une augmentation de l'intensité des cyclones les plus violents est plus forte que les informations scientifiques sur les changements de fréquences. Plusieurs modèles de climat sont maintenant capables de produire une distribution correcte du nombre et de l'intensité des cyclones tropicaux pour le climat actuel, et certains aspects des relations avec le modèle ENSO (El Niño Southern Oscillation). Ce point est important également pour l'anticipation à l'échelle saisonnière en fonction des prévisions d'ENSO de l'activité cyclonique, mais il subsiste de grands écarts dans les projections, provenant de différences dans la projection des structures de grande échelle, de différences dans la physique des modèles de climats, de leur résolution – plus une résolution est fine, plus les modèles sont pertinents –, mais aussi des diagnostics réalisés pour détecter les cyclones. De nouvelles méthodes sont maintenant appliquées pour évaluer comment les caractéristiques d'un événement météorologique extrême sont altérées dans un climat plus chaud. Ainsi, une étude portant sur les pires cas de cyclones tropicaux a montré que l'onde de tempête à Tacloban – une ville des Philippines dévastée en 2013 par le supertyphon Haiyan – a pu être augmentée de 20 %.

Une étude du Centre européen de prévisions météorologiques a montré que les caractéristiques de vitesse des vents et d'intensité de pluie de l'ouragan Sandy, qui avait frappé New York en 2012, se sont trouvées augmentées du fait que la température de la mer sur la trajectoire de cette tempête était plus élevée que la température moyenne des décennies précédentes. Trois études américaines ont porté sur les pluies torrentielles associées à l'ouragan Harvey, qui a causé des dégâts considérables à Houston. Ces trois études, basées sur des méthodes différentes, convergent pour montrer que le réchauffement global a rendu un tel événement plus probable que dans un climat inchangé – typiquement, trois fois plus probable – et a renforcé l'intensité des pluies, qui ont pu être jusqu'à quinze fois plus intenses.

Les facteurs responsables des impacts intègrent la fréquence, l'intensité, mais aussi la taille et la vitesse de déplacement et, sur ces points, il est encore difficile d'avoir une confiance totale dans les éléments disponibles. La prise en compte de l'état de l'océan reste imparfaite, et plusieurs travaux, y compris français, ont montré l'importance de l'état de l'océan sous la surface, ainsi que de sa stratification, sur l'activité cyclonique, en particulier sur les cyclones de catégorie 5. Il existe des voies de progrès pour prendre en compte l'état de l'océan sous la surface pour les prévisions d'intensification, mais aussi pour les projections climatiques futures. L'effet de sillage des cyclones très intenses brasse la mer, ce qui entraîne généralement un refroidissement, et peut produire des conditions favorables à une intensification, selon la température des eaux situées sous la surface de la mer.

En 2016, une revue américaine combinant une approche théorique et des projections climatiques a montré qu'en l'absence de réduction des rejets de gaz à effet de serre, cet effet devrait dominer de plus en plus par rapport à l'effet des aérosols et devrait donner lieu à des augmentations de l'intensité des cyclones tropicaux. Enfin, en 2015, une étude de l'un des spécialistes mondiaux des cyclones, Emmanuel Garnier, suggérait une forte augmentation de l'occurrence de cyclones, associée à une intensification très rapide avant leur entrée vers les terres, dans un climat plus chaud de 3 °C ; il concluait que le fait que le réchauffement favorise des mécanismes d'intensification très rapides pourrait rendre les prévisions et l'alerte plus délicates.

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