Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Réunion du jeudi 18 janvier 2018 à 10h30
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, membre du bureau du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), co-présidente du groupe de travail n° 1 du GIEC :

Le GIEC, qui va fêter ses trente ans lors de sa prochaine session plénière à Paris en mars 2018, prépare un ensemble de rapports. Il s'agit d'abord d'un rapport spécial, en cours de relecture, portant sur l'analyse des impacts de 1,5 °C de réchauffement global et les trajectoires d'émissions de gaz à effet de serre associées, dans le contexte du renforcement de la réponse globale aux menaces du changement climatique, du développement durable et des efforts pour éradiquer la pauvreté. Ce rapport, que nous préparons suite à l'invitation de la COP21, sera soumis pour approbation en octobre 2018 et constituera l'information scientifique pour le dialogue de Talanoa de la COP24, qui se tiendra en décembre 2018. Pour la première fois, il est préparé de manière transverse aux trois groupes de travail du GIEC, et comportera une évaluation de ce qui pourrait être évité, y compris en termes d'événements extrêmes, si nous parvenons à limiter le réchauffement à moins de 2 °C, en le stabilisant si possible aux alentours de 1,5 °C.

Pour 2019, nous préparons un rapport spécial sur le changement climatique et l'usage des terres, qui intégrera des enjeux liés à la désertification, à la dégradation des sols, à la gestion durable des terres, à la sécurité alimentaire et aux flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. Le dernier chapitre portera sur les risques et les options de gestion des risques dans le contexte du développement durable, et il inclura des risques liés aux migrations et aux conflits. Ce rapport spécial est également préparé de manière transverse aux trois groupes de travail du GIEC.

En parallèle, toujours pour 2019, nous préparons un rapport spécial sur les océans et la cryosphère – c'est-à-dire les parties enneigées et englacées de la Terre – dans un climat qui change. Ce rapport portera sur les mécanismes des changements et leurs implications pour les océans et les zones enneigées et englacées, les écosystèmes et les populations qui en dépendent, ainsi que les options pour renforcer leur résilience. Il comportera, entre autres, un chapitre sur la montée des niveaux des mers et les implications pour les zones et les communautés littorales ; un chapitre sur les océans et les écosystèmes marins et les communautés qui en dépendent ; un chapitre sur les risques associés aux événements extrêmes et abrupts. Il comprendra également un encadré transverse dédié aux îles et aux régions côtières de faible altitude – les basses terres –, portant en particulier sur les risques en cascade que nous avons mentionnés tout à l'heure, à savoir les événements extrêmes, les changements du cycle hydrologique, l'acidification des océans, la montée du niveau des mers, qui se conjuguent sur certaines portions du littoral.

Enfin, la préparation des rapports complets de chaque groupe de travail débutera au mois de juin 2018. Pour le groupe dont je partage la coordination, un chapitre sera dédié à l'information climatique régionale, y compris pour les petites îles et les littoraux, les changements du cycle hydrologique, un nouveau point sera fait sur les océans, la cryosphère et la montée du niveau des mers, un chapitre sera consacré aux événements extrêmes météorologiques et climatiques, y compris les événements composites, comme les fortes précipitations et les vents violents, et les cyclones tropicaux, enfin un chapitre traitera de l'information climatique pour l'évaluation des impacts régionaux et des risques, en favorisant l'analyse des risques à partir d'informations sur les aléas que nous fournissons, mais qui sera conjuguée aux informations sur les vulnérabilités et l'exposition aux risques du groupe 2 du GIEC. Celui-ci aura un chapitre dédié aux petites îles et aux options d'adaptation dans un climat qui change.

Je précise que le GIEC organise, au mois de mars prochain, une conférence scientifique internationale sur les villes et les sciences du changement climatique pour susciter la production et la publication de nouvelles connaissances dans l'optique d'un rapport spécial sur cette thématique pour le cycle suivant, après 2023. Bien sûr, la question des villes littorales est particulièrement importante dans toutes les régions du monde. Ce cycle du GIEC permettra de fournir régulièrement une évaluation de l'état des connaissances 2018, 2019, 2021 et 2022.

Le dernier volet que vous souhaitiez que nous abordions concerne les conséquences de retard dans les stratégies d'atténuation et d'adaptation pour les jeunes générations. Stabiliser l'évolution de la température à la surface de la terre demande que les émissions mondiales de gaz à effet de serre atteignent un pic le plus vite possible et diminuent à un rythme soutenu pour atteindre une neutralité carbone d'ici au milieu de ce siècle. Dans ce cas, la stabilisation du réchauffement s'accompagnerait néanmoins d'une poursuite inéluctable de la montée du niveau des mers. Mais cette montée du niveau des mers est plus importante si le réchauffement est plus important.

Il faut également mentionner que les émissions mondiales de CO2, après avoir fortement augmenté au début des années 2000 et stagné entre 2014 et 2016, sont reparties à la hausse en 2017. Les émissions mondiales de la plupart des autres gaz à effet de serre comme le méthane continuent à augmenter. L'agrégation des contributions nationales de la COP21 et donc des engagements actuels des États à l'horizon 2025-2030 suggère la poursuite d'une augmentation des émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici à 2030, mais moins vite que dans un scénario de laisser faire. Sans révision à la hausse de cette ambition, ces contributions nationales impliqueraient un réchauffement de l'ordre de 2,5 degrés à 3 degrés d'ici à la fin du siècle. Cette analyse n'intègre pas les implications de la dérégulation environnementale en cours aux États-Unis sur la trajectoire d'émissions de ce pays.

Le rapport spécial sur 1,5 degré du GIEC apportera une analyse complémentaire sur les trajectoires de développement sobres en carbone, y compris dans leur dimension sociale qui sont un élément important.

À titre personnel, je considère que les actions timides en cours exposent les jeunes générations à une triple peine : celle de s'adapter en permanence à un climat qui risque de changer plus vite dans les décennies à venir que dans les décennies passées, « ce territoire inconnu » pour reprendre les termes de l'Organisation météorologique mondiale ; celle de devoir agir plus rapidement et donc avec moins de marge de manoeuvre et un coût de transition plus élevé pour limiter le rejet de gaz à effet de serre par la suite si on ne le fait pas maintenant ; enfin le risque de devoir recourir à des « soins palliatifs » pour remédier à la situation en cherchant à extraire des gaz à effet de serre de l'atmosphère et les stocker ou à manipuler le climat avec des risques d'effets indirects ou collatéraux importants.

Les coûts et les dommages liés aux événements extrêmes récents montrent à quel point nous ne sommes pas adaptés à la variabilité du climat d'aujourd'hui, marqué par un degré de réchauffement par rapport au milieu du XIXe siècle, et soulignent à quel point il y a partout des vulnérabilités et des expositions aux risques.

Les stratégies d'adaptation aux conséquences inéluctables du réchauffement climatique, en particulier pour le littoral, sont aussi essentielles pour réduire les risques actuels et éviter d'être piégé à l'avenir sur des situations de vulnérabilité.

Les progrès des connaissances scientifiques, le partage des questionnements – je vous ai montré ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas – entre le monde académique et les acteurs de terrain sont vraiment des aspects importants pour des stratégies d'adaptation intelligentes et flexibles. L'éducation aux sciences du climat, aux sciences du changement climatique et aux risques sont des volets fondamentaux, quand on pense aux jeunes générations. Parler de changement climatique, c'est aussi se poser la question de la place qu'on accorde à la jeunesse.

Lors des catastrophes naturelles qui ont touché récemment la France en métropole et dans les outre-mer, j'ai été frappée de voir à quel point les infrastructures dédiées à la jeunesse et à leur droit fondamental à la continuité de l'accès à l'éducation étaient exposées aux aléas depuis les lieux de garde jusqu'aux établissements d'éducation. Il serait pertinent que les stratégies de gestion des risques et d'adaptation au changement climatique accordent une attention particulière à la protection des lieux où sont scolarisés les enfants.

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