Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du mercredi 7 février 2018 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale :

Je suis très heureux d'être auditionné en compagnie d'Agnès Buzyn. Vous avez raison, sur le sujet, une intervention conjointe est très pertinente. Depuis la constitution du Gouvernement, nous avons longuement échangé et avons beaucoup travaillé ensemble pour aborder de manière efficace cette question cruciale. Je ne peux qu'adhérer à ce que vous venez de dire : ce type de réunion doit nous permettre d'être créatif et d'aller de l'avant. Mes propos liminaires seront donc brefs.

Je reviendrai simplement sur la stratégie de l'éducation nationale, qui vient évidemment s'articuler avec celle portée par Mme Buzyn. Le Président de la République l'a souligné récemment : la première des politiques sociales, c'est la politique éducative, qui est à la base de la lutte contre les inégalités. En effet, la première des inégalités, c'est l'inégalité devant le langage. C'est pourquoi j'accorde une importance décisive à ce qui se passe de zéro à six – voire sept – ans, non seulement d'un point de vue cognitif, car il est démontré que cette période est absolument cruciale pour le développement de l'enfant, mais également d'un point de vue social et pratique parce que, de ce bon départ pédagogique et éducatif, vont dépendre beaucoup de choses… Il a été amplement démontré, y compris par des économistes, que les moyens dépensés à cette période de l'enfance permettront d'en dépenser beaucoup moins plus tard. D'après un prix Nobel d'économie, le rapport est de un à huit. Dans ce contexte, les politiques publiques doivent être déployées prioritairement vers cette tranche d'âge.

Il convient également de ne pas oublier de faire le lien entre les deux ou trois premières années de la vie et ce qui se passe ensuite, à l'école maternelle, d'où l'importance de la cohérence de la politique de la petite enfance menée par Agnès Buzyn et de celle de la maternelle, que je conduis. D'où l'importance aussi des Assises de la maternelle que nous organisons à la fin du mois de mars et auxquelles vous êtes conviés. Cette audition contribuera à leur préparation. Boris Cyrulnik est chargé de les organiser. Elles seront l'occasion de réfléchir à une forme d'avant-gardisme français en matière d'écoles maternelles, à la lumière de tout ce que nous savons du développement de l'enfant et de ses besoins.

C'est à l'école que se joue la lutte contre les inégalités, par l'instruction et par l'éducation, mais aussi par les savoirs et les valeurs transmises. Nous voulons être à la hauteur. Le volontarisme pédagogique est le premier des outils. Parmi nos premières réalisations concrètes, il faut évidemment citer le dédoublement des classes de cours préparatoire (CP) dans les réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP +) : 5 600 classes seront dédoublées à la rentrée 2018. C'est donc une mesure très importante : à maturité, à la rentrée 2019, 340 000 enfants seront concernés chaque année, soit environ 170 000 enfants par cohorte – une cohorte représentant annuellement environ 750 000 enfants. Entre 15 et 20 % d'une génération sera ainsi concernée.

Le dédoublement produit déjà ses premiers fruits, pas encore totalement mesurés mais extrêmement positifs, d'un point de vue non seulement cognitif – entrée dans la lecture, l'écriture, le calcul –, mais aussi psychologique. Ces écoles primaires et ces familles nous disent que c'est la première fois qu'elles ont l'impression qu'une politique publique les avantage. C'est peut-être injuste par rapport à d'autres politiques publiques qui avaient le même objectif, mais les familles ont le sentiment d'une attention très spéciale. Souvent, d'ailleurs, elles comparent l'enfant qui en bénéficie aux aînés qui n'ont pas eu cette chance et, d'une certaine façon, cette comparaison les rend optimistes : elles sentent que quelque chose de particulier est en train de se passer. C'est également vrai à l'échelle de ces écoles, selon les premiers témoignages dont nous disposons.

Je ne vais pas détailler la politique que nous allons mener pour l'école primaire – j'ai déjà eu à m'exprimer à ce propos. Elle aura des impacts direct et indirect sur les buts que nous nous fixons. Au collège, nous avons instauré les « Devoirs faits ». Je sais que vous en avez parlé ce matin et j'y reviens très rapidement : 200 millions d'euros y sont consacrés dans le budget. Cette mesure extrêmement concrète vient en appui des familles, notamment les plus défavorisées. Elle existe systématiquement dans tous les collèges de France depuis le mois de novembre.

Ces deux mesures – dédoublement en REP + et « Devoirs faits » – étaient des engagements présidentiels. Ils ont été accueillis avec optimisme par les uns et scepticisme par les autres. Les premiers avaient peut-être un peu plus raison que les seconds puisque c'est aujourd'hui une réalité, concrétisée en quelques semaines !

Nous veillons à accompagner les élèves les plus fragiles lors des classes charnières, une attention particulière étant portée au CM2 et à la sixième, puis à la troisième et à la seconde : les stages de réussite organisés pendant les vacances scolaires sont un dispositif gratuit qui existe depuis 2017, année au cours de laquelle ils ont été déployés à hauteur de 15 millions d'euros. En 2018, nous y consacrerons 35 millions. Nous en attendons beaucoup. Un certain nombre de choses se jouent pendant les vacances et ces stages gratuits sont importants.

L'aide sociale et matérielle est également fondamentale. Cette année, nous avons revalorisé de 25 % les bourses de collège sur critères sociaux et consacré 65 millions d'euros aux fonds sociaux. Nous devons faire en sorte que ces fonds soient gérés de la bonne façon, qu'ils soient dépensés et efficaces.

Certaines questions relèvent des collectivités locales. Dans ce domaine, nous devons travailler au cas par cas mais nous constatons surtout d'importantes convergences entre le volontarisme des collectivités locales et celui de l'État. C'est le cas avec la restauration collective – sujet fondamental dans la lutte contre la grande pauvreté, en termes tant de qualité que de coût, afin qu'il soit le plus faible possible pour les familles –, ou avec la question du logement, qui a un impact direct sur la vie des élèves.

J'ai toujours considéré – et je le considère plus que jamais – que nos politiques éducatives doivent se baser sur une vision complète de l'enfant. Le débat n'est pas nouveau : l'école doit-elle s'occuper d'instruction ou d'éducation ? De très bons arguments plaident en faveur de chacune des deux thèses. Pour ma part, par pragmatisme, je privilégie la seconde car on ne peut tout simplement pas faire comme si certaines réalités en dehors de la classe n'existaient pas… J'ai trop souvent vu des écoles ou des collèges mettre sur pied avec leurs élèves, tout au long de la journée, d'excellents dispositifs qui étaient ensuite anéantis par le contexte familial de l'élève le soir, le week-end ou pendant les vacances. Nous devons disposer d'une vision « en continuum » des élèves. Le chef d'établissement est dans une position pivot fondamentale, entre l'éducatif et le social. Nous allons d'ailleurs réfléchir à son rôle.

S'agissant des conditions de vie de l'enfant, en dehors de la politique du logement, deux éléments concrets peuvent compenser certaines difficultés : la mesure « Devoirs faits », dont j'ai déjà parlé, mais aussi le Plan internat que nous préparons. Cette politique d'internat doit nous permettre d'offrir des milliers de lits supplémentaires aux élèves, donc d'apporter une solution « intégrale », tout en traitant des sujets de santé cruciaux pour l'enfant – temps de sommeil, rythme de vie, non-addictions, notamment aux écrans, etc. L'internat résout mieux ces problèmes que tout autre dispositif.

Enfin, il ne faut surtout pas oublier le lien avec les parents. Nous parlons beaucoup de ce sujet avec Agnès Buzyn, car il nous permettra de faire d'une pierre plusieurs coups, en étant attentifs à la communication entre l'institution et les parents d'élèves. Je souhaite revitaliser et donner de l'ampleur à un dispositif existant, celui de la « Mallette des parents ». Dans les zones les plus défavorisées plus qu'ailleurs, ces réunions en petits groupes – notamment en début d'année – sont un moyen de rencontrer les parents d'élèves et de faire passer un message de confiance mutuelle entre les parents et l'école. Si les messages sont avant tout éducatifs, ils peuvent également déborder sur des enjeux de santé, comme le temps de sommeil, qui a un retentissement évident sur le temps scolaire.

Sur l'ensemble de ces sujets, nous avons besoin d'échanger avec les parents afin que les objectifs éducatifs soient partagés. C'est absolument décisif, d'abord parce qu'il est démontré que la bonne relation parents-école est un des deux premiers facteurs de réussite d'un système éducatif, mais également parce que la politique générale de santé publique menée par Agnès Buzyn peut s'en trouver confortée. La lutte contre les addictions en est un bon exemple et s'articule avec la lutte contre la pauvreté. Dans les prochaines semaines, et à la lumière des discussions d'aujourd'hui, nous accentuerons la dimension interministérielle de cette politique. C'est également vrai pour la visite médicale à six ans : nous avons fait ensemble preuve d'une détermination totale, alors que le sujet n'est pas simple.

Notre volontarisme est tout aussi important en matière périscolaire : nous voulons renforcer la culture à l'école, en liaison avec la ministre de la culture – elle l'a évoqué devant vous –, mais également le sport – je vous en ai déjà parlé avec la ministre des sports. Cette question périscolaire est fondamentale : à l'école primaire comme au collège, nous tenons à réarticuler les temps scolaire et périscolaire, afin de disposer d'une vision d'ensemble du temps de l'enfant, afin de mieux articuler le travail des différents acteurs et de les responsabiliser. C'est le sens de mon Plan mercredi, en préparation, dont j'espère que nous aurons l'occasion de reparler : il doit nous permettre de mobiliser des ressources interministérielles afin d'être en mesure, commune par commune et, éventuellement, département par département, d'afficher l'offre périscolaire, culturelle et sportive, pour les élèves, quel que soit leur rythme scolaire.

La situation économique des familles ne doit pas être un frein à la réussite. C'est ce qui a caractérisé l'école de la République dans ses meilleures heures ; il n'y a aucune raison que ce ne soit pas le cas au XXIe siècle.

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