Intervention de Daniel Iracane

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Daniel Iracane, représentant de l'Agence pour l'énergie nucléaire :

Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous au titre de l'Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire. Dès sa création, le nucléaire a donné lieu à un investissement particulier des États dans la coopération internationale. Cela fait soixante ans que notre agence existe. Quant à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) dont vous allez également auditionner les représentants, elle est vieille de quelques années de plus. Si l'international joue un rôle fondamental, c'est que tout système a besoin de se calibrer. Pour répondre à l'une des questions écrites que vous m'avez transmises, je dirais qu'il n'y a pas de sûreté absolue, pas de deus ex machina qui définirait une référence. À une époque où les autorités de sûreté nucléaire sont indépendantes et responsables de la surveillance de l'ensemble du dispositif, se pose la question du calibrage de la sûreté, d'un pays à l'autre, sachant que le processus de décision est souverain et national. L'AEN permet donc aux autorités de sûreté de se réunir, d'échanger leurs expériences et de s'auto-référencer les unes par rapport aux autres. Elle n'est pas une agence de promotion de l'énergie nucléaire. Certains de nos trente-trois pays membres, dont la France, sont bien sûr extrêmement actifs dans l'utilisation de la technologie nucléaire mais il en est d'autres, comme l'Allemagne ou l'Autriche, qui considèrent que cette technologie n'est pas apte à la production d'énergie. Cela ne pose aucun problème car l'AEN ne définit pas de politique collective. S'il y a des débats politiques en son sein, elle n'a pas pour objet de dégager un consensus mais de déterminer une compréhension commune des faits et, autant que faire se peut, une référence partagée. L'AEN regroupe une centaine de personnes et fait travailler entre 1 000 et 1 500 experts. Le fait que nous créions les conditions positives de leur travail collaboratif permet de disposer d'une telle référence partagée sur des sujets complexes comme la gestion des déchets, etc. Cette référence ne s'applique pas de droit et l'AEN ne produit pas de standard, contrairement à l'AIEA, mais la pression des pairs est telle que, petit à petit, la communauté dans son ensemble converge vers cette référence.

Enfin, la sûreté ne peut être vue comme un sujet isolé. Il y a en effet une interface entre la sécurité et la sûreté, qui justifie les travaux de votre commission. L'AEN ne traitant pas de la sécurité, je ne pourrai vous donner d'éléments précis sur le sujet mais cette logique d'interface est une préoccupation croissante du fait de l'évolution de la technologie, notamment de la digitalisation. Dans la plupart des pays membres de l'AEN, la même autorité a juridiction sur la sûreté et sur la sécurité : c'est le cas de tout le continent nord-américain, du Japon et de plusieurs pays européens. Dans d'autres pays, comme la France, les deux sujets sont traités par deux organisations différentes, ce qui ne pose pas de problème selon nous. Les cultures techniques associées à ces deux sujets étant profondément différentes, même si vous regroupez la sûreté et la sécurité dans une même organisation, vous aurez deux sous-organisations très différentes dans leur manière d'aborder les problèmes. On peut penser que traiter les deux aspects dans une seule organisation améliorera les choses – je ne ferai pas de commentaire sur ce point – mais cela ne changera pas de manière substantielle la question de la gestion de l'interface. D'un point de vue technique, il faudra mettre autour de la table des gens qui ont des préoccupations et des approches techniques différentes.

Je citerai deux autres interfaces – qui ne sont pas nécessairement dans le périmètre de votre réflexion mais qui font l'objet d'une préoccupation croissante de notre part.

Si la sûreté est la première priorité, elle a une interface avec l'économie. J'en donnerai un exemple. Il y a un consensus, surtout depuis Fukushima mais qui remonte en fait à bien plus longtemps, quant au fait qu'il faut développer des combustibles de nature différente, ne dégageant pas l'hydrogène dont on a vu les effets à Fukushima : ce gaz a provoqué l'explosion des enceintes, soit l'événement le plus terrible de la séquence accidentelle qui a conduit aux conséquences que l'on sait. Les laboratoires ont des solutions alternatives à proposer mais leur industrialisation est lente car, l'avenir de la technologie nucléaire étant flou dans beaucoup de pays, l'absence de vision de long terme empêche l'évolution technologique, donc les gains de sûreté qui pourraient s'ensuivre.

Il y a enfin un lien entre la sûreté et la recherche. La période pionnière du nucléaire étant loin derrière nous, nous assistons à un renouvellement de génération. Là encore, la vision du futur détermine l'intérêt ou non des nouvelles générations, mais aussi l'investissement dans la recherche des États et des entreprises.

En conclusion, la sûreté est un sujet qui doit être pris dans son ensemble. Si elle est encadrée par des régulations précises, des éléments de contexte doivent aussi être pris en compte.

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