Intervention de Sophie Cluzel

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées :

Je me réjouis de ces deux nominations et veillerai à interpeller vos deux référents « handicap », avec qui nous pourrons discuter en détail de la politique en matière de handicap. Ces nominations font écho à la désignation de fonctionnaires chargés du handicap dans chaque ministère. C'est ainsi que nous pourrons irriguer les politiques publiques en tenant compte de la spécificité des personnes handicapées dans tous les domaines. Je vous remercie donc de cette initiative.

Vous m'interrogez à juste titre sur l'avenir de l'AGEFIPH et du FIPHFP. C'est en effet un sujet important et prioritaire de ma feuille de route, le Premier ministre l'a rappelé à l'occasion du comité interministériel du handicap qui s'est tenu le 20 septembre dernier. Mes collègues chargés du travail, de l'économie et des comptes publics étaient tous mobilisés en faveur de l'emploi des personnes handicapées et de l'accompagnement de leurs parcours.

Ces deux fonds sont des outils au service de la politique de l'emploi des personnes handicapées. Pour vous répondre, je m'appuierai sur les conclusions de deux rapports avant de vous expliquer l'action que j'ai engagée. Ces deux rapports, que vous connaissez, n'ont pas le même objet : le premier, le référé de la Cour de comptes relatif à l'aide à l'insertion professionnelle des personnes handicapées et à l'intervention de l'AGEFIPH et du FIPHFP, vise à mesurer l'efficience de ces outils de la politique du handicap, tandis que le second, le rapport de l'IGAS et de l'IGF sur le mode de financement de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés, vise à trouver les leviers de la consolidation du financement de la politique de l'emploi des personnes handicapées au sens large.

Le rapport de la Cour des comptes nous invite à ne pas limiter notre réflexion sur les deux fonds à un simple modèle de financement destiné à garantir leur pérennité mais à nous interroger sur leur utilité même, et sur le bien-fondé des principes qui sous-tendent leur action.

Il faut, y est-il écrit, clarifier le positionnement de l'AGEFIPH par rapport au service public de l'emploi et aux autres instruments de droit commun. Sa mission devrait sans doute être recentrée sur les actions qu'il est seul à pouvoir prendre en charge. La boîte à outils de prestations qu'elle propose et les autres fonctions de cette association justifient-elles en effet que 10 % de ses ressources soient affectées à son fonctionnement ? C'est une question ouverte. Entre 2012 et 2015, 5 millions d'euros ont été versés à des organismes représentés dans son conseil d'administration pour des actions diverses qui ont donné lieu à des évaluations critiques.

Le FIPHFP n'apporte pas non plus la garantie d'une politique appropriée ni celle d'une sanctuarisation des crédits afférents. Pourquoi ne pas privilégier des mécanismes d'affectation directe de crédits pour financer les actions prioritaires ? Telles sont les conclusions de la Cour des comptes.

Le rapport IGAS-IGF, quant à lui, conclut que le mode de financement actuel est incitatif pour les employeurs et a un effet sur les taux d'emploi, comme j'ai pu le vérifier au fil des nombreuses tables rondes que j'ai tenues avec des employeurs. Le montant de la collecte, de 416 millions pour l'AGEFIPH et de 132 millions pour le FIPHFP, est en baisse régulière, ce dont chacun est conscient. La situation financière des fonds résulte des choix de dépense consistant à en fragmenter l'organisation en la confiant à des opérateurs extérieurs aux fonds : 46 % des dépenses correspondent à des aides indirectes – autrement dit, 1,80 euro d'aide correspond à 1 euro pour le diagnostic. Les conclusions du rapport IGAS-IGF sont donc simples : renforcer l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, simplifier la déclaration – un constat avec lequel nous sommes certainement tous d'accord – et professionnaliser le recouvrement, renforcer les contrôles, rénover l'offre d'intervention et, bien entendu, réaffirmer les principes de fonctionnement en améliorant le pilotage et en réorganisant les acteurs.

Globalement, le constat est partagé. Dans un premier temps, dès ma prise de fonctions, j'ai tenu à soutenir la signature de la convention multipartite pour l'emploi des personnes handicapées, notamment pour que l'État incite les acteurs de l'emploi à mieux se coordonner et pour qu'il déploie des outils d'appui à l'insertion plus efficients. Je souhaite en outre réaffirmer l'engagement de l'ensemble du Gouvernement tel qu'il a été clairement affiché lors du comité interministériel du handicap du 20 septembre dernier.

Ces constats donnent la mesure de l'urgence. Sachant que vous êtes au fait de la situation, je me contenterai de rappeler quelques points. Tout d'abord, le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois plus élevé que celui de l'ensemble de la population et notre pays compte 500 000 demandeurs d'emploi en situation de handicap. Ensuite, 95 % des avis d'inaptitude prononcés chaque année aboutissent à un licenciement. Ainsi, chaque année, plus de 150 000 personnes subissent la double peine de perdre, avec la maladie et le handicap, leur situation professionnelle et, souvent, l'inclusion sociale qui y est associée. Plus d'un million de personnes en situation de handicap et d'âge actif ont baissé les bras et se sont retirées du marché du travail. En outre, de nombreux employeurs qui souhaitent recruter des personnes handicapées nous disent qu'ils peinent à le faire. De plus, les missions « handicap » des entreprises qui ont la chance d'en disposer nous disent consacrer jusqu'à un quart de leur temps à des formalités administratives associées à la déclaration administrative d'emploi des personnes handicapées – la fameuse DOETH – plutôt qu'à sensibiliser les cadres, à accompagner les salariés et les collectifs et à conforter leur stratégie d'inclusion. Enfin, des pratiques exemplaires existent un peu partout, que mes déplacements – en particulier dans le cadre de la semaine de l'emploi des personnes handicapées mais aussi tout au long de l'année – me permettent de saluer, même si elles relèvent encore trop souvent d'initiatives individuelles.

Je suis certaine que vous partagez donc le constat selon lequel il est plus que temps de changer d'échelle. Pour ce faire, nous devons revisiter l'ensemble des outils de la politique d'emploi des personnes handicapées, dont les deux fonds susmentionnés.

Ces outils doivent être de droit commun, comme nous nous y sommes employés dans le cadre de la grande concertation sur l'apprentissage qui s'est achevée il y a quelques jours. Ils peuvent aussi être spécifiques, comme ceux qui ont été construits autour de l'obligation d'emploi des personnes handicapées. À mon sens, nous disposons d'un matériel abondant pour organiser cette remise à plat et ce changement d'échelle.

C'est pourquoi mon secrétariat d'État s'est engagé, aux côtés du ministre de l'économie et des finances, de la ministre du travail et du secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, dans un cycle de concertation pour réformer les politiques d'emploi des travailleurs handicapés. Cette concertation a été lancée le 16 février sur la base du document de concertation préalablement validé par tous. La méthode de travail est simple : proposée aux partenaires sociaux et aux représentants du conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), elle priorise pour le premier temps de concertation – en février et en mars – la redéfinition et la simplification de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) dans le but de renforcer la mobilisation des partenaires sociaux et l'engagement des employeurs pour augmenter le taux d'emploi direct des personnes handicapées.

Ces évolutions doivent également faciliter l'intégration de l'OETH dans la déclaration sociale nominative au 1er janvier 2020, comme s'y est engagé le Gouvernement lors du dernier comité interministériel. Les dispositions de nature législative résultant de cette concertation devraient trouver leur place dans le projet de loi défendu par la ministre du travail. Je souhaite travailler en co-construction avec les organisations syndicales et patronales représentatives, qui ont un rôle particulier en matière de politique de l'emploi, mais aussi avec les représentants des personnes handicapées membres du CNCPH. J'associerai également à ces travaux des représentants du secteur protégé et adapté ainsi que des employeurs au sein de groupes de réflexion ciblés. Parallèlement, j'ai saisi l'observatoire de la responsabilité sociale des entreprises afin qu'il réfléchisse aux leviers incitant les employeurs à embaucher, à intégrer et à maintenir dans l'emploi.

Deux grands thèmes seront abordés durant cette concertation. Le premier concerne les leviers d'action, en particulier l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés : avons-nous trouvé le juste équilibre entre obligation et incitation ? Comment enrichir les politiques sociales des entreprises ? Autant de questions auxquelles il faudra répondre. Second sujet : les moyens consacrés à cette action. Quels services faut-il déployer pour accompagner l'emploi des personnes handicapées et sécuriser leurs parcours professionnels ? Quelle doit être la répartition des rôles entre les acteurs ? Comment rendre un service direct aux entreprises ?

Ces travaux se nourriront des conclusions de la mission de MM. Adrien Taquet et Jean-François Serres relative à la simplification de l'accès aux droits des personnes, et de la mission confiée à Mme Dominique Gillot, qui examine notamment les parcours des personnes et la chaîne d'intervention de l'ensemble des acteurs qui concourent à l'accompagnement vers et dans l'emploi des personnes handicapées. Se posent surtout des questions politiques pour redonner à cette obligation tout son sens et faire en sorte qu'elle redevienne un vrai levier pour l'emploi des personnes handicapées.

Ce premier temps de concertation n'aborde donc pas la gouvernance de la politique de l'emploi des personnes handicapées, ni celle de la gestion des fonds issus de la contribution libératoire associé à l'OETH. Pour autant, il devrait permettre d'ouvrir la question de l'organisme en charge de la collecte de ce prélèvement, notamment dans le cadre du chantier de l'intégration de l'OETH dans la DSN au 1er janvier 2020. Le rapport IGAS-IGF relatif au financement de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés, dont les propositions nourrissent largement les échanges de ce premier temps de concertation, préconise en effet dans sa douzième recommandation que le recouvrement des contributions soit transféré à l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Les conditions de transfert de cette charge à l'ACOSS n'ont pas été expertisées ; il est proposé de garantir la neutralité de ce transfert pour l'opérateur, mais nous verrons dans quelles conditions.

Au-delà du choix de l'opérateur de recouvrement, ce premier temps de concertation doit surtout permettre de remettre en question l'ensemble du dispositif de déclaration d'emploi des travailleurs handicapés et des règles de calcul de la contribution libératoire, sans toutefois revenir sur l'obligation d'emploi qui constitue la pierre angulaire de la politique d'emploi des travailleurs handicapés.

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