Madame la présidente, madame la ministre, alors que les lois de 2013 et de 2016 se sont intéressées, en matière de conflits d'intérêts, simultanément aux parlementaires et aux fonctionnaires, votre gouvernement fait, pour la première fois et avec obstination, le choix de ne pas s'intéresser au sort des hauts fonctionnaires, sur lequel vous jetez un voile pudique. Le problème du conflit d'intérêts est pourtant, vous le savez, beaucoup plus grave chez ces derniers que chez les parlementaires qui, comme le rappelle Marc Le Fur, ne sont jamais, chacun, qu'un sur 577 ; notre capacité réelle d'influence est bien faible par rapport à celle d'un directeur d'administration centrale ou d'un chef de bureau.
Est-il normal qu'un membre du Conseil d'État parte dans un cabinet d'avocats où il va continuer à travailler pour l'État et à en défendre les intérêts, mais en se faisant payer jusqu'à dix fois plus ? Est-il normal qu'un inspecteur des finances puisse partir travailler pour une grande banque d'affaires et jouer les lobbyistes en échappant à quasiment toutes les règles de la loi Sapin ? Nous y reviendrons, car je vous proposerai un amendement sur ce point.
Tout cela n'est pas anecdotique, madame la ministre. Il y a 250 hauts fonctionnaires de l'État qui pantouflent dans de grands cabinets d'avocats parisiens, soit à peu près six générations de concours externe de l'ENA. Ce n'est pas rien, c'est un véritable pillage d'une richesse nationale produite par l'argent public, le produit des impôts des Français ! Ces départs représentent le plus souvent une simple valorisation monétaire d'un carnet d'adresses. C'est un sujet éminemment préoccupant, sur lequel nous serions bien inspirés de renforcer notre législation.
En attendant la prochaine loi, je me permets, madame la ministre, de vous faire un petit cadeau : ce très bon livre publié aux Presses de Sciences Po, qui s'intitule Sphère publique, intérêts privés, où vous pourrez trouver quelques chiffres édifiants.
Le Sénat avait voté des dispositions pour mieux encadrer ce pantouflage ; votre majorité en commission des lois les a systématiquement éliminées. C'est un regrettable recul moral !