Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 15h00
Reconnaissance sociale des aidants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne les voyons pas, souvent nous ne les voyons plus, car ils doivent renoncer en grande partie à leur vie, à leur vie sociale et, parfois, à leur vie professionnelle. Plus de 8 millions de proches aidants – de Françaises surtout : elles représentent 57 % du total ; il y a plus de conjointes que de conjoints, de filles que de fils, de mères que de pères – aident, sur leur temps personnel, à leur domicile ou chez le proche, une personne proche malade, en incapacité ou handicapée, dépendante. Plus de 8 millions de Françaises et de Français font ainsi vivre, sans discontinuer – la maladie ne prend ni de week-end ni de vacances – , la plus fondamentale des solidarités, et cela en complément, parfois en remplacement, d'une politique publique défaillante.

Ces 8 millions de personnes font leur possible, entre leurs vies familiale, professionnelle, amicale, pour rester aux côtés d'un proche, plutôt que de solliciter une institution sanitaire. Ainsi, en plus de donner chaque jour compassion, attention, soins, accompagnements, ces personnes font faire à nos services de santé des économies considérables. Ces gestes, ce dévouement sont faits volontairement, mais, disons-le clairement, ils pallient aussi les lacunes de la prise en charge proposée par la nation à celles et ceux de nos concitoyens qui sont touchés par la dépendance. Les aidants portent sur leurs épaules, souvent seuls, une charge qui devrait être assumée par la communauté nationale.

Or, en raison du vieillissement, les plus de 60 ans, qui représentaient 22 % de la population en 2007, pourraient atteindre les 30 % en 2060. Ces situations, que les uns et les autres nous décrivons, ont vocation à croître considérablement dans les décennies à venir. C'est donc la moindre des choses que le législateur soit aux côtés des aidants ; et c'est la moindre des choses qu'à travers eux, la nation le soit aussi.

Je remercie vivement, au nom du groupe Nouvelle Gauche, notre collègue Pierre Dharréville, d'abord pour les travaux qu'il a conduits dans le cadre de la mission d'information, ensuite pour le travail d'une grande qualité qui a abouti à la présente proposition de loi. Ce travail, il convient de le souligner, a été unanimement salué en commission des affaires sociales – mais lorsque le temps des décisions fut venu, la majorité nous dit : « Eh bien, non, il convient d'attendre un autre rapport, celui que le Gouvernement a commandé. » Le Parlement a évalué, le Parlement a travaillé, le Parlement a proposé et, finalement, la majorité souhaite que le Parlement attende le Gouvernement ! On nous dit à longueur de temps que le Parlement ne va pas assez vite – mais il arrive que le Parlement attende le Gouvernement : c'est ce qu'il fait aujourd'hui.

Le Gouvernement fut lent aussi à répondre à la demande d'évaluation formulée par Pierre Dharréville concernant l'impact financier de sa proposition d'indemnisation du congé d'un proche aidant. Sauf erreur de ma part, la direction de la sécurité sociale ne lui a rien communiqué. C'est donc dans l'attente d'une évaluation plus précise que notre collègue a très sagement repris les hypothèses du Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, qui estime à 30 000 le nombre de bénéficiaires potentiels du congé de proche aidant indemnisé et en évalue le coût à environ 250 millions d'euros par an ; c'est une somme modique en regard des économies qu'ils nous font réaliser.

Toutefois, ce matin, par votre voix, madame la ministre, le Gouvernement a déclaré vouloir se donner les moyens de rejoindre l'initiative parlementaire. Nous en prenons acte avec satisfaction et nous vous en remercions par avance – ce qui est, de notre part, un acte de confiance.

Faut-il cependant se priver d'avancer dès aujourd'hui ? Je devrais plutôt dire « d'avancer à nouveau », puisque cette question devra sans cesse être remise sur le métier au cours des prochaines années, comme elle l'a déjà été les années précédentes.

Le législateur s'est en effet déjà attelé à ce travail en 2015, avec la loi d'adaptation de la société au vieillissement, loi qui a consacré la définition des aidants au plan législatif et transformé le congé de soutien familial en congé de proche aidant ; qui a consacré le droit au répit pour le proche aidant, en prévoyant la possibilité pour celui-ci de financer son remplacement par une personne rémunérée par l'allocation personnalisée d'autonomie de la personne âgée dépendante concernée ; qui, enfin, a permis la prise en charge de la personne âgée lors de l'hospitalisation du proche aidant. Cette loi, défendue par la gauche, a ouvert la voie, mais, nous en conviendrons tous, nous devons aujourd'hui aller plus loin, car, d'une part, la situation s'amplifie et se dégrade, d'autre part, il nous faut pallier les insuffisances de la loi de 2015, qui se révèlent à l'usage.

Nous pourrions débattre, commencer, dès aujourd'hui, à élaborer des décisions concernant le temps dont ont besoin les aidants. De quelle durée de congé les proches aidants ont-ils besoin ? La proposition de loi prévoit un an par proche aidé ; nous soutenons cette proposition. Vous, majorité, n'êtes pas d'accord ? Vous pensez que les aidants n'ont pas besoin de temps ? Qu'ils ont besoin de moins de temps, ou de plus de temps ? Débattons ! Examinons les situations, entendons les témoignages, progressons ensemble, pour ces millions de Françaises et de Français.

Nous pourrions débattre, commencer, dès aujourd'hui, à élaborer des décisions concernant les ressources dont ont besoin les aidants. Faut-il indemniser le congé de proche aidant ? C'est ce que propose le texte qui nous est soumis, et nous soutenons cette proposition. Vous, majorité, que pensez-vous ? Que les aidants n'ont pas besoin de ressources complémentaires ? Qu'ils ont besoin de moins, ou de plus, de compléments ? Qu'ils ont besoin d'autres ressources ? Débattons ! Examinons les situations, entendons les témoignages, progressons ensemble, pour ces millions de Françaises et de Français.

L'enjeu est de donner un véritable statut au proche aidant. C'est pourquoi il convient, comme le propose le texte, de faire converger les droits de l'ensemble des proches aidants en matière de retraite, en étendant le dispositif de majoration de la durée d'assurance vieillesse dont bénéficient aujourd'hui les aidants familiaux de personnes en situation de handicap aux aidants familiaux de personnes âgées dépendantes.

Nous ne pouvons plus laisser ces millions de personnes se débrouiller, en bricolant leurs vies. Les dons de jours de réduction du temps de travail, c'est bien, c'est généreux – nous avons soutenu la mesure – , mais, admettons-le, c'est insuffisant ; c'est en outre injuste, parfois inéquitable. Prenons garde que cela ne vienne pas contredire l'idée que nous nous faisons de la solidarité nationale.

L'Union européenne avance de son côté sur le sujet, via une directive que la Commission a présentée en avril 2017 et qui a pour objet d'ouvrir un droit à congé pour les aidants.

La France dispose des atouts conjugués d'une forte natalité et d'une espérance de vie très élevée. Mais nos politiques publiques qui favorisent la natalité et la longévité ne prennent pas suffisamment soin des « générations pivots ». Celles-ci ont à la fois à soutenir et à accompagner nos aînés, à gérer leur fin de carrière professionnelle, parfois avec des enfants à charge.

Le groupe Nouvelle Gauche, tout en ayant entendu les avancées importantes du Gouvernement au regard de la fermeture exprimée en commission par la majorité, pense qu'il est utile de travailler sur ce texte et les propositions qu'il contient aujourd'hui encore, aujourd'hui aussi. Ce travail ne sera pas perdu. Notre groupe soutient donc le texte, et vous invite à une petite audace : il vous invite à le renvoyer, non en commission, mais au Sénat, …

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