Valoriser le travail des aidants est une manière de reconnaître notre interdépendance et notre fragilité, à nous qui pouvons tous, un jour ou l'autre, devenir l'aidé de quelqu'un. Cette éthique de la sollicitude, aussi appelée « éthique du care », il ne dépend que de nous de contribuer à son déploiement. Comme trop souvent, les politiques publiques se reposent sur une société civile à bout de souffle. Le sociologue Serge Guérin a identifié de nombreux projets locaux, concrets, qui émaillent notre territoire : le projet de la Maison de répit à Lyon, développé par la fondation France Répit ; les initiatives de certaines collectivités, comme le conseil départemental du Pas-de-Calais ; l'initiative de l'EHPAD Saint-Joseph à Strasbourg d'accueillir, le jour, des personnes âgées en fort déficit d'autonomie, afin de permettre à leur proche aidant de « s'évader » un peu.
Collectivités territoriales, associations, entreprises ou collectifs informels s'organisent. Qu'attendons-nous, nous, législateur, pour apporter notre contribution ? Allons-nous nous reposer sur ces initiatives locales et sur les 8 millions de proches aidants, ou bien nous déciderons-nous enfin à leur aménager une juste place ? Leur travail est un travail de l'ombre qui peut devenir particulièrement pesant.
Fatima, qui habite ma circonscription, est venue me rencontrer. Elle a choisi de s'occuper de son vieux père, qui habite à 25 kilomètres de chez elle. Son employeur lui ayant refusé un congé de proche aidant, elle fait l'aller-retour trois fois par semaine et a renoncé à ses séances de yoga. À peine arrivée, elle a mille choses à gérer : des vitres à nettoyer, une casserole brûlée à changer, des arnaques publicitaires à jeter, des chaises à rempailler, des plantes à arroser, des objets égarés à retrouver ou encore une chasse d'eau à réparer. Son père a mal au pied, et a déjà subi deux opérations. Problème : pour prendre un rendez-vous, il faut appeler en journée, et lorsqu'elle est au « boulot », elle ne trouve jamais le temps de le faire. Lorsqu'elle repart, elle culpabilise et a le sentiment d'être passée en coup de vent, de n'avoir pas pu discuter de l'essentiel.
Son père perd la tête et elle ne trouve pas le temps de sortir avec lui. Elle ressent un besoin intense de respirer, de dire « stop », mais tout cela, elle le garde pour elle par amour pour son père car, en attendant, il faut faire face, prendre sur soi et ne pas se plaindre. La charge physique et mentale que supportent les proches aidants est souvent très importante, et leur sentiment d'isolement est récurrent. L'aidant s'efface parfois derrière la personne aidée, allant jusqu'à s'oublier lui-même, jusqu'à oublier ses envies, ses rêves, sa carrière professionnelle et même, bien souvent, sa santé.
Ultime punition pour ces héros invisibles : les mauvaises conditions dans lesquelles ils sont amenés à s'occuper de leurs proches détériorent la relation qu'ils ont avec eux. Vies relationnelle, familiale, amicale, sociale et professionnelle menacées, santé et sommeil affectés, mal-être et culpabilité : la situation préoccupante des aidants doit nous pousser à agir, et vite. Pourtant, s'occuper d'un proche ne devrait pas être vécu comme une charge. Les conditions devraient être réunies pour que cet accompagnement soit vécu comme un moment d'échange, de sollicitude et d'harmonie. Nous sommes tous amenés, au cours de notre vie, à dépendre étroitement d'un ou de plusieurs proches ; et nous sommes presque tous amenés à nous occuper d'un proche en difficulté de manière régulière. Nous connaissons tous, autour de nous, des aidants dévoués, parfois éreintés, mais toujours aimants.
La proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine tend tout d'abord à assurer l'indemnisation du congé de proche aidant institué par la loi du 28 décembre 2015, ce que le droit actuel ne permet pas. Compenser en partie la perte de revenus est le minimum que nous puissions faire pour reconnaître l'aide apportée et permettre à l'aidant de vivre décemment. Cette mesure apparaît d'autant plus souhaitable qu'elle contribuerait à pallier la précarité professionnelle des femmes, principales aidantes dans notre pays. Nous la soutiendrons donc.
Le texte vise également à adapter le nombre de congés auxquels les aidants ont droit au nombre de personnes aidées. C'est là une mesure de bon sens, dont on peine à comprendre qu'elle n'ait pas été mise en place dès la loi du 28 décembre 2015.
Par ailleurs, l'article 3 de la proposition de loi permet aux proches aidants de ne pas attendre l'aval de leur employeur pour avoir droit au dispositif. Nous y sommes bien sûr extrêmement favorables. L'employeur n'a pas à s'immiscer dans les affaires privées de ses employés.
Enfin, l'ultime article du texte vise à étendre le dispositif de majoration de la durée d'assurance vieillesse aux aidants familiaux de personnes âgées dépendantes. En effet, il n'y a pas de raison pour que le dispositif actuel, ouvert aux proches de personnes en situation de handicap, ne le soit pas également aux proches de personnes âgées dépendantes.
Je tiens malgré tout à souligner que l'accompagnement des aidants doit aussi être renforcé. Ces derniers ne sont pas des professionnels, et ne doivent pas le devenir. Or ils sont parfois amenés à effectuer des tâches lourdes et complexes, pour lesquelles ils n'ont pas été formés, et qui mettent leur santé en danger. Le nombre d'accidents du travail chez les aide-soignants, plus élevé que dans le BTP, nous donne une idée du nombre d'accidents que les aidants doivent connaître, eux qui effectuent parfois des tâches semblables. Nous n'avons aucun chiffre puisque leur travail est informel, mais nous en savons suffisamment pour estimer urgent de les accompagner.
Cette proposition de loi est une proposition de bon sens et d'humanisme et, même si elle doit à tout prix être accompagnée par d'autres mesures, elle apporte de réelles avancées. Je remercie donc M. le rapporteur pour son travail.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que le débat ait lieu aujourd'hui : nous ne comprenons pas, chers collègues du groupe REM, votre demande de renvoi en commission. Même si vos propos à cette tribune, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, ouvrent la porte au débat – et la demande de chiffrage constitue une avancée – , notre groupe restera attentif aux délais, car nous parlons d'une situation d'urgence.