Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 15h00
Gratuité des transports scolaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le préambule de la Constitution de 1946 proclame : « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État. » Il ne faut cesser de défendre ce principe, apparemment assez limpide, et de réfléchir à toutes les réalités auxquelles il peut s'appliquer et à toutes les problématiques de la vie courante dans lesquelles il convient de le décliner et de le faire vivre.

Dans une période où coexistent de grands progrès dans de nombreux domaines, mais aussi une insupportable pauvreté grandissante, comme nous l'a rappelé, si cela était nécessaire, la journée que nous avons consacrée à la pauvreté à l'école, bon nombre de familles éprouvent des difficultés à faire face aux dépenses qu'elles doivent assumer pour l'éducation de leurs enfants. Ces familles nous disent, par la voix des fédérations de parents d'élèves, de la Confédération syndicale des familles ou dans nos rencontres en circonscription, que la gratuité des transports scolaires est un enjeu pour elles. Elles soulignent d'ailleurs l'augmentation de ces coûts année après année. Toutes les activités pédagogiques organisées par l'école entrent dans le champ de l'enseignement et doivent donc être gratuites pour les parents et financées par la solidarité nationale. Cela doit être le cas des manuels et des fournitures scolaires, comme des voyages et des sorties liés aux projets pédagogiques, mais également des transports scolaires, dont nous parlons à cet instant.

Si nous acceptons tous le postulat d'une école laïque, républicaine et gratuite, nous devons alors logiquement défendre son corollaire : aller à l'école doit aussi être gratuit, et l'égal accès aux lieux d'enseignement mérite d'être affirmé comme une priorité de nos collectivités dans chaque décision prise, afin de mettre en cohérence des affirmations et des actes, et d'assembler toutes les pièces d'un puzzle, celui d'une grande attention apportée à tous les moments de la vie de nos enfants.

Chaque jour, près de 4 millions d'élèves, dont 2 millions hors agglomérations, sont transportés vers leur établissement scolaire, de la maternelle au lycée, par un mode de transport collectif, voire par plusieurs, lorsque, sur nos territoires ruraux, il faut combiner bus et train. Cela entraîne un coût pour les familles, et ce montant vient s'ajouter à la longue liste des frais occasionnés par la rentrée scolaire, qui représente chaque année pour ces familles un moment problématique. Cette situation met à mal le principe d'égalité des enfants devant notre service public de l'éducation, principe que nous défendons pourtant tous ici, j'ose le croire, avec force, tous réunis autour d'un idéal républicain. Le transport scolaire irrigue nos territoires en zones urbaines comme en zones rurales, où il représente parfois le dernier des services publics.

Jusqu'à la dernière rentrée, les départements étaient en charge du transport scolaire, comme cela a été dit, et dix-huit d'entre eux avaient fait le choix de la gratuité, selon les derniers chiffres de l'ANATEEP, l'Association nationale pour les transports éducatifs de l'enseignement public. Les autres départements proposaient des services à des tarifs très différents – d'une petite centaine d'euros à plusieurs centaines d'euros – et selon des modalités variées. Si les réalités sociogéographiques de nos territoires peuvent donner lieu à des disparités importantes, qui peuvent se traduire par des charges variables pour les autorités de transport, il n'en demeure pas moins que la situation n'est pas acceptable. Depuis le 1er septembre 2017, avec la mise en oeuvre de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, la compétence des transports scolaires est exercée par les régions. Ces dernières peuvent toutefois la déléguer aux départements, à des communes, à des établissements publics de coopération intercommunale ou à des syndicats mixtes.

Mais la situation territoriale très inégalitaire qui prévalait antérieurement a été reconduite. Par exemple, dans ma région, Auvergne-Rhône-Alpes, le transport scolaire est gratuit dans l'Allier, comme l'a indiqué à l'instant Jean-Paul Dufrègne, il est payant et calculé en fonction du seuil kilométrique en Savoie, tandis qu'en Ardèche, les familles ne paient qu'une contribution plafonnée, fonction du quotient familial, qui se monte au maximum à 90 euros par enfant. Quant à la décision de mettre en place un système unique dans la région Centre-Val de Loire dès la rentrée 2017, déjà évoquée plusieurs fois, elle témoigne de la force d'une volonté politique lorsqu'elle est identifiée et portée.

Si la gratuité du transport scolaire peut s'accompagner de frais de dossier ou d'une contribution citoyenne plafonnée à 5 % des coûts engagés par la collectivité, nous souhaitons que la gratuité des transports scolaires soit le principe qui guide l'action des régions dans la mise en oeuvre de leur compétence relative aux transports. Il est nécessaire de trouver les moyens de son financement car elle constituerait une charge nouvelle importante pour les régions : on évalue le coût du transport scolaire à 1 000 euros environ par an et par élève. L'article 3 du texte propose d'étendre aux régions le bénéfice du versement destiné aux transports et de leur permettre de disposer d'un levier fiscal adéquat, ce qui est évidemment primordial dans cette démarche d'instauration d'une gratuité des transports scolaires. Alors que les régions cherchent à l'heure actuelle à opérer une convergence en matière de transport scolaire, cette proposition de loi peut permettre de donner une impulsion politique nationale plus en adéquation avec les problématiques que rencontrent nos concitoyens au quotidien.

Nous souhaitons également appeler votre attention sur une autre réalité, déjà évoquée : les frais occasionnés par les stages et les périodes de formation en entreprise, périodes obligatoires dans les formations professionnelles, qu'elles soient effectuées dans un système par alternance ou dans un système de formation initiale. Ces frais devraient également pouvoir être pris en charge.

Ces dernières semaines, madame la secrétaire d'État, votre Gouvernement a présenté des propositions afin de valoriser l'apprentissage et la voie professionnelle scolaire ; or beaucoup de nos jeunes sont contraints de se rendre sur leurs lieux de stage par leurs propres moyens, prenant quelquefois des risques et se trouvant parfois en situation d'insécurité routière. De plus, que ce soit dans le cadre de l'école primaire ou du secondaire, la problématique des transports entre aussi en compte dans les choix d'orientation des élèves et de leurs familles, qui ne vont pas toujours pouvoir privilégier le parcours personnel et professionnel de leur enfant.

Sur nos territoires ruraux, où les classes sont parfois réparties dans plusieurs communes selon les niveaux et les cycles, cette problématique de transport peut aussi devenir un argument pour préférer une école privée plutôt que l'école publique, rendant ce choix purement pratique et éloigné d'un réel engagement vers telle ou telle philosophie, qui justifie normalement la décision.

Enfin, parallèlement à la problématique de la gratuité, nous devons prendre en compte les conditions dans lesquelles elle est appliquée et les trajets qu'elle recouvre, afin qu'elles soient adaptées de manière satisfaisante au rythme des enfants. Se pose souvent la question pour les collégiens, dont beaucoup se seront levés entre cinq et six heures du matin dans nos communes d'Ardèche et d'ailleurs – notamment outre-mer – , de la possibilité de retours plus souples, qui puissent prendre en compte les fréquentes modifications de dernière minute des emplois du temps, celles-ci obligeant souvent les enfants à attendre plusieurs heures pour rejoindre leur domicile, car leur carte de transport ne les autorise que certains horaires et qu'un unique voyage aller et retour quotidien.

Lors de nos débats en commission, nous avons, me semble-t-il, partagé un certain nombre de constats, qui débouchent sur la nécessité de déployer une organisation cohérente de nos territoires. Le groupe Nouvelle Gauche soutient ce texte, qui entend, à sa façon, lutter contre les disparités régionales de notre pays, où existent 36 000 circuits scolaires au total, soit davantage que le nombre de nos communes. Les régions dessinent une incroyable richesse mais nous interrogent aussi sur la force d'adaptation de nos institutions et des élus que nous sommes. Nous tenons donc, en soutenant ce texte de loi, à affirmer notre ambition républicaine et notre volonté d'utiliser tous les outils possibles pour tendre à la réussite de tous nos élèves et de tous nos enfants.

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