Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 15h00
Gratuité des transports scolaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

… du groupe GDR relative à la gratuité des transports scolaires.

Depuis 1881, le principe de la gratuité de l'enseignement est le socle sur lequel nous, républicains, avons bâti notre maison commune. Des grands projets de la Convention à la IIIe République, la lutte pour la gratuité et l'universalité de l'enseignement public a forgé l'identité républicaine de notre patrie et de notre peuple. Car l'enseignement n'est pas une activité marchande comme une autre ; aujourd'hui, plus que jamais malheureusement, il est bon de le rappeler. Le droit à l'instruction est, pour chaque enfant, une condition nécessaire de son plein épanouissement, et, pour la collectivité, un moyen de faire cité en proposant à tous, indépendamment des aléas de la fortune, un enseignement public, laïque et de qualité. La gratuité est donc consubstantielle à l'exercice effectif de ce droit.

La gratuité est un principe que tous les républicains sincères partagent, par-delà des familles politiques. Ce principe, comme vous le savez, a été étendu en 1933 à l'enseignement secondaire, puis, en 1946, a été gravé dans le marbre du préambule de la Constitution : « L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ». C'est donc un devoir perpétuel du législateur de proposer un cadre légal à même de donner chair à ce principe constitutionnel.

L'école gratuite pour toutes et tous est une conquête permanente, un élan toujours recommencé pour réaliser l'idéal que porte notre République : garantir par la loi les conditions de l'égalité et de la liberté réelle de l'ensemble de nos concitoyens. Et c'est précisément par l'éducation que se construisent des citoyens véritablement libres et égaux. Et c'est aussi pourquoi notre école républicaine reprend à son compte la maxime des Lumières : « Ose savoir ! »

Néanmoins, pour que ce savoir soit réellement démocratisé et que le principe d'égalité des chances soit enfin réalisé, l'organisation matérielle de l'accès à l'école doit être prise en charge par la collectivité, qui en garantit l'effective gratuité.

Or, à l'heure actuelle, le transport scolaire représente pour les familles une charge qui n'est pas négligeable, loin de là, et que l'on ne peut plus négliger, comme nous l'avons tous constaté. Près de 4 millions d'enfants sont ainsi quotidiennement transportés, dont la moitié hors agglomérations, ce qui engendre bien entendu un coût. Celui-ci est particulièrement élevé pour les enfants des lycées professionnels, souvent plus éloignés du domicile familial, ou pour ceux des zones rurales et périurbaines, où le maillage des transports est plus lâche que dans nos grandes métropoles. Ce coût est en grande partie assumé, il est vrai, par des collectivités territoriales exsangues, mais le reliquat peut représenter un vrai sacrifice budgétaire pour les familles des classes populaires lors de la rentrée scolaire. Enfin, ce coût a considérablement augmenté ces dernières années, nous en conviendrons tous ici je crois, avec un bond de près de 10 %, si l'on se fie à la récente étude de l'ANATEEP. En Seine-et-Marne par exemple, le tarif exigé est passé, entre 2016 et 2017, de 12 euros à 100 euros pour un collégien et à 120 euros pour un lycéen ! Même lorsque la gratuité est formellement assurée, les frais de dossier afférents peuvent constituer une charge pour la famille, notamment pour les plus modestes : dans le Gard, par exemple, cela représentait 70 euros à la rentrée de septembre et pouvait grimper jusqu'à 222 euros pour les élèves dont le domicile est situé à moins de 3 kilomètres de l'établissement scolaire.

Outre son niveau parfois excessif, ce coût est inégalement réparti sur le territoire, comme chacun d'entre vous l'admet. Les inégalités territoriales sont patentes et pesantes, selon les départements hier et selon les régions aujourd'hui. Il existe d'heureux exemples, comme celui de la région Centre-Val de Loire, qui assure la gratuité des transports scolaires pour les familles. Cette gratuité se retrouve également dans dix-huit départements. Mais, on le sait elle est loin d'être la norme partout en France. Je ne prendrai qu'un exemple, celui de mon département, la Seine-Saint-Denis, où une famille peut débourser jusqu'à 175 euros pour les collégiens et où ceux-ci paient moins que certains lycéens. On constate donc des situations à géométrie variable au sein même d'un département.

Plus généralement, le taux de prise en charge par les familles varie considérablement : de 0 à 38 % du coût supporté par les collectivités. Il est, à cet égard, regrettable que le transfert de compétence organisé par la loi NOTRe n'ait pas déjà, a minima, été l'occasion d'une harmonisation des tarifs et des pratiques. Du reste, au-delà de cette nécessaire harmonisation, la gratuité est non seulement souhaitable mais possible.

En commission, on a pu rétorquer plusieurs arguments à la présente proposition de loi.

D'abord, le prochain projet de loi d'orientation des mobilités de l'actuel gouvernement serait un cadre plus approprié pour penser l'organisation des transports scolaires. Mais la notion de « mobilité » est beaucoup trop générale. Je crois avoir suffisamment souligné la spécificité de l'école en République et son rapport intrinsèque à la gratuité du service proposé pour ne pas m'y appesantir davantage et insister sur la nécessité de rendre effectif un principe constitutionnel de gratuité de l'école, dans toutes les dimensions qu'implique son organisation. J'espère seulement que cette dilution de la problématique particulière du transport scolaire dans un ensemble plus vaste, la mobilité, ne sera pas un artifice permettant de repousser aux calendes grecques la question de la gratuité des transports scolaires.

L'autre contre-argument régulièrement évoqué, encore à l'instant dans l'hémicycle, est celui de la contrainte budgétaire : comment des collectivités territoriales déjà exsangues pourraient-elles assurer un coût aussi exorbitant ? Il me vient à l'esprit une citation attribuée à Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » On ne peut, en effet, sérieusement raboter les dépenses publiques, asphyxier les collectivités territoriales par des dotations budgétaires largement insuffisantes, pour ensuite exciper de ces mêmes restrictions budgétaires pour ne pas mettre en oeuvre une telle mesure.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.