Vous m'étonnez en indiquant que la trajectoire n'est pas affichée. Pour nous, en effet, la trajectoire du titre 2 est assez claire, puisqu'on a le montant, en extension année pleine, d'année en année et, par-dessus, l'évolution. Il y a à la fois l'effet volume – c'est-à-dire les crédits destinés à financer l'augmentation des effectifs – et les fameux 3,5 milliards de mesures supplémentaires qui vont venir abonder le titre 2 sur la période 2019-2025.
La question de la maîtrise du titre 2 est une excellente question. Vous aurez noté que, depuis la mise en place de l'autorité fonctionnelle renforcée (AFR), non seulement nous sommes sur le trait, mais nous présentons un solde excédentaire de 30 à 40 millions d'euros depuis 2015. Nous ne dépensons donc pas la totalité du titre 2. Cela s'explique tout d'abord par le fait, d'une part, que nous n'avons pas réalisé l'ensemble de notre schéma d'emploi – c'est un véritable défi, mais nous devons y parvenir cette année, et j'utiliserai pour cela tous les leviers de gestion dont je dispose – et, d'autre part, que certaines des mesures catégorielles prévues s'appliquent un peu plus tard en raison des délais de publication des décrets. Certes, me direz-vous, sur une masse salariale de 12 milliards d'euros, ces 30 millions d'euros c'est « l'épaisseur du trait ». Mais c'est plus que le complément indemnitaire annuel (CIA) budgété cette année. Au demeurant, cela ne me fait absolument pas plaisir de rendre 30 millions d'euros. L'enjeu, pour moi, est de les dépenser intégralement. Je rappelle qu'avant l'AFR, nous étions en déficit de 300 millions d'euros par an. Le titre 2 est donc largement tenu, il l'est même trop. C'est pourquoi nous allons desserrer légèrement la contrainte sur les recrutements– ce qui est certes plus facile que de la resserrer !
S'agissant de la fidélisation, vous l'avez bien dit : les mutations sont inhérentes au statut militaire et permettent aux personnels des parcours de carrière. Du reste, certains civils sont également soumis à une obligation statutaire de mobilité. Mais il est vrai que la mobilité peut être assez pénible. C'est pourquoi le « Plan famille » prend en compte la situation des conjoints, les accompagne vers un autre emploi et prévoit de faciliter l'inscription des enfants à l'école ainsi que la recherche d'un logement dans la nouvelle emprise. Mais, encore une fois, la mobilité fait partie du statut militaire, et les personnels qui s'engagent le savent.
Par ailleurs, les militaires ne se plaignent pas particulièrement, me semble-t-il, de l'importante rotation d'engagements en OPEX : ils sont plutôt favorables au fait de tourner. À ce propos, je le rappelle, nous avons créé, il y a deux ans, une prime spécifique qui est versée à partir de 150 jours d'activités dans l'année. Certes, il y a une différence entre une année calendaire et une année glissante, mais ils ne sont pas si nombreux que cela à atteindre 200 jours d'activités. Toutefois, le CEMA vous en parlera certainement mieux que moi, les personnels militaires engagés dans l'opération Sentinelle ressentent une forme de pénibilité nouvelle. En effet, cette forme d'engagement ne correspond pas forcément à ce qu'avaient prévu ceux qui s'étaient engagés en pensant partir surtout en OPEX. En outre, les militaires avaient le sentiment, au début de l'opération, d'être des supplétifs des forces de sécurité publique et d'être astreints à de la garde statique. Mais, aujourd'hui, on a trouvé un rythme de croisière. Dans certaines régions, ils se voient même confier la surveillance du territoire, qui relève vraiment de la compétence des armées. Leur action est donc véritablement complémentaire de celle des gendarmes. En matière d'engagement, la situation est beaucoup plus stable.
La conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle sera toujours un enjeu. C'est la raison pour laquelle nous avons ouvert la possibilité de s'engager dans la réserve dans le cadre d'un congé pour convenance personnelle. En outre, chaque régiment, chaque formation d'emploi a des modalités d'organisation spécifiques, définies au plus près du terrain. J'ajoute que l'attention portée aux subordonnés est une des missions premières de l'encadrement militaire, qui doit être attentif à leurs difficultés et leur permettre éventuellement de partir plus tôt. La RH de commandement, de grande proximité, participe de l'intelligence du commandement, qui doit disposer de certaines marges de manoeuvre. L'erreur serait d'imposer une limitation horaire, par exemple. C'est aussi grâce à cette souplesse que les militaires sont capables d'intervenir dans de brefs délais sans compter leur temps. Ils récupéreront en temps voulu, en fonction de leur fatigue. C'est au commandement de savoir à quel moment un militaire doit se reposer ; nous n'avons pas tous le même rapport à la fatigue. C'est extrêmement important.
Pourquoi avons-nous choisi de recourir aux ordonnances pour réformer les articles L. 4139-2 et L. 4139-3 ? En réalité, nous ne savons pas encore tout à fait clairement ce que nous voulons faire. Nous savons qu'il faut simplifier la procédure d'accès à la fonction publique car, actuellement, les procédures, notamment celle de la Commission nationale d'orientation et d'intégration (CNOI), qui valide le passage des personnels dans la fonction publique et dont il faut sans doute revaloriser le rôle, sont un peu complexes. Mais nous ne nous sommes pas encore fait une religion sur le sujet. Aussi avons-nous choisi de recourir aux ordonnances, pour nous donner le temps de la concertation avec les armées, avec les trois fonctions publiques susceptibles d'accueillir des personnels militaires, avec les instances de concertation civiles et militaires et avec le président de la CNOI.
Les questions concernant les réservistes sont d'excellentes questions. Le minimum de 37 jours n'est-il pas trop élevé ? Beaucoup d'étudiants ont-ils été attirés par le dispositif ? La durée moyenne constatée l'année dernière était de 37 jours. Au sujet du dispositif étudiants, le dispositif existe depuis moins d'un an ; nous effectuerons donc un retour d'expérience pour évaluer son efficacité, et pour les réservistes et pour les armées.
L'intensité opérationnelle est-elle la cause des abandons ? Je ne sais pas si, lorsque vous l'avez reçu, le chef d'état-major de l'armée de terre vous en a parlé, mais celle-ci utilise un outil de data mining prédictif pour analyser les causes de ruptures de contrat. Leur panel est suffisamment étendu, car ils ont effectué beaucoup de recrutements et les militaires du rang sont nombreux. Il ressort de cette étude que l'intensité opérationnelle n'est pas un motif d'abandon. De mémoire, les ruptures de contrat ont deux causes principales. La première, et l'on ne s'y attendait pas forcément est l'origine géographique : il y a moins de défections chez les personnes originaires d'une région qui a une culture militaire. L'armée de terre n'évite pas pour autant de recruter des Creusois, par exemple, au motif qu'ils seraient moins empreints de culture militaire : ce n'est pas une science exacte. Mais il est intéressant de savoir qu'à défaut de culture militaire, familiale ou régionale, une phase d'acculturation et de présentation est sans doute nécessaire pour que les personnes qui s'engagent sachent mieux à quoi s'attendre. La seconde cause, c'est le régiment d'affectation. Là, bien entendu, l'armée de terre dispose d'un levier, car cet élément ne dépend pas forcément de la situation géographique ; cela peut être lié à l'encadrement ou aux conditions de vie. Recruter et former de nouveaux personnels coûte plus cher que de fidéliser et de renouveler un contrat, puisque nos militaires du rang sont contractuels. C'est pourquoi perdre des gens en cours de route n'est jamais une très bonne nouvelle.
Vous avez évoqué l'attractivité du centre de formation militaire professionnelle et le fait que tous ceux qui le souhaitent ne pourraient pas suivre ses formations car Fontenay-le-Comte n'est pas forcément accessible. C'est pourquoi, nous avons ouvert une antenne du CMFP à Saint Mandrier à côté de Toulon, afin de couvrir le quart Sud Est. Par ailleurs, il pourrait être envisagé selon une échéance qui n'est pas encore déterminée d'ouvrir le même type de section délocalisée du CMPF afin de couvrir le Nord Est de la France. S'agissant de la prise en compte du handicap, le ministère des Armées recrute des personnels en situation de handicap, et nous sommes particulièrement attentifs à nos blessés de guerre, dont certains sont frappés de handicap ; nous avons de facto, hélas ! une expertise dans ce domaine. Du reste, nous avons, depuis longtemps, une Déléguée nationale au handicap (DNH) et une ergonome, qui nous aident à concevoir des postes adaptés. Par ailleurs, le télétravail est une possibilité pour faciliter, quelques jours par semaine, la vie des personnels pour qui les trajets sont pénibles. Nous travaillons également à l'amélioration de l'accessibilité des locaux. Nous menons donc une véritable politique du handicap. Sophie Cluzel, que nous avons accueillie lors de la présentation de notre dernier plan annuel, a d'ailleurs salué les initiatives du ministère en la matière. Encore une fois, nous avons, hélas ! une expertise toute particulière dans ce domaine.
Enfin en ce qui concerne la reconversion, vous avez parfaitement raison, la certification et la traduction des qualifications militaires en qualifications civiles sont un véritable enjeu. C'est pourquoi les différentes armées se sont engagées à augmenter considérablement le nombre des équivalences : il y en aura une dizaine de plus cette année, et cet effort sera poursuivi pendant les trois prochaines années C'est une tendance que nous devons absolument maintenir.