Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis évidemment très heureux de pouvoir m'exprimer devant vous sur cette très importante réforme, et de le faire en présence de Pierre Mathiot, qui a joué un rôle de premier plan dans la préparation de celle-ci.
Pendant plusieurs mois, Pierre Mathiot a mené en effet une consultation auprès de plus d'une centaine d'interlocuteurs et de groupes d'interlocuteurs, 40 000 lycéens y ayant par ailleurs participé par voie électronique. De mon côté, j'ai lancé une concertation, notamment avec les organisations syndicales. Cela m'a permis d'annoncer au conseil des ministres du 14 février les éléments de la réforme du baccalauréat. Je vais la résumer rapidement, car je pense que vous en connaissez l'essentiel.
Une question résume l'esprit de cette réforme : comment, en préparant les élèves au baccalauréat, les préparer à réussir au-delà du baccalauréat ? C'est en y répondant que nous pourrons redonner du sens au baccalauréat. De fait, le type d'examen que nous envisageons suppose un type de préparation utile aux élèves et dispensée sur plusieurs années, de façon à en finir avec plusieurs fléaux, en particulier l'échec de nombre d'entre eux dans l'enseignement supérieur – qui n'est jamais que le révélateur de problèmes qui se posent en amont.
Il s'agit pour nous de revaloriser le baccalauréat – toutes craintes en la matière devraient être aujourd'hui dissipées –, de lui donner une nouvelle jeunesse, et après deux cents ans d'existence, de lui faire franchir un nouveau siècle. Le baccalauréat est un point de repère, un rite, une institution française qui nous unit – et tout cela n'a rien de péjoratif. Par cette réforme, nous tentons de lui donner une nouvelle vie.
Cette réforme, c'est aussi un état d'esprit : il s'agit de « déverrouiller » le système scolaire français par l'aval. Ce que la société française notera le plus, c'est le changement qui interviendra en mai et juin. Concrètement, à partir de 2021, ces deux mois retrouveront un peu de normalité : les élèves de seconde et de première travailleront jusqu'au bout de l'année scolaire et il en ira quasiment de même pour ceux de terminale. Ce sera un très grand changement dans nos lycées ; le gain de temps sera énorme. L'examen sera moins lourd à organiser, mieux étalé dans le temps. Cela permettra en outre de faire quelques économies et évitera certains dysfonctionnements. Ainsi, la base de données des sujets devrait être de nature à limiter, voire à faire totalement disparaître le phénomène des fuites. Ce déverrouillage emportera toute une série de conséquences.
Peut-être même qu'indirectement, on pourra « déverrouiller » le lycée, voire l'amont du lycée. En effet, un baccalauréat plus ouvert, avec notamment la fin des séries, c'est aussi un parcours lycéen plus responsable, fait de choix, d'essais, parfois sans doute d'erreurs, de passerelles. Les enjeux de notre système scolaire en seront affectés – positivement, selon moi. D'ailleurs, cette réforme ne surgit pas de mon chapeau, ni de celui de quelques esprits éclairés. Elle est le produit d'une consultation, de réflexions qui datent de longtemps déjà, et que bon nombre d'entre vous avez portées ces dernières années. C'est aussi pour cela qu'elle nous arrive avec une certaine maturité et qu'elle recueille un certain assentiment dans notre pays, même si, comme tout changement – et celui-ci n'est pas mince – elle soulève des questions et des inquiétudes. Elles sont légitimes et je les prends au sérieux. Y répondre est évidemment un des enjeux de notre rencontre d'aujourd'hui. Je vais m'efforcer de vous rassurer et de vous montrer ce que cette réforme va nous faire gagner.
Ce baccalauréat se traduit donc par plus de liberté, et davantage de choix pour les élèves. Il se traduit aussi par plus d'égalités, de par les garanties que nous apportons dans le contrôle continu et de par l'attractivité supplémentaire qu'il pourra offrir aux lycées les plus défavorisés.
Je veux renverser l'argument classique qui a été avancé en amont de la réforme, selon lequel ce baccalauréat risquait de renforcer les inégalités, et de déboucher sur un diplôme d'établissement, et montrer qu'au contraire, nous allons faire en sorte de renforcer les établissements qui en ont le plus besoin. J'expliquerai comment dans un instant.
Ce baccalauréat sera synonyme de plus de réussites, celle-ci devant elle-même être synonyme d'excellence. Les associations disciplinaires, ou ceux qui sont, à juste raison, attachés à la qualité de chaque discipline, se sont inquiétés. Je peux leur répondre que toute discipline sera renforcée par la réforme dans la mesure où elle sera mieux suivie par chaque élève qui l'aura choisie. En clair, on en fera plus avec des programmes qui seront revisités, dans le sens d'une plus grande qualité, et d'un plus grand approfondissement. Chaque matière permettra d'aller plus loin. Nous répondrons ainsi aux remarques faites par des acteurs de l'enseignement supérieur qui, ces dernières années, se plaignaient de la dégradation du niveau des élèves dans un certain nombre de matières.
Quelles sont les grandes lignes de la réforme ?
Rappelons tout d'abord qu'elle a pour fondement l'engagement du Président de la République de prévoir un baccalauréat organisé au travers de quatre épreuves terminales, et pour le reste, en contrôle continu. Il est clair que cet engagement a créé un socle qui a facilité le processus de la réforme : tout un chacun connaissait l'objectif. Par la suite, le Premier ministre s'est engagé à ce que le nouveau baccalauréat soit mis en place en 2021. Ipso facto, le compte à rebours a démarré. D'où le calendrier qui a été adopté pour faire aboutir la réforme. C'est à partir de là que nous avons construit ce nouveau baccalauréat, dont voici les éléments principaux.
Premièrement, quatre nouvelles épreuves terminales s'ajoutent à l'épreuve de français, qui a toujours lieu en fin de classe de première – à l'écrit et à l'oral. Sans doute faudra-t-il redéfinir la nature de chacune des épreuves. Ce travail sera assuré dans les prochaines semaines par les instances compétentes. En tout cas, l'épreuve de français reste un point de repère de notre système – il ne s'agit pas de tout changer avec la réforme.
Les élèves de la classe de terminale passeront donc quatre épreuves terminales : deux au retour des vacances de printemps, et les deux autres à la fin du mois de juin. Les premières sont les épreuves de spécialité, deux matières choisies par l'élève, autrement dit ses points forts, qui différent d'un jeune à l'autre. Les secondes sont l'épreuve de philosophie, la seule qui sera passée par tous les élèves de la voie générale et de la voie technologique à la fin du mois de juin, et l'oral qui, en raison de sa nouveauté, sera retenu par beaucoup comme l'un des points essentiels de la réforme.
Cet oral, qui se déroulera devant un jury de trois personnes, durera vingt minutes. Il se décompose en deux séquences : dix minutes, pour la présentation d'un projet par l'élève, et dix minutes de questions de la part du jury. Le projet aura été préparé depuis le début de la classe de première, dans l'esprit de ce que sont les TPE d'aujourd'hui. La différence est que l'élève aura disposé de beaucoup plus de temps pour le faire : d'abord de façon collective, pendant la classe de première, dans le cadre d'une des trois matières de spécialité de l'élève, voire d'une deuxième matière autre que la matière de spécialité ; ensuite de manière individuelle, au cours de la classe de terminale, de façon à préciser et à faire mûrir le projet en vue de sa présentation. Le jury posera des questions pendant dix autres minutes. Il pourra élargir le questionnement pour apprécier la capacité d'analyse de l'élève, mais aussi sa capacité à puiser dans ses connaissances, notamment scientifiques et historiques, pour lui répondre.
Les buts visés par un tel oral sont multiples. Le premier est d'envoyer en amont du système un signal portant sur la qualité du français oral de chaque élève. Nous souhaitons là encore renverser un argument que nous avons souvent entendu, et qu'il faut prendre au sérieux, selon lequel tout le monde n'est pas égal devant l'oral suivant ses origines familiales et sociales. C'est en partie vrai, même s'il y a de très nombreuses exceptions, avec des élèves de classes favorisées qui sont inhibés, et des élèves de classes défavorisées qui s'expriment très bien. Il ne faut donc pas sombrer non plus dans une sorte de fatalisme social. En tout état de cause, c'est précisément le rôle du système scolaire que de compenser ces inégalités en préparant les élèves à réussir l'oral, tout au long des années du lycée mais aussi en amont.
C'est un point important, qui nous renvoie à ce que j'ai dit au début de mon propos : en préparant les élèves au baccalauréat, on les prépare à réussir au-delà du baccalauréat. En l'occurrence, en plaçant à l'aval du système scolaire l'oral du baccalauréat, nous inciterons les élèves à bien s'exprimer en public tout au long de leur vie scolaire. De fait, le manque de préparation des élèves français à l'expression orale est une des faiblesses de notre système. Cela étant, le renforcement de l'expression orale ne saurait nuire à l'expression écrite en français, à laquelle nous attachons une grande importance.
Après les épreuves terminales, venons-en au deuxième élément de cette réforme : les épreuves de contrôle continu, c'est-à-dire toutes les autres. Le contrôle continu comptera pour 40 % de la note – 30 % pour les « contrôles communs » et 10 % pour le bulletin.
Ces contrôles communs se dérouleront un peu sur le modèle des bacs blancs à l'échelle de chaque établissement, mais de façon « anonymisée » le correcteur n'étant pas le professeur de l'élève qui passe l'examen, et sur la base de sujets figurant dans une base de données nationale, un peu comme des annales. Cela permettra aux élèves de s'entraîner et de ne pas être pris par surprise.
Enfin, 10 % de la note viendront du bulletin, de façon à donner de l'importance au travail continu de l'élève. Là encore, le but est très clair : en finir avec le bachotage, amener les élèves à travailler en continu, pour pouvoir les juger non pas sur une note obtenue un jour donné, mais sur un travail accompli au cours des mois et des années, dans le cadre d'un système équilibré. Dans cette configuration, le baccalauréat sera plus significatif de l'effort réalisé par l'élève tout au long de sa scolarité.
Tout cela a forcément un impact sur le lycée, à commencer par la fin des séries en voie générale. C'est le troisième élément de cette réforme.
En revanche, nous avons souhaité maintenir les séries de la voie technologique, qui ne sera pas concernée par les évolutions à venir. Cette voie technologique faisant en effet plein sens dans notre système actuel, il n'était pas nécessaire de lui imposer un changement d'ensemble. Nous avons donc préféré la renforcer et en stabiliser les séries, dont certaines sont de création récente, avec des programmes qui ont déjà connu d'importants bouleversements. Cela étant, nous avons prévu des passerelles avec la voie générale. Je pense plus particulièrement à la matière « science de l'ingénieur », qui pourra être commune aux deux enseignements.
J'en viens à la fin des séries pour la voie générale. Celles-ci sont très importantes dans notre système, et vous en connaissez les conséquences. Nous avons souhaité notamment en finir avec la hiérarchie – parfois artificielle – de ces séries. Nous voulons que les lycéens choisissent des parcours qui leur correspondent, au lieu de devoir se conformer à des choix tout faits.
La fin des séries aura aussi l'avantage de la simplification. Le nouveau système devient extrêmement lisible, avec ce que nous appelons « les matières communes » : le français – quatre heures en première ; la philosophie – quatre heures en terminale, soit plus que pour l'actuelle série S ; l'histoire-géographie et l'enseignement moral et civique – trois heures et demie en première comme en terminale, soit plus d'histoire et géographie que dans certaines séries actuelles ; l'EPS – deux heures ; les langues vivantes 1 et 2 – trois heures et demie. Autant de marqueurs pour ce socle commun, avec une création qui suscitera des questions de votre part : les « humanités scientifiques et numériques » que nous mettons au coeur du socle commun, parce qu'elles concernent les compétences scientifiques que tous les élèves, qu'ils soient littéraires ou scientifiques, doivent maîtriser.