Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 17h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Monsieur le président, je reviendrai tout d'abord sur l'ASN, dont vous avez décrit les grandes missions, puis je vous livrerai le jugement que nous portons sur l'état de la sûreté et de la radioprotection en France actuellement, et, enfin, je dirai un mot de l'articulation entre problèmes de sûreté et problèmes de sécurité.

Nous sommes effectivement une autorité indépendante, comme d'autres. En l'occurrence, nous sommes indépendants par conception de tous ceux qui portent une vision politique énergétique, au premier rang desquels du gouvernement lui-même, qui se doit d'avoir une politique et de définir la politique énergétique, mais aussi des exploitants et des industriels concernés qui ont leur propre vision, de même que des associations de protection de l'environnement. Chacun de ces acteurs a, légitimement, une vision. Nous nous devons d'en être indépendants et d'exercer notre rôle d'autorité technique en matière de sûreté indépendamment de leurs considérations, qui ont une autre légitimité.

Nous sommes actuellement à peu près 500 personnes, des cadres d'assez haut niveau, compétents et formés pour l'être sur les matières que nous traitons. Nous sommes assistés dans notre tâche par un expert dont vous avez auditionné la direction ce matin, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui met à notre disposition 500 personnes à temps plein. S'il faut retenir un chiffre, c'est donc celui de 1 000 personnes qui contrôlent les enjeux de sûreté et de radioprotection en France.

Nous parlerons plutôt, sans doute, des réacteurs de production d'électricité, mais nous assurons également, à l'autre extrémité du spectre, le contrôle de beaucoup plus petites activités, beaucoup plus diffuses sur le territoire, notamment dans le domaine médical ou l'industriel. Une radiothérapie utilise des rayonnements ionisants pour tuer les cellules cancéreuses, et les enjeux de radioprotection sont, en la matière, loin d'être négligeables.

Quid de notre vision de la sûreté et de la sécurité ? Tout d'abord, nous considérons que la situation est – et reste, par rapport à l'année dernière – globalement satisfaisante. Les mots sont choisis : « globalement satisfaisante » signifie qu'il y a des écarts, des éléments qui ne sont pas globalement satisfaisants, mais, dans l'ensemble, c'est quand même globalement satisfaisant.

Nous sommes actuellement vigilants sur plusieurs points – cela vaut pour les prochains mois, peut-être pour les prochaines années.

Dans le domaine médical, nous avons encore une petite dizaine d'incidents de niveau 2, des incidents sérieux, essentiellement dans le domaine de la radiothérapie. Nous maintiendrons une vigilance forte, de même qu'à propos du développement de ce qu'on appelle les « pratiques interventionnelles radioguidées » – où l'imagerie sert à guider le geste des praticiens de santé. Évidemment, ce développement est une bonne chose, notamment pour les patients, mais le risque existe d'une exposition de ces derniers et, surtout, des personnels de santé, à des doses trop importantes. Nous constatons un certain nombre d'incidents tout à fait sérieux dans ces deux domaines, et nous sommes particulièrement vigilants, d'autant que les pratiques interventionnelles guidées montent en puissance.

Un deuxième grand point de vigilance concerne EDF et sa manière de gérer, d'une manière générale, les non-conformités, anomalies, écarts… Un certain nombre de signaux nous alertent, et nous serons attentifs au maintien d'un bon système de détection, de déclaration, notamment à l'ASN, et de traitement de tous ces écarts.

Cet état des lieux à un instant donné s'inscrit dans un contexte de moyen terme que j'ai qualifié l'année dernière de « préoccupant » et que je juge aujourd'hui en un peu moins préoccupant. Un certain nombre d'éléments de contexte vont effectivement plutôt dans le bon sens.

Premièrement, des anomalies techniques avaient été découvertes, notamment des excès de carbone dans l'acier de gros composants. Détecté pour la première fois sur la cuve du réacteur pressurisé européen – Evolutionary Power Reactor (EPR) en construction à Flamanville, le phénomène concernait également douze réacteurs. Cela nous a d'ailleurs conduits, au cours de l'hiver dernier, à demander l'arrêt sous trois mois d'une douzaine de réacteurs aux fins de contrôles supplémentaires. Cette anomalie a été assez largement traitée même si un certain nombre de dossiers résiduels doivent nous être transmis. Nous avons pris, à propos de l'EPR, une décision allant dans le sens d'un renforcement des contrôles en service pour la cuve elle-même et nous avons imposé le changement de couvercle de la cuve avant l'année 2024. Quant aux générateurs de vapeur du parc en exploitation, les douze réacteurs que nous avons arrêtés, les contrôles et les traitements ont été faits. C'est donc plutôt un élément positif : l'anomalie est assez largement derrière nous, même s'il reste encore un peu de travail, notamment à l'international, parce que si nous l'avons détectée, nous, elle est susceptible de concerner bien d'autres pays. Si elle a notamment été détectée à la suite des demandes formulées par l'ASN à EDF, il reste à travailler au niveau international.

Deuxièmement, nous avions été amenés à détecter de possibles falsifications à l'usine du Creusot, après que nous avions demandé, nous, la réalisation d'un audit de qualité sur les prestations et la fabrication du Creusot. Au terme de cet audit mené par Areva et EDF sous notre surveillance, nous nous étions effectivement aperçus de cas suspects qui pouvaient s'apparenter à des falsifications. La revue systématique de toutes les pages du dossier de fabrication de tout ce qui a été fabriqué au Creusot, d'il y a plus de cinquante ans jusqu'à récemment est en cours ; nous sommes à peu près à mi-parcours. À mon sens, cette revue est réalisée dans de bonnes conditions. Areva fait le travail, EDF surveille qu'effectivement ce travail est fait, et nous-mêmes, dans ces circonstances, procédons aussi aux inspections appropriées pour vérifier que ce travail est bien fait. Globalement, j'estime que c'est actuellement le cas, mais nous maintiendrons notre surveillance. Le travail devrait s'achever à la fin de l'année.

La première partie du réexamen a montré quelques cas posant des questions en termes de sûreté. Ils ont été traités. Évidemment, à mi-parcours, je n'exclus pas que puissent être également trouvés, dans les autres 50 % de vérifications qu'il faut absolument faire, des cas qui sortent de l'ordinaire et méritent une attention particulière en termes de sûreté. Malgré tout, point positif, ce réexamen, méthodologiquement, est bien engagé, et il est mené, pour l'instant en tout cas, dans de bonnes conditions. C'est pourquoi j'ai dit que la situation était moins préoccupante.

Troisièmement, les grandes entreprises responsables des installations nucléaires de base – EDF, Areva – étaient encore, il y a un an, dans une situation très compliquée, notamment en raison d'un décalage entre leurs moyens économiques, financiers ou budgétaires et la charge qu'elles avaient à gérer. Parmi les charges exceptionnelles du moment, la question de la prolongation d'installations anciennes est évidemment un point majeur. Il y a aussi quelques grands chantiers d'installations nouvelles. Il y a encore un an, ces enjeux sans précédent étaient gérés par des entreprises en grande difficulté. Aujourd'hui, la réorganisation industrielle a été décidée et la recapitalisation est faite. Il s'agit évidemment, pour moi, de vérifier que ces moyens généraux supplémentaires pour les entreprises seront bien affectés aux endroits appropriés du point de vue de la sûreté. Il faut à la fois des moyens financiers et, surtout, des compétences techniques aux bons endroits. C'est un point sur lequel je suis vigilant.

Ces trois éléments de contexte sont moins préoccupants qu'il y a un an. Voilà pour un jugement global sur la sûreté à l'heure actuelle.

Quant à l'articulation entre sûreté et sécurité, actuellement et globalement, nous ne sommes pas chargés de la question de la sécurité, à une exception près : les sources radioactives, que l'on utilise dans le domaine médical ou dans l'industrie. Les radiographies visant à vérifier l'état des soudures de tuyaux sont faites à l'aide de sources radioactives assez puissantes, puisqu'elles permettent de radiographier des soudures en acier. Ces objets, de petite taille, une fois débarrassés de leur protection, sont très puissants et susceptibles de causer de graves dégâts, notamment s'ils sont entre des mains malveillantes. Nous avions là un sujet orphelin dont le suivi attentif n'incombait à personne. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte nous en a confié la responsabilité, que nous exerçons notamment au travers de nos inspections.

Ce n'est cependant qu'un tout petit sujet par rapport à l'ensemble des enjeux de sécurité. Par exemple, nous ne sommes pas, à ce stade, chargés de la sécurité et de la protection des réacteurs des grosses installations contre les actes de malveillance, contrairement à ce qui se passe dans les autres grands pays nucléaires. Certaines choses ne relèvent jamais, nulle part, d'une autorité de sûreté nucléaire : définir la menace terroriste relève des services de renseignement spécialisés, et intervenir en cas d'attentat ou de tentative d'attentat ne relève évidemment pas d'une autorité de sûreté nucléaire. En revanche, une fois que la menace est définie, nos homologues étrangers s'occupent de faire en sorte que les installations soient bien dimensionnées et que les exploitants fassent les bons gestes en temps voulu.

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