La question des suites de Fukushima ne concerne pas les seuls réacteurs ; en France, nous en avons élargi le champ à l'ensemble des installations. Le Japon a subi un séisme d'une puissance que nous ne connaîtrons probablement pas en France. Plutôt que d'en déduire qu'il n'y a rien à faire, notre approche a été de considérer qu'ils s'étaient fait surprendre par quelque chose à quoi ils n'avaient pas pensé. Nous avons donc essayé de savoir comment faire face à l'impensable, ce qui est évidemment compliqué.
De manière plus pragmatique, nous nous sommes demandé comment faire face à un accident grave quelle que soit son origine, y compris des actes de malveillance. La réponse est assez basique : pour la plupart des installations, il faut remettre de l'eau, en quantité suffisante. Et pour ce faire, il faut de l'eau, de l'électricité, et des tuyaux pour tout relier. C'est le sens de toutes les demandes que nous avons faites, mêmes si certains aspects étaient un peu plus subtils. Dans un premier temps, nous avons demandé à l'ensemble des exploitants de rajouter des pompes mobiles, de rajouter des tuyaux, et de créer une source froide d'appoint, par exemple un pompage dans la nappe phréatique pré-réalisé. Pour les moteurs diesels qui permettent aux pompes de fonctionner, il faut de l'électricité. Des moteurs diesels supplémentaires, de petite taille, ont été installés en hauteur, sur un des bâtiments, à l'abri des inondations ou des vagues. Mais ils ne sont pas à l'abri de tout : des agressions causées par l'aviation – pas nécessairement malveillantes – pourraient les endommager.
Cette première phase est entièrement terminée. S'y est ajoutée la mise en place de forces d'action rapides – qu'EDF appelle FARN, pour « force d'action rapide nucléaire » – sur quatre sites en France. Des moyens et du personnel ont été prépositionnés afin que le jour venu, ils soient capables de se projeter et apporter leur secours aux sites qui connaissent des problèmes, y compris dans le cas d'un accident de type Fukushima où plusieurs réacteurs sont en difficulté. Pour les autres grands exploitants tels que Framatome ou le CEA, le même type de demande ont été faites, et elles ont été réalisées.
Cette phase 1 correspond à ce qui a été demandé dans les autres pays. En France, nous sommes allés plus loin. Par exemple, nous avons demandé d'ajouter de gros moteurs diesels dans un bunker protégé de tout ou presque, il y a toujours des limites. Ce sont des travaux plus importants, qui vont bien au-delà des seuls moteurs diesels, et leur réalisation s'étalera jusqu'en 2021.
Nous avons également exigé une troisième tranche, que n'ont pas prévue d'autres pays, qui sera faite lors de la quatrième visite décennale de chaque installation.
Le plan de bataille est fixé, et la phase 1, prévue dans les autres pays, est déjà en place. Toutes ces mesures seront aussi positives en vue de la prolongation, et même si elles ne sont pas suffisantes à ce stade, elles sont bonnes pour la sûreté.
Nos demandes sont à peu près équivalentes pour toutes les grosses installations, dont EDF représente à peu près la moitié. Les installations d'EDF sont extrêmement standardisées, ce qui nous rend plus efficaces, car lorsqu'un problème est réglé pour une installation, la solution vaut aussi pour les autres réacteurs. À la différence, les autres installations du cycle sont extrêmement variées, chacune est unique. Il n'y a qu'une seule usine de La Hague, avec plusieurs installations ; les réacteurs de recherche imposent une tout autre approche, et les lieux de stockage ou d'entreposage impliquent encore une autre logique de sûreté. L'approche est beaucoup plus sur mesure. Pour les installations du CEA, les questions de démantèlement sont compliquées parce que leurs installations sont plus anciennes, donc un plus grand nombre d'entre elles est en cours de démantèlement. Or le CEA fonctionne sur moyens budgétaires. Et si j'ai mentionné l'amélioration que constituait la recapitalisation d'EDF et d'Areva, pour le CEA, les questions budgétaires constituent un frein au démantèlement. S'agissant d'Areva – devenue Orano –, la reprise des déchets anciens à La Hague constitue un enjeu important à nos yeux, et nous avons imposé des prescriptions.
Je ne sais pas si nous sommes « perméables » vis-à-vis d'EDF, je ne sais pas exactement ce que vous entendez par ce terme, j'y vois un problème d'étanchéité. Il suffit de voir la réaction d'EDF à certaines de nos décisions pour constater que nous ne sommes pas perméables. Il nous arrive fréquemment de discuter sur les sujets techniques avec EDF, mais à la fin, nous prescrivons. Par exemple, nous avons imposé il y a trois ou quatre mois l'arrêt des quatre réacteurs du Tricastin, EDF n'était pas d'accord, mais cela a été fait.
S'agissant des défauts cachés dans les pièces réalisées au Creusot, le but de la démarche en cours est justement qu'ils ne le soient plus. Ces défauts avaient effectivement été dissimulés, et nous les avons trouvés en reprenant les documents pour y trouver les fraudes et les falsifications. L'ASN souhaite purger cette situation et étudier chaque dossier. Il y a plus de 2 millions de pages à relire, une par une, et il faut un expert pour arriver, au vu d'un seul document, à soupçonner une falsification. C'est un travail compliqué. Je prévois d'ailleurs qu'au terme de ce travail sur les documents, une vérification soit faite sur site. Il faudra bien cibler pour nous assurer de ne pas être passés à côté d'une falsification. Nous verrons plus clair dans les prochains mois pour savoir où viser intelligemment.
En ce qui concerne la sécurité, je persiste à dire, quoi qu'en disent d'autres, qu'il suffit de regarder comment les choses sont organisées ailleurs. Il y a une raison technique à cela ; il n'est pas question de l'intervention de la puissance publique ou de la définition de la menace, ce n'est nulle part le champ d'intervention des autorités de sûreté nucléaire. Mais partout ailleurs, y compris aux États-Unis ou au Royaume-Uni, qui ont aussi des autorités indépendantes, elles sont en charge de la sécurité. C'est un simple rappel factuel.
Quant à l'éventuelle mauvaise foi des exploitants, nous avons connu des cas dans lesquels les déclarations d'événements ou d'écarts étaient tardives. C'est pourquoi nous serons très attentifs à ce que les exploitants détectent leurs propres anomalies, car ils sont au plus près des installations ; mais aussi à ce qu'ils nous en parlent rapidement. Nous n'avons pas été tout à fait satisfaits des agissements des exploitants dans certains cas. Mais au-delà, on ne peut pas parler de mauvaise foi caractérisée et systématique. Nous ne sommes pas toujours d'accord avec les uns ou les autres, loin de là, nous sommes une autorité technique et nous restons dans notre champ.
L'autorisation de redémarrage de l'usine du Creusot a fait suite à un travail d'amélioration de l'usine qui a duré un an et demi, mené par Areva sous notre surveillance et celle d'EDF, qui est de ses premiers clients au niveau français. Areva a défini un plan d'action qui touche à des aspects très variés. Un certain nombre des personnes concernées n'est plus au Creusot. La formation a été systématisée. Et les surveillances en cascade ont été renforcées, car ce genre d'activité n'est pas réalisé par une personne seule. Il y a tout d'abord une surveillance hiérarchique locale, et l'encadrement a connu quelques changements ; puis la surveillance qu'exerce la maison-mère, Areva, sur le Creusot ; et celle d'EDF sur l'ensemble de l'usine. EDF sera notamment capable de se rendre dans l'usine à n'importe quel moment. Enfin, nous avons placé cette usine en surveillance renforcée car nous devrons être extrêmement attentifs au cours de la phase de remontée en marche de l'usine. Des pratiques inacceptables y ont eu cours, et nous devrons vérifier qu'elle fonctionne bien, conformément au nouveau schéma qui a été présenté. Nous avons donc donné notre accord au redémarrage, à la condition que l'ensemble de ces surveillances soient maintenues tant qu'il existera le moindre doute sur la qualité des opérations.
S'agissant de la surveillance renforcée de la Franco-Belge de fabrication du combustible (FBFC) à Romans-sur-Isère, je ne connais pas les détails. Cette société a été placée en surveillance renforcée il y a quelque temps maintenant, en 2014. Les derniers éléments qui me sont remontés, mais qui peuvent être antérieurs aux derniers événements, étaient plutôt positifs quant à la reprise en main du site en matière de qualité et de sûreté d'exploitation. Nous envisagions, sous réserve d'une dernière vérification établissant que tout est opérationnel, de lever la surveillance renforcée. Peut-être que ce que vous venez de dire remet en cause cette conclusion, mais je ne peux pas vous parler du cas que vous évoquez, car je ne le connais pas personnellement.