La sûreté des installations nucléaires et la possibilité de prolonger leur emploi après quarante ans dépend d'une part de la conception des centrales, qui doivent être conçues de manière à pouvoir faire face aux accidents, et, d'autre part, de l'exploitation, car une installation bien conçue mais mal exploitée peut présenter des risques. Or il arrive qu'un réacteur parfaitement sûr à un moment donné, voie son niveau de sûreté décroître pour des raisons liées à son exploitation, par exemple à des problèmes de management.
Pour que la prolongation puisse être validée, la loi de 2006 sur la transparence et la sécurité nucléaire a donc rendu obligatoires des réexamens de sûreté tous les dix ans, sachant qu'auparavant ces examens étaient réalisés de manière systématique pour les réacteurs d'EDF, mais pas pour les autres installations. Ces réexamens de sûreté se composent d'une part d'une analyse approfondie de la conformité de l'installation à certains critères et, d'autre part, d'une amélioration du niveau de sûreté. En d'autres termes, l'Autorité de sûreté nucléaire exige des opérateurs que, à l'occasion du réexamen qui va accompagner le passage au-delà de quarante ans – ce qu'on appelle la quatrième visite décennale –, le niveau de sureté des réacteurs soit élevé à la hauteur de ce qu'il est pour les réacteurs plus récents, de troisième génération.
Je souligne qu'il s'agit là d'une exigence française et européenne – elle a été reprise dans la directive Euratom de 2009, modifiée en 2014 suite à l'accident de Fukushima –, mais que ce n'est en aucun cas une pratique qui s'est généralisée au niveau mondial, les États-Unis demeurant pour leur part dans une logique qui consiste à maintenir le niveau de sûreté requis, sans chercher à l'améliorer.
Concrètement, les réacteurs de nouvelle génération, dits de troisième génération, comme l'EPR, ont été conçus en intégrant les leçons de l'accident survenu à Three Mile Island en 1979, lequel n'avait pas été anticipé par les concepteurs de la centrale américaine. Ces derniers avaient en effet imaginé que l'accident le plus grave qui puisse intervenir était la rupture de la canalisation la plus grosse ; ils furent contredits par les faits, qui montrèrent que des dysfonctionnements plus subtils pouvaient s'avérer tout aussi lourds de conséquences.
À l'époque, la plupart des réacteurs en activité aujourd'hui avaient déjà été conçus et n'intégraient donc pas les enseignements de l'accident de Three Mile Island. Il a donc fallu les améliorer, ce qui a donné lieu au développement de toute une industrie spécialisée dans l'accidentologie nucléaire.
En revanche, les réacteurs de nouvelle génération, construits à partir de la fin des années 1980 et du début des années 1990, intègrent, eux, ce type de risques. Concrètement, ils sont équipés, sous la cuve, d'un core catcher, un récupérateur de corium ou cendrier, censé recueillir le combustible fondu qui aurait traversé la cuve. Réfractaire, le récupérateur de corium va arrêter la progression du combustible et faire en sorte qu'il ne traverse pas le radier et ne se répande pas dans l'environnement.
Pour en revenir aux réacteurs d'ancienne génération, la question est de savoir comment, concrètement, on se rapproche de ces nouvelles normes. EDF, en effet, considère qu'il est impossible, faute de place, de rajouter des core catchers sous les cuves. En revanche, l'opérateur affirme qu'il est possible d'arriver au même résultat en travaillant sur les interactions entre corium et béton. L'IRSN est évidemment investi dans la recherche sur cette question. Il reste que, pour l'heure, au titre de notre expertise, nous ne sommes pas en mesure de conclure qu'il y a là une solution adaptée et satisfaisante. En tout état de cause, à l'issue de leur quatrième visite décennale, les réacteurs de deuxième génération auront atteint un niveau de sûreté supérieur, mais en deçà néanmoins du niveau de sureté des réacteurs de troisième génération. On ne peut en effet faire du neuf avec du vieux, toute la question étant de savoir si le niveau de sûreté atteint est néanmoins considéré comme suffisant.
Vous avez évoqué les incidents survenus dernièrement. Il faut ici distinguer les événements nucléaires et les incidents, inclus dans les précédents. Là encore nous avons eu à tirer des enseignements de l'accident de Three Mile Island. En effet, dix-huit mois auparavant, une séquence accidentogène identique s'était déroulée sur un autre réacteur sans que, grâce à une meilleure réaction des opérateurs, l'accident se produise. Malheureusement, à l'époque, rien n'obligeait les opérateurs à rendre publics ces événements, qu'ils gardèrent donc pour eux. Pour éviter que ne se reproduisent de tels manquements, il est désormais exigé des opérateurs qu'ils se livrent à un retour d'expérience et déclarent toute survenue d'événement à leur autorité afin qu'elle puisse être partagée au niveau mondial.
Les événements ainsi déclarés – un peu plus de six cents par an en France – sont ensuite répertoriés en fonction de leur degré de gravité. Pour la plupart d'entre eux, l'impact sur la sûreté est peu significatif. En ce qui concerne les autres, ils sont classés – sur une échelle de gravité de 1 à 7 – au niveau 1 ou 2, le niveau 3 n'étant en général jamais atteint. On a ainsi dénombré en 2017, 64 événements de niveau 1 ainsi que 4 incidents de niveau 2, ce qui ne s'était plus produit depuis 2012. Ces quatre incidents peuvent signifier deux choses : soit que le niveau de sûreté des installations s'est dégradé, soit que les investigations ont été poussées plus loin qu'elles ne l'étaient auparavant, EDF ayant dernièrement engagé une série d'examens visant à déceler les points de non-conformité de ses installations.
Il est donc difficile d'évaluer le niveau de sûreté sur la seule base du nombre d'incidents survenus, et nous n'avons pas les moyens à ce stade de définir clairement la cause de cette remontée des statistiques. Sachant que les événements de niveau 1 connaissent depuis plusieurs années une baisse limitée mais régulière, nous considérons qu'il n'existe aucun signal tangible témoignant d'une dégradation de la sûreté. Nous estimons en revanche que les opérateurs doivent faire preuve d'une vigilance particulière dans au moins deux domaines, celui d'abord de la conformité des installations et celui ensuite de la perte de qualité liée à la maintenance.
Les réacteurs nucléaires font l'objet d'opérations de maintenance régulières qui sont soit programmées – c'est-à-dire inscrites dans le calendrier d'entretien –, soit réactives – c'est-à-dire faisant suite à un événement particulier. Or il arrive que ces opérations de maintenance, parce qu'elles ne se déroulent pas comme il aurait fallu, introduisent de la non-conformité dans le système et que cette non-conformité ne soit décelée que longtemps après. L'IRSN appelle donc EDF à la plus grande vigilance en la matière, car l'effort fait pour augmenter le niveau de sûreté des installations sera nécessairement obéré si l'installation n'est pas conforme. L'opérateur est donc appelé à intensifier ses examens de conformité.
Pour en revenir aux quatre incidents de niveau 2 survenus en 2017, ils concernent précisément des points de non-conformité relativement anciens. Deux d'entre eux avaient trait pour l'un à l'ancrage, pour l'autre au vase d'expansion des diesels de secours, c'est-à-dire à l'accroche au sol et au système permettant d'absorber les variations de l'eau de refroidissement des systèmes électriques. Le troisième incident concerne la dégradation du réseau d'alimentation en eau contre les incendies, qui aurait pu, en cas de séisme maximum de sécurité (SMS), provoquer l'inondation des locaux. Le quatrième enfin a trait à l'insuffisante résistance de la digue du Tricastin.