Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 9h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) :

Le projet Cigéo consiste à stocker à 500 mètres de profondeur environ 10 000 mètres cubes de déchets de haute activité à vie longue (HAVL) et 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL). Je ne vais évidemment pas commenter l'opération d'évacuation qui a lieu en ce moment, qui n'entre pas dans le champ de responsabilité de notre institut.

L'idée du stockage en couche géologique profonde part du principe selon lequel la radioactivité des déchets est présente pour plusieurs centaines de milliers d'années : dès lors, il faut trouver la meilleure manière de protéger les personnes et l'environnement sur cette très longue durée. L'option de stockage en couche géologique profonde est l'option de référence, sous réserve que soit apportée la justification que le stockage remplit bien l'objectif de sûreté. Le site de Bure, exploité par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), est situé à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Le stockage proprement dit doit se faire dans une couche d'argile d'une épaisseur de 100 à 150 mètres, située à 500 mètres de profondeur. L'objectif est que la radioactivité ne puisse pas se retrouver à la surface, et pour cela il faut éviter deux choses. D'une part, il ne faut pas que la surface se rapproche du colis, notamment du fait de l'érosion, dont l'effet sur une période de plusieurs centaines de milliers d'années ne doit pas être négligé : c'est pourquoi le stockage se fait à une telle profondeur, et c'est aussi ce qui explique que nous écartions l'option du stockage en subsurface. D'autre part, il ne faut pas que la radioactivité remonte à la surface, notamment en étant transportée par l'eau : c'est ce qui explique le choix d'effectuer le stockage au milieu d'une couche d'argile, destinée à assurer une certaine imperméabilité.

Cette installation nécessite une attention particulière, car elle est inhabituelle à la fois en termes de durée – à elle seule, sa durée d'exploitation serait d'une centaine d'années – et pour ce qui est de la profondeur à laquelle elle est située : à l'heure actuelle, il n'existe aucune installation de surface conçue pour durer si longtemps – le réacteur EPR, par exemple, est construit pour une durée de soixante ans.

Où en sommes-nous actuellement ? Le processus a commencé au début des années 1990 avec la sélection de plusieurs sites, parmi lesquels celui de Bure a finalement été retenu. L'ANDRA a transmis à l'ASN, en avril 2016, le dossier d'options de sûreté : nous sommes donc plutôt en amont du processus, et pas encore aux détails de la conception. Le dossier d'options de sûreté comprend une première partie relative au concept de stockage, à l'inventaire et aux objectifs de sûreté, une deuxième partie relative à la sûreté en exploitation et une troisième partie relative à la sûreté après fermeture.

L'ASN nous ayant saisis sur ce sujet, nous avons rendu un avis au cours de l'été dernier. Si nous considérons que le projet a une maturité suffisante à ce stade, notamment compte tenu des progrès faits dans l'acquisition des connaissances nécessaires à la démonstration de sûreté, nous avons cependant identifié un certain nombre d'interrogations, ce qui n'a rien d'anormal car le processus de démonstration de sûreté avec l'IRSN se fait toujours de manière interactive : nous soulevons des questions auxquelles l'exploitant ayant déposé le dossier doit apporter des réponses.

En l'occurrence, nous avons identifié quatre questions. La première est celle de l'optimisation de l'architecture de stockage. La deuxième est celle de la surveillance en exploitation, qui n'était pas suffisamment détaillée dans le dossier d'options de sûreté compte tenu de la durée d'exploitation prévue : durant cent ans, l'ANDRA doit être en mesure de surveiller les ouvrages souterrains, mais aussi les colis qu'ils contiennent.

La troisième question est celle des modalités d'intervention de l'ANDRA dans le cas où surviendrait une situation pouvant conduire à une contamination – je rappelle qu'à la suite d'un incendie, une contamination s'est produite au Waste Isolation Pilot Plant (WIPP), un centre de stockage de déchets radioactifs au Nouveau-Mexique, ce qui a nécessité l'arrêt du stockage durant trois ans et la mise en oeuvre de mesures de protection spécifiques : il s'agit donc d'une hypothèse qui ne peut être exclue et à laquelle nous devons réfléchir.

Enfin, la quatrième question est celle des déchets bitumineux : ces déchets, issus du traitement des effluents de l'installation nucléaire, sont enrobés dans du bitume, une matière présentant la caractéristique de pouvoir s'enflammer. Nous soulevons donc la question du degré de maîtrise d'un incendie dans le stockage, qui nécessite d'examiner deux sujets : d'une part, la réactivité du produit lui-même, à savoir les fûts de bitume, d'autre part, la conception du stockage. Aujourd'hui, on considère que si un feu démarrait sur un fût de bitume, l'incendie ne se propagerait pas très vite, mais la conception du stockage empêcherait l'ANDRA d'intervenir pour retirer le colis en train de brûler.

Toutes ces questions sont importantes, et peuvent même revêtir un caractère structurant. Cependant, je répète qu'il n'est pas anormal qu'elles se posent à ce stade du projet, à savoir celui du dossier d'options de sûreté, dont l'instruction est appelée à se poursuivre. Pour répondre précisément à votre question, je dirai que nous continuons à travailler afin de nous préparer à la réception du dossier déposé par l'ANDRA, correspondant à sa demande d'autorisation de création de site en 2019.

Comme je l'ai dit précédemment, nous avons mis en place un processus d'interaction avec l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), la commission locale d'information (CLI) et le comité local d'information et de suivi (CLIS) de Bure, des experts non institutionnels et des personnes ayant participé au débat public de 2013. Nous avons souhaité que cet échange ait lieu en cours d'expertise, ce qui n'avait jamais été fait auparavant : d'ordinaire, on procède à l'expertise avant d'engager les discussions – c'est ce qui s'est fait pour l'étude relative à l'EPR, ainsi pour les quatrièmes visites décennales.

Nous ne connaissons pas la thèse à laquelle vous faites référence, mais nous trouvons que la démarche de l'ANDRA, consistant à accepter de faire analyser son mode de fonctionnement par un historien spécialiste des sciences humaines, est assez intéressante. De ce que j'ai pu lire à ce sujet, je retiens une interrogation sur l'accès aux bonnes données, notamment par l'IRSN. En tout état de cause, l'institut ne se contente évidemment pas des données de l'ANDRA : nous examinons les données qu'elle nous fournit, constituant le dossier qu'elle dépose, mais nous avons aussi nos propres moyens de calcul – je pense notamment à Mélodie, un logiciel très performant de simulation numérique de diffusion de la radioactivité dans l'environnement. Parmi les autres outils dont nous disposons figure également un tunnel ferroviaire datant du xixe siècle, situé près de la ville de Roquefort, dans l'Aveyron : l'argile dans laquelle est creusé ce tunnel ressemblant à celle de Bure, nous pouvons y mener des expériences indépendantes et en transposer les résultats au site expérimental de Cigéo – et je dois dire que nous constatons au quotidien une grande similarité entre les données fournies par l'ANDRA et celles que nous obtenons par nous-mêmes. Il existe par ailleurs une littérature internationale abondante portant sur la géologie et le stockage en milieu géologique, pratiqué dans plusieurs pays, ce qui nous permet de nombreux échanges d'informations.

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