Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le 4 juillet dernier, ici même, à l'occasion de mon discours de politique générale, j'avais évoqué l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, et j'avais pris l'engagement que l'État jouerait pleinement son rôle d'acteur et de garant de ce processus pour conforter le « destin commun » inscrit dans le préambule de l'Accord de Nouméa. Cette consultation permettra à chaque Calédonienne et à chaque Calédonien d'exprimer son choix sur l'avenir de l'archipel. Cette échéance historique est la concrétisation d'un engagement pris il y a trente ans par l'État, les indépendantistes et les non-indépendantistes.
La parole donnée sera honorée. Aujourd'hui, ce qui a pu longtemps apparaître comme une perspective lointaine, porteuse non seulement d'espoirs, mais aussi d'inquiétudes ou d'interrogations, est bien réel. La consultation prend forme ; le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, dont c'est la compétence, discute en ce moment de la date de celle-ci. Si des vues différentes subsistent sur la forme de cette délibération, tous les groupes politiques ont exprimé leur accord sur la date du 4 novembre 2018.
C'est une consultation hors normes. Les dispositions du projet de loi organique qui vous est soumis, après le vote quasi unanime du Sénat, en témoignent.
Cette consultation est un défi pour l'État, chargé d'organiser, pour la première fois depuis des décennies, un référendum d'autodétermination. Mon gouvernement, en particulier Annick Girardin, ministre des outre-mer, est pleinement impliqué dans le suivi des questions liées à l'organisation du référendum et, plus largement, dans tous les sujets qui concernent la Nouvelle-Calédonie : les visites sur place, les réunions du Comité des signataires, le suivi des groupes de travail, les échanges réguliers avec l'Organisation des Nations unies.
Cette consultation est aussi un défi pour les forces politiques calédoniennes, qui, conscientes de leurs responsabilités, expriment très largement la préoccupation de ne pas voir remis en cause l'acquis inestimable de ces trente années de paix.
Cette consultation est enfin, et surtout, pour la population calédonienne, une source d'interrogations légitimes face à l'incertitude, face à la crainte que les acquis de la paix soient remis en question. Je pense à cette part importante de la population de la Nouvelle-Calédonie – un Calédonien sur trois – qui n'était pas née lors de l'Accord de Nouméa et qui n'a connu que ce qui a suivi.
Mesdames et messieurs les députés, poser la question de la pleine souveraineté ou de l'indépendance ou du maintien dans la République, c'est demander au peuple de trancher, de donner une réponse ferme et claire – de dire oui ou non. C'est forcément s'inscrire, au moins le temps d'une question, dans une logique binaire. C'est indispensable, c'est inévitable, c'est nécessaire – mais cela n'est pas sans risque, car trancher, c'est parfois prendre le risque de diviser, et diviser, en Nouvelle-Calédonie encore plus qu'ailleurs, est dangereux.
En parallèle de la consultation, l'urgence qui nous anime est donc de rappeler ce qui unit, ce qui soude, ce qui porte la Nouvelle-Calédonie. Chacun de nous a la responsabilité de veiller, dans cette tension propre à la consultation, à protéger cet acquis. Je me réjouis qu'après la commission des lois du Sénat, la mission d'information mise en place par l'Assemblée nationale ait pu se rendre sur place, récemment, à la rencontre des acteurs politiques locaux et aussi, vous avez eu raison de ne pas l'oublier, de la société civile – je pense en particulier à la jeunesse. Ces rencontres ont permis de compléter le travail que vous aviez déjà réalisé au moyen de nombreuses auditions.
Après avoir consulté largement lors de mon déplacement en Nouvelle-Calédonie, début décembre, j'ai proposé que l'État et les forces politiques calédoniennes débattent de cet acquis, dont toutes les femmes et les hommes de bonne volonté souhaitent qu'il soit aussi irréversible que les transferts de compétences à la Nouvelle-Calédonie. Cet acquis, cet actif immatériel, a de multiples formes ; il est notamment constitué, à mes yeux, par une pratique politique donnant une large place au consensus, et aussi par des valeurs et des principes fondés sur l'histoire de ce territoire, sa place dans le Pacifique sud et celle dans ce que nous formons ensemble. Un projet de « Charte des valeurs » avait été préparé en octobre 2016 par la mission d'écoute et de conseil sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ; ce document constitue une base solide de travail, qui a été approfondie par un groupe de travail restreint, constitué par les responsables des groupes représentés au Congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Permettez-moi de faire une incidente sur ce format de discussion. Je voudrais d'abord confirmer, comme l'ont fait par communiqué les participants au groupe de travail, qu'il n'y a pas d'agenda caché et que ce groupe ne se substitue pas aux institutions comme le Congrès ou le Comité des signataires. D'ailleurs, j'avais indiqué au Congrès les thèmes qu'il devait aborder : le bilan politique de l'Accord de Nouméa, les valeurs et le projet de société, la place de la Nouvelle-Calédonie dans le monde, les transferts de compétence.
Ces dernières semaines, le groupe de travail a connu des turbulences et des participants ont décidé de se mettre en retrait. Ce format de dialogue à haut niveau, regroupant les responsables des forces politiques, me semble néanmoins conserver sa pertinence ; c'est aussi l'avis de plusieurs responsables politiques. Il permet des échanges de vues, de travailler à ce qui rassemble. Je sais aussi que la confiance, qui n'est jamais définitivement acquise, doit être rétablie entre toutes les parties à ce groupe de travail.
Je me garderai donc de toute dramatisation. Le dialogue n'est pas rompu, il se concrétise dans les nombreux espaces d'échange existants, au Gouvernement comme au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, et aussi, et peut-être surtout, dans le cadre du Comité des signataires.
Je réunirai le Comité des signataires de l'Accord de Nouméa fin mars. Ce sera l'occasion de dresser l'état d'avancement des discussions, ainsi que de parler de manière approfondie de l'organisation de la consultation ; je pense notamment à la formulation de la question, qui est source de nombreuses rumeurs, alors qu'en vérité, le champ des possibles est très limité. Nous en discuterons à cette occasion.
Le projet de loi organique qui vous est présenté, mesdames et messieurs les députés, a pour origine un dialogue fructueux conduit au sein du comité des signataires de l'Accord de Nouméa, puis au sein du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement a choisi de retenir la formulation proposée par le Congrès. Ce dialogue a permis de solder politiquement une difficulté apparue non pas sur la définition du corps électoral – qui est inchangé, j'y insiste – , mais sur les modalités d'inscription des électeurs.
Les articles 1er et 2 du projet de loi organique ouvrent la voie à une inscription d'office, afin de permettre l'expression la plus large possible lors de la consultation. Les personnes concernées seront, dans un premier temps, inscrites d'office sur la liste générale, avant d'être, sous réserve de remplir certaines conditions, inscrites d'office sur la liste complémentaire pour la consultation. J'en rappelle les conditions : être né en Nouvelle-Calédonie et relever du statut civil coutumier, ou bien être né en Nouvelle-Calédonie et y détenir le centre de ses intérêts matériels et moraux, ce qui se concrétise par une résidence continue dans le territoire durant ces trois dernières années.
Comme le Conseil d'État l'a relevé dans son avis sur le projet de loi organique, pour l'inscription d'office prévue à l'article 2 comme « pour l'ensemble des hypothèses d'inscription d'office énumérées à l'article 218-2 de la loi organique du 19 mars 1999, la présomption instituée par le texte est réfragable ». En outre, le Conseil d'État a précisé « qu'il appartiendra en tout état de cause aux seules commissions administratives spéciales mentionnées à cet article d'apprécier, le cas échéant sous le contrôle du juge, le bien-fondé d'une inscription d'office au titre de cette disposition ». L'inscription d'office n'est donc pas une inscription automatique : la commission administrative spéciale chargée de procéder aux inscriptions sur la liste électorale spéciale conserve un pouvoir d'appréciation.
La portée de l'inscription d'office est double. Elle a d'abord pour effet de garantir que les personnes concernées n'auront pas à fournir de dossier ; c'était l'un des points essentiels de la discussion. Elle conduit ensuite à renverser la charge de la preuve concernant la condition relative au centre des intérêts matériels et moraux : dès lors que la personne aura été proposée à l'inscription d'office par l'État, il appartiendra à la commission, pour rejeter cette inscription, de démontrer, sous le contrôle du juge, que l'électeur potentiel ne dispose pas du centre de ses intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie ; elle pourra saisir la commission d'experts prévue à l'article 218-1 des cas qu'elle jugerait problématiques.
Soyons clairs, mesdames et messieurs les députés : les données transmises par l'État seront issues de fichiers dont les modalités de rapprochement sont discutées en liaison étroite avec l'ensemble des partenaires, dans le cadre de groupes de travail existants. Elles permettront de garantir que la condition de trois ans de résidence sera solidement établie.
Outre les inscriptions d'office sur la liste électorale générale et sur la liste électorale spéciale, le projet de loi organique ouvre la voie, par son article 3, à la mise en oeuvre de bureaux de vote délocalisés, qui permettront aux électeurs des îles résidant à Nouméa de voter sur place. Cette disposition originale répond à une demande forte exprimée par les élus, qui craignaient que des électeurs ne doivent renoncer à participer au scrutin, faute de place dans un avion ou de moyens pour s'en offrir une.
En conséquence, parce que ce qui est privilégié, compte tenu de l'enjeu, est le vote personnel des électeurs, un encadrement plus strict de la délivrance des procurations a été jugé pertinent par tous. Tel est l'objet de l'article 3 bis.
Enfin, à la demande de l'ensemble des groupes politiques au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, une modification a été introduite dans les règles applicables à la répartition du temps de parole audiovisuel pendant la campagne officielle, afin de permettre la concrétisation d'un accord local déjà manifesté pour une répartition à parité entre indépendantistes et non-indépendantistes. C'est ce qui est prévu à l'article 5 quater.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, les dispositions sur lesquelles il me paraissait utile d'appeler votre attention, ainsi que l'état d'esprit dans lequel oeuvre le Gouvernement à l'approche de la consultation.
Avec, je le souhaite, l'adoption de ce projet de loi organique, un grand pas aura été accompli vers un scrutin sécurisé juridiquement et politiquement dans son organisation. L'État et les forces politiques calédoniennes partagent le même objectif, formulé ainsi lors du dernier Comité des signataires : « Garantir la légitimité et la sincérité du résultat du scrutin ». L'État met tout en oeuvre pour cela.
Le présent projet de loi organique permet de solder une grande partie des sujets organisationnels qui demeuraient. Reste celui de la formulation de la question, qui suscite des discussions et une forte attente de la part des votants ; il sera abordé lors du prochain Comité des signataires.
Parallèlement, l'État dialogue avec les forces politiques pour parler d'avenir, en proposant de s'appuyer sur ce qui existe, sur ce qui doit être conforté. L'État, tout en garantissant sa neutralité pour le déroulement de la campagne, s'y implique, car il est un acteur plein et entier – et, je veux le souligner, un acteur reconnu par les forces politiques calédoniennes – du processus politique et, plus largement, de ce qui advient en Nouvelle-Calédonie depuis trente ans. Nos discussions aujourd'hui à l'Assemblée nationale, avant, je l'espère, l'adoption du texte, confirment l'attention et le soutien de la nation tout entière envers ce processus exceptionnel, unique dans notre histoire, un processus qui nous oblige tous, un processus que nous allons faire vivre jusqu'au 4 novembre prochain – date la plus probable pour la consultation, en ce moment discutée et, je l'espère, bientôt adoptée.