Intervention de Philippe Gomès

Séance en hémicycle du mardi 13 mars 2018 à 15h00
Consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomès :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur – mon cher Manuel Valls – , chers collègues, je ne m'étendrai pas sur le texte pour la bonne et simple raison que Philippe Dunoyer, avec qui je partage la représentation du pays au sein de l'Assemblée nationale, a remarquablement défendu nos positions en commission des lois. Je saisirai plutôt l'occasion de l'examen de ce projet de loi organique, qui contribue à l'ajustement ultime du corps électoral référendaire à la veille d'une échéance majeure pour la Nouvelle-Calédonie, pour rendre dans cet hémicycle un hommage particulier aux pionniers qui ont en grande partie permis à la Nouvelle-Calédonie d'être ce qu'elle est aujourd'hui.

Oui, chers collègues, je souhaite vous parler d'un peuple improbable : le peuple calédonien, issu des hasards de l'histoire. Comprendre la Nouvelle-Calédonie, comprendre ce qui se passe dans notre pays, c'est d'abord comprendre comment ce peuple s'est constitué.

Le 6 janvier 1864, la frégate Iphigénie quitte le port de Toulon à destination de Nouméa. À son bord, 248 forçats. C'est le premier convoi de bagnards à destination de la Nouvelle-Calédonie.

Jusqu'en 1897, près de 75 convois rejoignent la Nouvelle-Calédonie, terre d'expiation pour 22 000 transportés qui viennent y purger leur condamnation aux travaux forcés. La brousse calédonienne leur doit ses premières routes, Nouméa ses premiers terrains gagnés sur la mer, et de nombreuses communes leurs édifices religieux.

Ces condamnés ne reverront jamais leur terre natale puisque, même après avoir accompli leur peine, ils doivent rester toute leur vie dans l'île. Ils devenaient alors la « chair à colonisation », l'administration leur attribuant une concession de six à huit hectares qui ne devenait définitive qu'à leur libération. C'est ainsi que se constitua une part de la communauté calédonienne de souche européenne, celle dite des « chapeaux de paille ». Ce passé douloureux a mis beaucoup de temps à être accepté.

Les deux premiers concessionnaires pénaux furent installés en 1869 à Bourail, l'un des quatre centres de colonisation pénale avec La Foa, Pouembout et le Diahot.

Ce lopin de terre représentait tout pour le transporté devenu concessionnaire : le seul moyen d'oublier le bagne, l'aube d'une vie nouvelle, et une perspective de réhabilitation sociale pour ses descendants. Ce petit bout de terre, il allait en faire, à la force de ses bras, avec sa sueur et sa volonté pour tout viatique, l'instrument de son salut ; il allait s'acharner à le mettre en valeur envers et contre tout.

Pourquoi ai-je cru utile d'aborder l'attachement du Calédonien à la terre ? Parce qu'on ne peut pas comprendre cet attachement si l'on ne connaît pas cet aspect issu de la colonisation. Aujourd'hui encore, dans les veines de bien des familles calédoniennes coule la terre du pays. Cette terre, pour le Calédonien, c'était sa vie.

À côté de cette Nouvelle-Calédonie terre d'expiation, pour beaucoup – les condamnés, les déportés, les relégués – , il y avait une autre Nouvelle-Calédonie : une Nouvelle-Calédonie terre d'espoir, celle de la colonisation libre, celle dite de la deuxième chance. Ce furent, pour la majeure partie, les « colons Feuillet », du nom du gouverneur qui lança cette nouvelle politique à la fin du XIXe siècle en attribuant des concessions gratuites de vingt-cinq hectares. Les centres de Voh, La Foa, Sarraméa, Canala, Houaïlou, Ponerihouen, Pouebo, Table-Unio, la vallée d'Amoa à Poindimié, celle de Tipindje à Hienghène, furent les principaux pôles d'accueil de ces colons d'un nouveau genre.

Mais, là aussi, cette colonisation connut son lot de désillusions et de souffrances. Une préparation pas toujours suffisante à cette nouvelle vie, une nature rugueuse, les aléas climatiques et l'effondrement des cours mondiaux ne facilitèrent pas la tâche de ces colons libres. Beaucoup ne trouvèrent pas le paradis agricole qu'on leur avait vanté. Aujourd'hui, en Nouvelle-Calédonie, les descendants de ces pionniers se définissent par le nom de leur ancêtre, du premier arrivant sur cette terre du bout du monde. Ils se définissent aussi par le nombre de générations qui les en sépare et par le lieu d'implantation d'origine de leur famille sur la terre de Nouvelle-Calédonie. C'est leur premier repère identitaire.

En plus de ces colonisations, d'autres individus firent de cette terre la leur : ce fut le cas de certains Anglais, Irlandais et Italiens ou encore des militaires et des fonctionnaires qui décidèrent de rester dans la colonie à l'issue de leur affectation. Ce sont tous ces pionniers qui ont fait de la Nouvelle-Calédonie ce qu'elle est aujourd'hui.

Mais il serait injuste de parler d'eux, sans mentionner ceux qui sont venus d'autres îles ou continents et qui ont, eux aussi, apporté leur contribution à la mise en valeur du pays dans des conditions souvent inhumaines. Je pense notamment à la communauté asiatique, d'origine chinoise, japonaise, javanaise ou vietnamienne – les Chân Dang – , qui, dès 1891 et jusqu'en 1945, servit de main-d'oeuvre bon marché dans le cadre de véritables contrats de chair humaine au service du capitalisme minier. Je pense aux Wallisiens, Futuniens et Tahitiens, qui, dans les années cinquante et soixante, vinrent en Nouvelle-Calédonie pour participer aux grands chantiers, comme le barrage de Yaté, ou travailler dans les mines de nickel de Thio, de Népoui ou de Kouaoua.

Comme le dit l'Accord de Nouméa, ces nouvelles populations « ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement ». Mais, lorsque la France prit unilatéralement possession de la Nouvelle-Calédonie, « ce territoire n'était pas vide », comme le dit aussi, un peu benoîtement, le même accord. Un peuple autochtone, le peuple kanak, porteur d'une civilisation millénaire, y vivait, enraciné dans son espace et son organisation sociale, dans ses clans, ses coutumes, ses langues, ses croyances, ses rites et ses traditions. La colonisation portait en elle la négation de l'identité kanak, à un point tel que ce peuple faillit disparaître.

Peuples d'ailleurs et peuple autochtone, tout au long des XIXe et XXe siècles vont se croiser, se heurter, combattre ensemble lors des conflits mondiaux, se métisser, entremêlant leur culture, dans le sang, la sueur, la spiritualité, la fraternité parfois, dans la quête d'une vie meilleure. Après bien des tumultes, bien des tourments, bien des souffrances, des premières révoltes kanak de 1856 jusqu'aux « événements » des années quatre-vingts, jusqu'à Ouvéa, les accords de Matignon-Oudinot de 1988 et l'Accord de Nouméa de 1998 ont permis à la Nouvelle-Calédonie « de tourner la page de la violence et du mépris pour écrire ensemble des pages de paix, de solidarité et de prospérité ».

En effet, depuis lors, notre pays est engagé dans un processus négocié, puis constitutionnalisé, de décolonisation et d'émancipation au sein de la République française. Le droit à l'autodétermination, droit consubstantiel à la décolonisation, pilier central du processus, a été reconnu au peuple calédonien, faisant de lui désormais un peuple souverain sur son destin, comme vous l'avez dit, très justement, monsieur le Premier ministre, en décembre 2017, lors de votre venue devant le Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Un peuple calédonien qui a en héritage une période coloniale faite de spoliations pour les Kanaks, d'expiation pour les forçats, de déracinement pour les pionniers et de labeur pour tous ; un peuple calédonien dont il est bien difficile pour chaque individu qui le compose de savoir d'où vient le sang qui coule dans ses veines ; un peuple calédonien que l'Accord de Nouméa a reconnu, en posant les bases d'une citoyenneté calédonienne, « permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun » ; un peuple reconnu comme tel par l'Accord de Nouméa, qui bénéficie d'un droit dont nul autre ne dispose à l'intérieur de la République : celui d'y rester ou d'en sortir.

Les Calédoniens partagent un socle de valeurs à l'image de leurs histoires mêlées : des valeurs républicaines d'abord, tel qu'affirmé dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dans notre Constitution, dans le préambule de celle de 1946 et dans le triptyque républicain – liberté, égalité, fraternité ; des valeurs chrétiennes qui irriguent le pays depuis près de deux siècles et qui ont contribué à une plus grande tolérance ; enfin, les valeurs kanak et océaniennes qui irriguent aussi les valeurs calédoniennes – l'importance de la tradition orale, la recherche du consensus dans les prises de décision, la solidarité, un certain rapport au temps, au monde et à l'environnement. Toutes ces valeurs se sont mêlées au point de devenir des valeurs endémiques, des valeurs calédoniennes. Comme le disait un vieux chef kanak, Nidoïsh Naisseline : « Les Calédoniens ont beaucoup de choses en commun : les paysages, la manière de pêcher, les coins de chasse, les histoires, les églises… Et puis, surtout, ils voient tout le monde depuis un seul endroit : depuis chez eux. »

Monsieur le président, mes chers collègues, ce que je souhaite aujourd'hui, c'est que ce peuple calédonien, malgré l'épreuve qu'il doit affronter le 4 novembre prochain, lors du référendum, puisse poursuivre sa route singulière au sein de la République. Ce que je souhaite, c'est que ce peuple calédonien n'oublie pas, au moment où il est réduit à ce qui l'oppose, ce qui l'unit, après cent soixante-cinq années d'histoire commune. Ce que je souhaite, c'est que nous poursuivions notre route, dans le dialogue et le respect des convictions de chacun, comme nos grands anciens, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ont su le faire : dialogues entre Calédoniens, dialogue entre indépendantistes et non-indépendantistes, dialogue entre notre pays et l'État. Ce que je souhaite, c'est que nous puissions continuer à bâtir ensemble l'avenir de notre pays, dans la France et dans la paix. Le groupe UDI votera ce projet de loi.

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