Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'irai droit à l'essentiel en donnant d'emblée notre position : nous voterons pour ce projet de loi organique. Ce projet de loi qui organise le référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie est l'aboutissement d'un long processus politique, entamé tragiquement avec le massacre d'Ouvéa en mai 1988 puis les accords de Matignon, la même année, enrichi par l'Accord de Nouméa en 1998, précisé par un accord politique au Congrès de Versailles en 2007, et par l'accord trouvé à Matignon et finalisé le 2 novembre 2017. Ce processus a créé les conditions pour que se tienne ce référendum en 2018. Néanmoins pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il est nécessaire de se pencher sur l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, et particulièrement celle du peuple kanak, au coeur de cette démarche référendaire.
Lorsque la France prend possession de la Nouvelle-Calédonie en 1853, notre pays est clairement dans une démarche colonisatrice : c'est le Second Empire, né d'un coup d'État contre la République, qui organise l'opération. Il commence par y établir un bagne pénitentiaire et exclure le peuple kanak, dont il brise l'organisation coutumière ; et cela continuera par la suite. Sous la Troisième République, ce rapport colonial prendra une forme spectaculaire, souvent évoquée dans la presse et dans les ouvrages : à l'occasion de l'Exposition coloniale de 1931, cent onze Kanaks sont exhibés tels des sauvages, présentés comme des cannibales, certains d'entre eux vendus à un cirque allemand en échange de crocodiles, d'autres passant plusieurs mois au Jardin d'acclimatation. En 1953, le Petit Larousse commente ainsi la définition du peuple kanak : « Ethnie en voie de disparition ». C'est cette colonisation qui a en grande partie détruit la culture et les coutumes propres aux Kanaks qui prévalaient alors dans l'organisation du champ social néo-calédonien. Puis des Européens sont venus s'installer en Nouvelle-Calédonie. Ensemble et tant bien que mal, ces populations mirent en valeur le territoire néo-calédonien et jetèrent les bases de son développement. Aujourd'hui, sur 260 000 habitants, les Kanaks représentent 40 %, les populations d'origine européenne 34 %, les Océaniens 17 % et les Asiatiques 4,5 %.
De l'existence de cette réalité complexe découle la nécessité de refonder l'unité du souverain : c'est le sens civique de l'oeuvre décolonisatrice que nous devons désormais entreprendre. La citoyenneté calédonienne, créée par la loi organique de 1999, a permis de réunir le peuple kanak autochtone avec les populations qui s'assemblèrent par la suite en une nouvelle communauté humaine affirmant son destin commun. Il s'agit de refonder le contrat social entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie et de partager la souveraineté avec la France. Néanmoins le préambule de l'Accord de Nouméa affirme la nécessité de prendre spécifiquement en compte l'identité kanak pour qu'elle soit mieux intégrée dans l'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie. En 2018, mon groupe soutient ce processus d'autodétermination, qui doit se dérouler de manière concertée, pacifique et légitime. Nous soutenons donc ce projet de loi qui transpose en dispositions législatives l'accord politique trouvé entre les parties prenantes indépendantistes et non indépendantistes le 2 novembre 2017 à Matignon, avec le souhait d'assurer la pleine légalité et légitimité du futur scrutin, afin qu'il soit accepté par tous.
Nous sommes d'accord avec la volonté de réduire le plus possible l'abstention lors de ce scrutin – c'est crucial du point de vue démocratique – en inscrivant d'office tous les électeurs qui ne le sont pas encore sur les listes électorales générale et spéciale pour le référendum. Cette première disposition permet d'adjoindre à ce processus démocratique 11 000 personnes de plus : 7 000 Kanaks et 4 000 « Caldoches ». Nous approuvons également l'élargissement du corps électoral avec l'inscription d'office sur la liste électorale spéciale pour la consultation de catégories de population légitimement concernées par le référendum : les natifs de l'île y ayant le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Nous soutenons ce projet de loi – j'insiste sur ce point – car il est l'aboutissement d'un processus de décolonisation initié dans un esprit républicain commun par les différentes parties prenantes de l'Accord de Nouméa. Nous y sommes favorables car il doit être le moyen de refonder un lien sociable durable entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie.
Nous sentons le poids de l'histoire sur nos épaules : ce sera en effet le premier scrutin d'autodétermination organisé par la France depuis la décolonisation de Djibouti en 1977, la Nouvelle-Calédonie étant inscrite depuis 1986 sur la liste établie par l'ONU des territoires à décoloniser. D'ailleurs, le comité spécial chargé d'étudier la situation en ce qui concerne l'application de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, plus connu sous le nom de Comité spécial des Nations unies sur la décolonisation, est actuellement en mission en Nouvelle-Calédonie – visite suggérée par le Gouvernement français lors de la réunion du Comité des signataires en novembre 2017.
Nous resterons vigilants pour éviter que l'État n'outrepasse son rôle d'organisateur de la consultation et vérifier qu'aucune entrave n'est opposée au vote et à la libre décision de ceux que l'Accord de Nouméa a consacrés comme corps électoral. Dans cette optique, monsieur le rapporteur, nous considérons comme malvenue l'expression de l'avis personnel du président de la mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ; vous avez exprimé votre attachement au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans le giron français, alors même que vous étiez en visite sur le territoire néo-calédonien.