Intervention de Général André Lanata

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air :

Je constate avec satisfaction que le futur de notre aviation de chasse est au centre de vos préoccupations – comme il est au centre des miennes. L'aviation de chasse est stratégique pour la France car son niveau signe le rang de notre pays, car elle fait appel à des technologies qui nous maintiennent dans la compétition stratégique – je pense à l'hypervélocité, au combat collaboratif, aux technologies de pénétration, à celle des armements ou des contre-mesures, etc. Elle est stratégique car elle délivre des effets militaires et stratégiques, décisifs dans toutes les crises et conflits modernes, depuis la dissuasion nucléaire jusqu'aux missions d'influence, par exemple lorsque nous montrons que nous sommes capables de projeter nos appareils aux antipodes, comme nous le ferons cet été en Asie du Sud-Est, et donc de faire peser la volonté de la France où que ce soit dans le monde.

Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, cette LPM prend la mesure de la complexité de la situation en lançant de nombreux axes d'études, ce qui va nous permettre dans un premier temps de faire des choix et dans un second temps, d'engager les opérations d'armement retenues. En la matière, l'une des difficultés provient du fait que différentes dimensions se trouvent étroitement entrelacées dans cette question : la dimension stratégique avec le renouvellement de la composante aéroportée de la dissuasion, la dimension industrielle, celle de la coopération internationale, la dimension budgétaire – car à un moment ou à un autre se posera la question des équilibres entre nos ambitions et les ressources dont nous disposons. Je précise à cet égard que si nous entendons maintenir le rang de la France dans ce domaine, il faudra investir de façon significative. C'est une question de choix. Enfin, évidemment, la dimension opérationnelle. C'est de cette dernière dont j'ai la responsabilité : les autres m'échappent en partie, même si je les intègre évidemment dans mon appréciation de ce dossier. En d'autres termes, je suis essentiellement fondé à m'exprimer sur les aspects relatifs à nos capacités à réaliser les missions qui seront confiées à l'aviation de chasse de demain.

Je vais commencer par répondre à votre interrogation sur l'entrelacement des actions liées au renouvellement de la composante nucléaire aéroportée d'une part, au système de combat aérien futur d'autre part. Ces deux actions se situent en fait à des horizons différents. En effet, la feuille de route de l'aviation de chasse prévoit que l'avion qui remplacera le Mirage 2000D devra être capable d'emporter le futur missile nucléaire, à l'horizon 2030-2035. À plus long terme, vers 2040, il conviendra de mettre en oeuvre le système de combat aérien futur (SCAF) dans le cadre d'une coopération européenne, un nouvel appareil ayant vocation à succéder au Rafale et à l'Eurofighter à cet horizon. Il me semble que nous sommes capables de dissocier les problématiques afin de tenir compte de ces deux échéances calendaires distinctes. Comme vous le voyez, il n'y a pas de télescopage entre les deux sujets.

L'adéquation entre le futur missile et son porteur constitue évidemment une question essentielle. C'est bien pourquoi les études que nous conduisons actuellement concernent non seulement le missile lui-même – vous savez que nous visons ici un objectif ambitieux, celui de l'hypervélocité vers lequel s'engagent les principales puissances, notamment les Russes, très actifs dans ce domaine – mais aussi le couple qu'il forme avec son avion porteur, de façon à intégrer tous les besoins, y compris celui du porte-avions. Je précise au passage que le choix de l'hypervélocité n'induit pas nécessairement un changement ou des adaptations majeures sur le porteur. Les études en cours examinent précisément ce point. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, pour répondre à nos besoins opérationnels, il est vital de continuer à maîtriser la troisième dimension, c'est-à-dire à garantir la supériorité aérienne pour pouvoir ensuite être en mesure de conduire les opérations aériennes – et, plus généralement, toutes les opérations que nous souhaitons mener, y compris sur mer et sur terre. Pour cela, nous devons veiller à conserver un temps d'avance sur les systèmes qui pourraient faire obstacle à nos opérations. Ma préoccupation consiste à être toujours capable d'entrer dans des espaces aériens de plus en plus contestés, comme le démontre la situation en Syrie par exemple, et de pouvoir y maîtriser l'emploi que nous faisons de la troisième dimension, c'est-à-dire empêcher nos adversaires d'en faire autant. Pour entrer dans ces espaces aériens, nous devons avoir la capacité de neutraliser les défenses ennemies qu'elles soient air-air ou air-sol, en disposant pour cela de chasseurs, et de façon générale d'un système de combat d'un niveau supérieur à ceux qui se trouveront en face de nous.

Par ailleurs, nous tirons aujourd'hui de plus en plus notre efficacité d'une maîtrise informationnelle renforcée et d'une plus grande connectivité du système de combat. Au lieu de raisonner exclusivement sur le développement des plateformes, je préconise, à ce stade de la réflexion, une approche également centrée sur l'architecture du système dans son ensemble. Un avion de combat ne produit pas à lui seul les effets nécessaires. Il est dépendant en particulier des informations dont il dispose : cela nécessite de combiner des capteurs, des armements, des moyens de surveillance, des moyens et des normes de communication souvent à très longue distance mais aussi l'appui du ravitaillement en vol, des moyens de détection aéroportés, etc. Il faut donc commencer par évaluer les architectures système et la norme d'échange du système de nature à répondre à nos besoins opérationnels. Nous serons ainsi en mesure de déterminer sur quels secteurs nous devons concentrer nos investissements. Car en faisant l'inverse, nous nous trouverions contraints d'organiser la connectivité entre les plateformes a posteriori, ce qui est évidemment facteur de complexité et de coûts supplémentaires.

J'ajoute qu'avoir une approche fondée davantage sur le système permet d'emblée de prendre en compte la dimension d'intégration de nos partenaires dans le système. Le F-35, qui ne peut être associé qu'à d'autres F-35 aujourd'hui, constitue un système fermé, une sorte de norme à lui tout seul. Ce n'est pas satisfaisant, car il n'est pas logique de devoir acheter des F-35 pour travailler en pleine association et avec efficacité avec ces avions. Notre ambition est de mettre en place un système ouvert, auquel pourront s'associer nos partenaires européens : il y a là une ambition dont la dimension est également politique.

Si, dans la locution « système de combat aérien futur », tous les mots ont leur importance, il ne faut pas avoir peur du mot « futur » au prétexte que ce serait inaccessible technologiquement ou budgétairement, car le système de combat aérien dont je parle existe d'ores et déjà. Dans le cadre de nos opérations au Sahel, par exemple, nous combinons déjà des drones, des hélicoptères, des avions de combat, des moyens de transport, des avions de ravitaillement en vol et des forces spéciales, l'ensemble étant connecté par des liaisons de données et relié en temps réel à nos centres de commandement et de contrôle par l'intermédiaire de communications satellitaires qui permettent de transférer les images à Paris ou en n'importe quel autre point du globe : qu'est-ce là, si ce n'est un système de combat aérien V.1 ? Quand le standard F4 du Rafale arrivera, nous en serons à un système de combat aérien V.2 ; quant au système de combat aérien « futur », il correspond en fait à ce que seront les versions V.3 ou V.4 beaucoup plus puissantes, beaucoup plus connectées et ouvrant de nouveaux horizons – il s'agit de définir où nous souhaitons nous situer à cet horizon.

Je préconise donc simplement un changement d'approche, puisque c'est bien le système qui produit les effets que nous cherchons à délivrer – d'où l'importance de réfléchir aussi sur la « norme système » qui permettra entre autres de travailler avec nos partenaires européens. J'ai peut-être été un peu long sur ce point, mais je pense avoir ainsi répondu à plusieurs de vos questions sur le système de combat.

Pour ce qui est du standard F4 du Rafale, Madame Pouzyreff, je suis ravi de voir que la visite que nous avons organisée sur la base aérienne de Saint-Dizier vous a permis d'appréhender les enjeux du dispositif que nous exploitons aujourd'hui. Je vous précise que le standard F4 comprendra en toute logique, le viseur de casque et la diversification du panel des armements et de leurs effets – il faut d'ailleurs y voir des retombées des marchés export, puisque ce sont les demandes de certains clients du Rafale qui nous ont permis de progresser sur ces points et ainsi d'améliorer nos capacités opérationnelles. Les besoins qui vous ont été présentés à Saint-Dizier sont relativement urgents puisqu'ils seraient utiles dans le cadre des opérations que nous conduisons aujourd'hui. C'est pourquoi nous sommes en train d'étudier si le standard F4 du Rafale ne pourrait pas être délivré par étapes successives, selon une approche incrémentale. Ainsi, chaque nouvelle fonctionnalité serait mise à disposition des forces dès sa mise au point – je pense notamment au viseur de casque, à l'intégration d'un système de communications satellitaires ou à la possibilité d'embarquer des munitions tout temps de 1 000 kilogrammes sur le Rafale.

Les hélicoptères constituent un sujet important pour l'armée de l'air. Sur le plan historique je rappelle que l'armée de l'air a été la première armée à exploiter des hélicoptères. Les missions que nous exécutons aujourd'hui avec nos hélicoptères sont variées et importantes, notamment pour la mobilité de nos forces outre-mer ou sur le territoire national, lors de situations de crise – nos hélicoptères ont démontré leur utilité lors des opérations de secours organisées à la suite du passage de la tempête Irma. Ils nous permettent de prendre part aux opérations de recherche et de sauvetage – en anglais, Search And Rescue (SAR) – au profit de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), mais aussi à des missions de souveraineté et de présence, en particulier avec nos prépositionnements outre-mer dans le cadre de missions de prévention. Enfin, nous participons également à des missions situées plus haut dans le spectre d'intervention, notamment celles de recherche et sauvetage de combat (RESCO, consistant à aller récupérer un équipage derrière les lignes ennemies), celles des forces spéciales – au Sahel, par exemple –, ou encore les missions de sûreté aérienne réalisées avec nos hélicoptères légers sur des cibles lentes, qui ne peuvent pas être traitées par des chasseurs, compte tenu de leur faible vitesse.

Nous disposons de deux segments d'hélicoptère dans l'armée de l'air pour couvrir ces missions, à savoir un segment d'hélicoptères de manoeuvre et un segment d'hélicoptères légers. Les hélicoptères légers sont actuellement des Fennec, qui ont vocation à être remplacés par le programme d'hélicoptères légers interarmées (HIL). Si ce n'est pas aujourd'hui une préoccupation prioritaire pour l'armée de l'air, c'est tout simplement parce que le calendrier de remplacement des Fennec se situe à l'horizon 2030, ce qui nous laisse un peu de temps pour y réfléchir. Nous nous inscrivons évidemment dans la démarche d'ensemble des armées, afin d'introduire le besoin spécifique lié aux missions de sûreté aérienne que réalisent ces Fennec, des missions importantes dans le contexte que vous connaissez, où de nouvelles menaces apparaissent dans la troisième dimension sur le territoire national. Quant au segment des hélicoptères de manoeuvre, il comprend d'une part les Puma, qui représentent une composante vieillissante – c'est ce qui explique que la LPM prévoie une commande pour 2023 –, et d'autre part les Caracal, dont nous avons déjà parlé dans le cadre du PLF 2018.

Pour ce qui est des Reaper, vous savez qu'ils constituent une capacité désormais incontournable pour nos opérations au Sahel. Leurs capacités de recherche, d'identification et de suivi des groupes terroristes, que nous traquons inlassablement sur un territoire grand comme l'Europe, sont indispensables à l'efficacité des actions de renseignement conduites dans la bande sahélo-saharienne. J'observe que tous les commandants de forces sur les théâtres d'opérations réclament davantage de capacités de ce type. Permanente, discrète, précise, connectée, agissant très loin, les neutralisations de groupes terroristes réalisées récemment ont toutes nécessité le recours à cette capacité. L'introduction de nouveaux capteurs démultipliera son efficacité prochainement en accroissant significativement sa couverture.

J'appelle votre attention sur le fait que nous sommes partis de zéro il y a un peu plus de trois ans et que nous effectuons quotidiennement aujourd'hui des missions de guerre au Sahel avec nos appareils. J'y vois une remarquable performance, car nous partions de loin, pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas – vous connaissez l'histoire des drones MALE. Ce contexte nous a imposé d'importants efforts d'adaptation, notamment sur le plan des ressources humaines au cours des premières années. Formés aux États-Unis et ne pouvant initialement opérer que depuis Niamey, nos personnels, très peu nombreux au départ, passaient, en moyenne, plus de huit mois par an en dehors de chez eux, et il nous a été très difficile de garantir nos missions dans la durée. Aujourd'hui encore, nous sommes dépendants des capacités de formation des Américains : dès la fin de leur formation aux États-Unis, nos équipages sont directement envoyés sur le théâtre d'opérations pour valider leurs qualifications.

Depuis quelques mois, nous sommes en mesure d'opérer depuis la base aérienne de Cognac, ce qui nous permet de desserrer la contrainte sur l'entraînement et la mise en condition des équipages. Incidemment, cela nous permet aussi de commencer à exploiter ces moyens de surveillance depuis le territoire national, quand les circonstances l'exigent. Pour des raisons éthiques et de clarté dans l'esprit des équipages, je suis toutefois extrêmement attentif à éviter toute confusion entre mission conduite depuis la métropole et mission de combat, quand bien même la possibilité existe aujourd'hui de réaliser ces dernières depuis Cognac.

Nous disposerons début avril d'une quinzaine d'équipages formés, ce qui est cohérent avec les missions qui nous sont demandées et la tenue d'une orbite en permanence. Les Américains, qui ont une expérience opérationnelle importante sur le sujet, considèrent que pour assurer une orbite permanente, c'est-à-dire pour maintenir H24 la permanence d'un drone au-dessus d'un point donné durant une année, il faut environ seize équipages – en comptant les périodes de repos, la régénération organique, l'entraînement, les périodes d'engagement sur les théâtres d'opération, etc. Cela correspond à notre capacité actuelle, et la montée en puissance se poursuit.

Comme vous le savez, nous avons retiré du service au 1er janvier 2018 nos Harfang, ces drones d'ancienne génération, ce qui nous a permis de basculer de nouveaux équipages, mais aussi des crédits de maintien en condition opérationnelle (MCO), sur la montée en puissance de la capacité Reaper. L'enjeu reste principalement RH, c'est pourquoi nous attendons avec impatience la livraison d'un simulateur de missions à Cognac pour le deuxième semestre de 2018. Cet équipement nous donnera davantage d'autonomie par rapport aux capacités de formation que nous pouvons obtenir auprès des Américains. Notre objectif est de disposer de 36 équipages opérationnels en 2021.

Pour être complet sur la montée en puissance de la capacité Reaper, je précise que la charge utile « renseignement d'origine électromagnétique » (ROEM) nous permettra de renforcer l'efficacité des capteurs « intelligence, surveillance, reconnaissance » (ISR) et radar, en disposant d'un champ de couverture plus large, ce qui sera précieux pour repérer plus facilement des cibles dans un espace aussi vaste le Sahel. Cette nouvelle charge utile ROEM sera commandée en 2019, et mise en service à l'horizon 2020.

S'agissant enfin de l'armement des Reaper, décidé par notre ministre à l'automne dernier, ce dont je me félicite, aucune difficulté n'a été identifiée. Les demandes ayant été transmises aux États-Unis, nous sommes en attente d'une proposition américaine qui devrait arriver d'ici à l'été prochain pour une mise en service opérationnelle à l'horizon 2019-2020.

Concernant plus généralement cette capacité drone, la question du MALE européen et de notre coopération avec les Allemands, les Italiens et les Espagnols est en ligne de mire avec une entrée en service en 2025. Je souligne l'importance de ce projet autant pour la défense européenne que pour notre autonomie stratégique.

Vous m'avez interrogé sur l'activité aérienne des équipages chasse. Dans le cadre de cette LPM, nous avons fait en sorte que la trajectoire d'activité planifiée augmente progressivement pour atteindre les 180 heures de vol par pilote et par an, en intégrant d'une part l'évolution du format chasse et en faisant effort, d'autre part, sur la disponibilité des flottes, les crédits d'EPM et les ressources humaines.

J'en viens à votre question relative à l'évolution de la limite d'âge des officiers généraux du corps du personnel navigant de l'armée de l'air. Du fait de dispositions spécifiques au statut des officiers du corps du personnel navigant, ces derniers ont des limites d'âge différentes des autres corps. Les officiers généraux du personnel navigant quittent ainsi l'institution à 56 ans quand ceux des autres corps ou des autres armées le font à 59 ans. Aujourd'hui, nous avons simplement souhaité harmoniser les régimes des officiers généraux, et uniquement des officiers généraux, car il n'y a plus de raisons à mon sens de ne pas aligner les régimes des uns et des autres à ce stade de la carrière. J'ajoute que ces limites d'âge nous posent actuellement des difficultés pour organiser les parcours de carrière de ces officiers, qui ont un temps plus contraint pour acquérir les compétences ou l'expérience leur permettant de prétendre à des postes de responsabilité de haut niveau. Ils seront ainsi sur un pied d'égalité avec les officiers généraux des autres armées. Le projet d'harmonisation des limites d'âge des officiers généraux me semble donc logique. Il s'agit d'un simple alignement.

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