Si la question de l'étude du modèle de l'aviation de combat a pu être posée eu égard à l'introduction de la capacité d'armement des drones MALE, il me semble que la LPM y répond : le format de l'aviation de combat n'a pas été affecté par l'arrivée de cette capacité. Il y a à cela une bonne raison : ces moyens ne sont pas concurrents mais complémentaires. Les capacités de frappe d'un drone n'ont rien de comparable à celles d'un Rafale. Un drone ne peut neutraliser que des objectifs de petite taille, y compris dans le cadre de nos opérations de lutte contre le terrorisme. On l'a encore vu il y a quelques jours au Sahel : ce sont nos chasseurs qui font la différence, tout simplement parce que l'objectif à traiter est tel qu'un drone suffit rarement à délivrer les effets nécessaires. J'ajouterai un deuxième aspect très important : un drone se déplace à la vitesse d'un drone ! Il y a quelques semaines, au Sahel, nous sommes intervenus en urgence au secours de troupes américaines au sol qui étaient prises sous le feu de l'ennemi. Plusieurs tués étaient déjà à déplorer. C'est bien la réactivité de nos chasseurs et leur capacité à se déplacer très rapidement (trois fois plus vite qu'un drone) qui a permis de les sortir d'une situation inextricable. Si nous avions dû réaliser la même mission avec un drone, le nombre de victimes dans nos forces amies au sol aurait été considérablement plus élevé. En revanche, ce qu'apporte le drone, c'est la permanence de la surveillance – que ne peut assurer un chasseur, sauf à exploiter des moyens de ravitaillement en vol supplémentaires. Quand je parle d'architecture de système à propos du SCAF, c'est à ce type d'équilibre entre les différentes plateformes, entre les différentes composantes du système de combat aérien que je pense par exemple.
L'armée de l'air est-elle assez bien servie ? Quels sont les sujets de satisfaction, de déception et de vigilance ? J'ai déjà évoqué dans mon propos liminaire les aspects positifs de cette LPM : une LPM qui « répare », une LPM qui « prépare », et une augmentation ciblée des formats. J'entends dire que les formats n'évoluent pas : ce n'est pas ce que je constate dans l'armée de l'air, qu'il s'agisse des MRTT, des drones, de l'avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR), de la charge universelle de guerre électronique (CUGE), de l'aviation de transport ou encore de l'aviation de combat, qui va rester à plus de 210 avions pendant au moins la décennie à venir. Je ne m'inscris pas dans une logique de concurrence entre les armées, consistant à comparer les scores de ceux qui se seraient mieux ou moins bien débrouillés dans cet exercice de LPM ! Notre pays prend des mesures fortes pour garantir sa sécurité et prend les dispositions, dans tous les milieux, pour le faire du mieux possible. Je pense, encore une fois, que les dispositions qui ont été prises nous permettent de le faire. Par ailleurs, on ne répare pas vingt ans de sous-investissements en quelques mois. La question est donc non seulement de savoir si les dispositions qui ont été prises sont globalement satisfaisantes – la réponse est oui – mais aussi de savoir comment elles sont cadencées et quelles sont les priorités. Nous avons fait le choix de ne pas abandonner l'avenir – et donc de moderniser – et de réparer pour tirer le meilleur parti des dispositifs existants en portant une attention particulière aux hommes et aux femmes qui servent leur pays. Cela me paraît être des dispositions de bon sens. Le reste arrivera au fur et à mesure, à la cadence que prévoit cette loi de programmation militaire. En outre, cela signifie aussi que nous continuerons de notre côté, c'est-à-dire en interne de l'armée de l'air, à nous adapter afin d'accompagner cette remontée en puissance, en procédant aux réglages fins qu'imposeront les circonstances, aux adaptations qui en toutes hypothèses resteront indispensables et en poursuivant les différents chantiers de modernisation que nous lançons actuellement.
Parmi les secteurs dans lesquels nous avons encore des réductions temporaires de capacité, je citerai le transport aérien, domaine dans lequel nous partons de loin car nous avons trop tardé à initier le remplacement de nos flottes anciennes. À cette situation se sont ajoutées les difficultés du programme A400M. Nous avons donc encore du travail dans ce domaine où des dispositions ont été prises, notamment avec l'accélération du programme MRTT qui viendra appuyer notre capacité, ou l'acquisition de C130J. Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, il faut aussi absolument que l'industrie trouve rapidement des solutions aux défauts techniques de jeunesse qui handicapent trop la flotte A400M. Un dialogue étroit est engagé avec l'industriel.
Les hélicoptères doivent aussi faire l'objet d'une attention particulière. La réflexion se poursuit à cet égard et un choix doit être fait, en vue du lancement du programme HIL, dans le courant de cette programmation militaire.
Vous avez évoqué le Mirage 2000D. Je regrette que sa modernisation, décidée il y a quelques années, n'ait pas été plus ambitieuse, mais il faut peut-être prendre un peu de recul et observer les équilibres de l'aviation de combat dans son ensemble. Il n'y a pas que les Mirage 2000D pour faire la guerre, il y a aussi les Rafale, qui vont d'ailleurs être modernisés avec l'arrivée l'année prochaine du standard F3R et le lancement du standard F4. Pour les missions les plus exigeantes, les Rafale seront utilisés préférentiellement. J'observe d'ailleurs que les Rafale sont aujourd'hui employés au Proche-Orient et les Mirage 2000, au Sahel. Demain, nous aurons encore besoin, dans les différentes situations de crise auxquelles nous pourrions d'être confrontés, d'une flotte agissant principalement en gestion de crise sur des théâtres stabilisés et d'autres flottes plus modernes pour faire face à des scénarios d'engagement plus exigeants. C'est à ce besoin que nous voulons répondre avec le standard F4 du Rafale. S'agissant des délais de livraison des Mirage 2000D, les kits de modification seront commandés cette année, pour des livraisons qui s'étaleront entre 2020 et 2024.
S'agissant de la relation franco-britannique et de la façon dont elle évolue dans le domaine qui est le mien, je ne suis guère inquiet sur le plan opérationnel, pour différentes raisons. D'abord, nous continuons, mon homologue et moi, à entretenir la même proximité, et les interactions entre nos deux armées de l'air de premier rang constituent la marque d'une coopération de très haut niveau. J'observe que les Britanniques nous aident régulièrement là où c'est possible : des moyens de transport, des moyens de ravitaillement en vol. Encore récemment, ils ont décidé d'appuyer nos opérations au Sahel avec des hélicoptères de transport lourd. J'observe également que lorsque des bombardiers stratégiques russes se sont présentés dans la Manche, nous n'avons eu aucune difficulté à coordonner l'action de nos chasseurs. Les Rafale français se sont ravitaillés en vol sur des avions anglais, tout ceci sur un simple coup de fil. J'ai actuellement des équipages en échange sur MRTT et C130J britanniques, ce qui permet de faciliter la montée en puissance de nos capacités. Je ne vous dresserai pas la liste des très nombreux échanges et des liens que nous entretenons, mais tout se passe de façon fluide et j'estime que nous sommes parfaitement interopérables. Nous sommes à cet égard capables, si le pouvoir politique le demandait, de déployer une force expéditionnaire conjointe qui a été définie dans le cadre des accords de Lancaster House. Nous allons continuer à entretenir cette capacité dans le temps et donc rester proches sur le plan opérationnel. J'ajouterai en outre que ce n'est pas parce que les Britanniques ont décidé de quitter l'Union européenne qu'ils ont abandonné la défense de l'Europe, tout simplement parce qu'ils restent partenaires de l'OTAN, dont la vocation est aussi la sécurité du continent européen.
Si je ne suis pas très inquiet des conséquences du Brexit sur le plan opérationnel, il faut néanmoins suivre attentivement ce processus qui pourrait avoir des conséquences économiques et politiques, notamment sur la coopération industrielle. Il faudrait probablement interroger le délégué général pour l'armement (DGA) sur ce point.