C'est un point auquel il faut veiller car il représente des intérêts majeurs pour nous, qu'il s'agisse de MBDA ou des autres projets que nous conduisons avec les Britanniques. Il faudra conclure des accords nous permettant de continuer à travailler et d'entretenir ce qui constitue une success story de la coopération militaire et industrielle en Europe.
J'en viens à l'infrastructure. Vous avez raison de souligner que ce secteur est en difficulté puisqu'il a souffert d'un sous-investissement chronique ces dernières années. Dans la LPM précédente, les flux budgétaires consacrés à l'infrastructure étaient d'environ un milliard d'euros par an quand le besoin était plutôt de 1,2 ou 1,3 milliard d'euros par an. Toute personne qui a une maison à entretenir sait que lorsque l'on prend du retard dans son entretien, il faut tôt ou tard le rattraper, ce qui nécessite en général des investissements plus importants. Réparer dans ce domaine prendra donc du temps. La LPM prévoit un effort remarquable puisque les crédits consacrés à l'infrastructure augmentent en moyenne de 50 %. De fait, nous avons défini des priorités. La première a été donnée aux hommes et aux femmes, puisqu'il est prévu d'améliorer l'hébergement sur nos emprises et de consacrer une part importante du plan famille au logement. La deuxième priorité est l'accueil des nouvelles capacités et la protection-défense. C'est donc en fin de LPM que les commandes seront passées pour traiter les installations aéroportuaires de l'armée de l'air. Ces dispositions me semblent de bonne gestion et nous allons faire vivre nos infrastructures aéroportuaires sans handicaper les capacités opérationnelles. S'il est nécessaire de procéder à des ajustements ponctuels, nous serons en mesure de le faire.
Vous avez évoqué le maillage des alertes de la permanence opérationnelle, c'est-à-dire la répartition géographique judicieuse de nos alertes de défense aérienne. Si nous en avons besoin, c'est que le facteur temps est critique lorsqu'il s'agit d'intervenir dans notre espace aérien. Les menaces se matérialisant dans des délais extrêmement brefs, il faut avoir accès à tous les points de l'espace aérien et de nos approches aériennes dans des délais inférieurs à quinze minutes. C'est pourquoi nous faisons le choix d'entretenir quatre permanences opérationnelles dans notre pays, réparties entre les quatre secteurs géographiques de notre territoire, et nous coopérons avec nos alliés pour ce qui concerne l'extérieur à chaque fois que cela est nécessaire – encore récemment, par exemple, lorsque des bombardiers stratégiques russes se sont présentés comme je viens de le mentionner. Pour pouvoir maintenir une permanence opérationnelle dans un secteur géographique, il faut une base aérienne sur laquelle cette permanence est mise en alerte – en général, en « sept minutes », c'est-à-dire que les avions doivent pouvoir décoller en moins de sept minutes. Nous pouvons si nécessaire réduire ces délais à deux minutes, voire mettre nos avions en alerte en vol, si les circonstances l'exigeaient. Il faut également un terrain de déroutement au cas où une indisponibilité technique ou météorologique par exemple affectait notre base aérienne. Avec les plateformes aéroportuaires dont nous disposons – il n'y a pas que celles de l'armée de l'air –, j'estime que nous disposons aujourd'hui des emprises suffisantes pour garantir l'efficacité de ce dispositif.
Le domaine du MCO aéronautique souffre, comme d'autres, des sous-investissements des années passées – vieillissement des parcs, stocks de rechanges insuffisants, étalement des opérations de remise à niveau capacitaire, contraintes sur les ressources humaines dont les déflations ont été excessives, etc. Tout ceci pèse sur la disponibilité de nos flottes. À cette situation se sont ajoutées des sollicitations opérationnelles croissantes ces dernières années, qui nous ont amenés à concentrer nos efforts sur nos opérations, accroissant la pression sur le personnel ou les rechanges. Ces facteurs expliquent en partie la faible disponibilité de certaines flottes. La LPM a vocation à les prendre en compte. Je tiens à souligner et à saluer l'engagement remarquable de l'ensemble des acteurs du MCO aéronautique dans cette période. Il a donné lieu à une mobilisation conduisant à de très nombreuses adaptations réalisées souvent en urgence. Grâce à lui nous avons toujours été au rendez-vous de nos opérations. Il constitue incontestablement une part de nos succès opérationnels.
À ces facteurs s'ajoutent des handicaps structuraux auxquels le chantier lancé par Mme la ministre apportera des réponses. Certaines des évolutions identifiées dans cette réforme rejoignent des axes de travail que la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD) avait initiés. Je les avais présentés à votre commission lors d'une précédente audition. La réforme engagée avec la création de la DMAé est encore plus ambitieuse. Elle prévoit notamment une plus grande implication de la DGA et une modernisation de notre stratégie contractuelle cherchant en particulier à davantage responsabiliser l'industrie dont nous attendons des efforts symétriques. Les états-majors et la structure de projet DMAé étudient actuellement les évolutions de l'organisation du MCO qui faciliteront la mise en oeuvre de ces évolutions.
Ainsi nous voyons bien les deux volets de cette réforme : « réparation » apportée par la LPM en augmentant notamment les crédits d'entretien programmés de nos flottes et modernisation des processus et de l'organisation du MCO aéronautique dans les armées. Ces évolutions sont indispensables car l'amélioration de la disponibilité de nos flottes est un objectif majeur, autant pour nos capacités opérationnelles que pour le moral du personnel.
La lutte contre les drones est effectivement un sujet dont nous nous préoccupons depuis plusieurs années déjà. Comme vous, nous avons constaté une évolution rapide des menaces dans ce domaine. J'estime qu'en trois ans, nous avons beaucoup progressé au point d'être capables de mettre en oeuvre des dispositifs de protection opérationnels et efficaces autour d'événements particuliers par exemple.
Les appareils dont on parle ici sont de petits drones, parfois même des drones qu'on trouve dans le commerce, et qui peuvent être opérés à proximité d'installations ou d'événements sensibles. Cette question fait l'objet d'un chantier interministériel piloté par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Lancé il y a deux ans, ce chantier s'applique à traiter le sujet de façon systématique, car ce n'est pas uniquement de capacités de protection et d'intervention dont nous avons besoin. Nous agissons également dans les domaines réglementaire et législatif pour mieux contrôler l'emploi qui est fait de ces machines, pour faciliter leur détection ou responsabiliser les fabricants et les utilisateurs.
Parallèlement à ces dispositions légales indispensables, nous développons des moyens spécifiques de protection pour lutter contre ces drones. Ces dispositifs, déjà en service dans les armées, associent des capacités de détection, de brouillage et de neutralisation cinétique. Nous continuons à étudier de nouvelles solutions, et un programme est en cours de déploiement pour protéger nos bases aériennes sur le territoire national ou sur les théâtres d'opérations. Concernant la protection des autres sites, le principe qui a été retenu veut que chaque opérateur se charge de la protection des emprises sous sa responsabilité. Pour ce qui est de l'armée de l'air, je veille à ce que les dispositifs mis en place par les uns et les autres soient compatibles, dans le domaine du commandement et du contrôle, avec les systèmes de protection antiaériens que nos forces déploient – systèmes auxquels participent désormais systématiquement des moyens de protection contre les mini-drones – dans le cadre d'événements particuliers tels que le salon du Bourget ou le 14 juillet où nous avons mis en oeuvre de tels dispositifs.
Vous m'avez interrogé sur notre transformation numérique. C'est un point essentiel : l'armée de l'air développe actuellement des plateaux d'innovation. De quoi s'agit-il ? L'innovation ne se décrète pas ; nous devons créer des conditions favorables. Comment ? En rapprochant les utilisateurs des concepteurs.
De quoi dispose-t-on actuellement ? Les grands systèmes d'armement sont gérés par l'instruction ministérielle n° 1516, qui offre un cadre structuré à nos programmes de long terme. Pour autant, ces grands systèmes hébergent des systèmes d'information, dont la vitesse d'évolution est complètement différente : si l'on ne change évidemment pas la structure du Rafale tous les six mois, son système d'armes, lui, continue d'avoir besoin d'évoluer. Nous devons donc pouvoir agir en boucle plus courte sur l'évolution des infrastructures numériques hébergées par nos grands systèmes.
Comment procéder dans un monde où les technologies évoluent tous les trois à six mois ? Nous devons changer d'approche : nous ne pouvons plus travailler en top down – méthode que nos esprits cartésiens affectionnent ! Auparavant, nous exprimions un besoin opérationnel, il était ensuite transformé en spécifications techniques avant de passer un appel d'offres. Ce cycle prend aujourd'hui trop de temps compte tenu du rythme d'évolution des technologies dont il s'agit.
Par ailleurs, le champ des possibles, ouvert par l'évolution de ces technologies numériques, rend extrêmement difficile l'expression pertinente des besoins. En conséquence, nous devons travailler sur des boucles de temps et des approches différentes, afin d'être en mesure de faire évoluer nos équipements en permanence.
C'est l'objectif des plateaux d'innovation : on y retrouve d'un côté les utilisateurs – ils savent ce dont ils ont besoin, mais ont parfois du mal à l'exprimer compte tenu de la façon dont les technologies évoluent – et de l'autre les concepteurs – qui peuvent leur apporter des solutions par la connaissance dont ils disposent des possibilités offertes par ces technologies. Nous les mettons ensemble, dans une approche bottom up, acceptons ensuite le foisonnement que cela génère, puis nous sélectionnons les innovations pertinentes. Il convient désormais de réfléchir aux moyens permettant de les déployer rapidement et facilement dans les forces, le cas échéant, par le biais de solutions traditionnelles d'acquisition.
Nous expérimentons à Évreux avec Smart Base, afin d'innover dans le domaine du fonctionnement courant de la base aérienne. Je suis persuadé que des applications numériques peuvent aider les aviateurs à mieux faire fonctionner leur base aérienne – en matière de transport, d'énergie, de sécurité, et de services de façon générale. C'est également ce qui a conduit à la création du centre d'expertise aérienne militaire – air warfare center – pour les systèmes d'armes, à Mont-de-Marsan. Je vous invite à le visiter, pour mieux apprécier nos actions conduites en matière d'innovation opérationnelle. À Salon-de-Provence, le centre d'excellence drones (CED) travaille dans ce domaine spécifique en contact avec l'air warfare center de Mont-de-Marsan. C'est aussi ce que nous lançons à Saintes et Rochefort, avec le projet « Smart School », dans le domaine de la formation : des applications modernes peuvent beaucoup nous apporter en la matière en accélérant les cycles de formation et surtout en les rendant plus attractifs.
Le terrain foisonne d'idées et d'initiatives ! Incidemment, c'est un axe fort de notre transformation car cela nous permet de faire adhérer le personnel à notre transformation, en l'impliquant et en faisant appel à lui pour trouver des solutions innovantes.
Les moyens financiers mobilisés dans ces plateaux de développement, restent modestes. Pour quelques milliers d'euros, nos personnels arrivent souvent à trouver des solutions. Il faut ensuite nous aider à les déployer au sein de nos forces. Aussi, c'est sur ce volet qu'il faut aujourd'hui travailler, pour faciliter ce couplage de « l'innovation à l'industrialisation ».
Nous avons du travail mais c'est un sujet qui me tient à coeur. C'est la raison pour laquelle je vous en parle avec conviction !