Intervention de Valérie Faudon

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 9h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) :

Merci de nous recevoir.

La SFEN a de nombreuses sections techniques, des groupes nationaux, internationaux et régionaux, sur l'ensemble du territoire français, et nous avons préparé cette audition, sur la base du questionnaire que vous nous avez soumis, avec deux de nos sections techniques : notre section sûreté et notre section droit.

Notre mission est de favoriser la connaissance pour tous ceux qui s'intéressent à l'énergie nucléaire, des grands experts internationaux sur le génie civil nucléaire au grand public.

Dans ce propos liminaire, je ferai trois remarques, sur la gouvernance de la filière, sur l'expertise, et sur la transparence et le dialogue avec les citoyens.

Première remarque, la gouvernance de la sûreté et de la sécurité nucléaires en France est très importante : la confiance du public repose bien sûr sur la confiance dans les exploitants, mais avant tout sur la confiance dans nos institutions et en particulier nos autorités de contrôle.

En ce qui concerne la sûreté, nous constatons que, jusqu'à présent, dans les auditions, personne n'a vraiment remis en cause la compétence de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en tant que magistrat technique ou gendarme du nucléaire. L'ASN est auditionnée plusieurs fois par an ici même, par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques et par des commissions comme la vôtre. Mais elle est également auditée, le fait est moins connu, au niveau international, sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), par ses pairs ; les revues de ces audits sont publiées sur son site.

S'agissant de l'indépendance de l'ASN, l'épisode du Tricastin de 2017 illustre bien à la fois le niveau d'exigence de l'agence, puisqu'il s'agissait de s'assurer de la résistance de la digue à un séisme qui aurait été cinq fois plus puissant que le séisme millénaire, mais aussi son absence de complaisance vis-à-vis des industriels et l'étendue de son pouvoir, puisqu'elle peut faire arrêter un réacteur. En l'occurrence, elle en a mis quatre à l'arrêt pendant presque deux mois, et le manque à gagner a été extrêmement élevé pour EDF, qui a déclaré qu'il était supérieur à 200 millions d'euros.

La gouvernance de la sécurité est placée sous l'autorité du haut fonctionnaire de défense et de sécurité. Ce sont des questions confidentielles, donc par nature moins visibles, mais cela ne signifie pas pour autant que les contrôles, les exercices et les prescriptions ne se font pas. Maurice Mazière, qui a été dans le passé directeur du centre de Cadarache, pourra vous expliquer comment se déroulent les revues de sécurité.

Nous n'avons pas connaissance de problèmes précis dans l'organisation actuelle, en tout cas qui aient été soulevés lors de ces auditions. Si les deux sujets devaient être rapprochés, cela poserait selon nous deux questions très importantes : premièrement, comment maintenir des compétences de pointe sur chacun des deux sujets ? Deuxièmement, comment organiser des arbitrages permanents sur ce qui est confidentiel et ce qui ne l'est pas ? Un ancien directeur de l'Agence disait que l'ADN de l'ASN est la transparence ; et il y a énormément de transparences dans la sûreté nucléaire aujourd'hui ; toute la question est de savoir comment la maintenir à ce niveau.

Ma deuxième remarque porte sur le rôle de l'expertise et plus précisément la qualification des experts. Notre système de gouvernance se caractérise par une séparation très nette entre ceux qui décident, à savoir l'ASN, et les experts, qui ont une mission de conseil – typiquement l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) – mais aussi les groupes permanents auprès de l'ASN. Les groupes d'experts, particulièrement ceux de l'ASN, sont ouverts aux parties prenantes. L'expertise est ouverte et surtout plurielle : on trouve au sein des groupes permanents des experts étrangers, par exemple. Ainsi, dans le process de revue des options de sûreté du dossier de l'ANDRA sur Cigéo organisé l'année dernière via l'AIEA, il a été fait appel à des experts scandinaves, particulièrement avancés sur les questions de stockage géologique.

Lorsqu'on leur demande à qui ils font confiance dans les questions environnementales et de risque, les Français répondent : les scientifiques et les organisations environnementales. Mais qu'est-ce qui qualifie un scientifique ? Il est facile de se déclarer expert indépendant… Dans la filière nucléaire et les critères communs à EDF, au CEA et à Areva, il existe quinze domaines et quatre-vingt-dix sous-domaines ; et l'on ne peut être expert dans plus d'un ou deux sous-domaines – la soudure, par exemple. Il existe trois niveaux, le plus élevé étant le fellow, l'expertise internationale. Pour devenir expert, on passe devant un jury de pairs, on doit présenter tous les problèmes techniques complexes que l'on a eu à résoudre et comment on les a résolus, tous les articles que l'on a écrits et dans quelles revues scientifiques, et présenter ses activités d'enseignement. Mais cela ne signifie pas que l'on détienne la vérité : cela donne le droit de faire partie d'un réseau d'experts, car l'expertise est d'abord collective, comme c'est le cas dans les groupes permanents de l'ASN. Dans le rapport qui a été remis sur la sécurité, auquel nous n'avons pas eu accès, on trouve parmi les experts un économiste anglais, une professeure de mathématiques autrichienne… Pour nous, ils ne passent pas le niveau de qualification requis. Ils peuvent bien entendu s'exprimer, mais on ne saurait les considérer comme des experts au sens où nous l'entendons.

Ma troisième remarque concerne la transparence et le dialogue avec les citoyens. Nous organisons beaucoup de débats. Peut-être parce qu'elle a été souvent accusée dans le passé d'être opaque, la filière nucléaire est devenue à bien des égards un modèle en matière de transparence, et même à l'avant-garde sur beaucoup de sujets. Nous avons recensé dix débats publics depuis 2000, dont trois de politique énergétique, et nous avons appris hier qu'un nouveau débat aura lieu sur les déchets en fin d'année. Nous sommes tout le temps en train de participer à des débats publics. Il y a eu aussi deux rapports de la Cour des comptes depuis 2012, et trois commissions parlementaires. La filière est donc très regardée.

En matière de transparence, les exploitants déclarent tous leurs écarts de niveau 0, 1 et 2. C'est la démonstration que le système de déclaration des signaux faibles fonctionne et qu'il s'est même amélioré : on en est à douze événements par réacteur. Nous sommes la seule industrie à publier nos écarts ; c'est souvent utilisé contre nous, en exagérant l'importance de ces écarts, alors qu'ils n'ont pas aucune conséquence majeure et permettent justement de détecter des points d'amélioration.

Enfin, les acteurs ont montré leur volonté d'expérimenter de nouveaux modes de dialogue. C'est sur Cigéo qu'a eu lieu pour la première fois un débat public avec un comité citoyen. Cela s'est fait sur internet car toutes les réunions publiques avaient toutes été empêchées, mais cela a permis d'expérimenter de nouveaux moyens. De même, la question de la cuve et la décision de l'ASN ont fait l'objet d'un processus de concertation en ligne, fait inédit sur un sujet aussi technique.

À l'occasion de cette concertation sur la cuve, beaucoup d'organisations ont demandé à copier-coller des éléments de langage et à les déposer sur le site : au final, plusieurs dizaines de milliers de commentaires identiques se sont retrouvés sur le site, ce qui n'avait pas grand intérêt. Pour nous, en tant que société savante, ce n'est pas ainsi que l'on engage les citoyens ; mais c'est en leur donnant les éléments pour qu'ils développent leurs connaissances, leur esprit critique, se fassent leur propre opinion. Nous avons récemment lancé un cours en ligne ouvert et massif (MOOC, en anglais) sur l'énergie nucléaire avec quinze experts ; 6 500 personnes se sont inscrites.

Je terminerai par la question des intrusions dans les centrales nucléaires, sujet d'actualité. Comme vous l'avez compris, il existe de très nombreuses instances pour dialoguer sur le nucléaire, où participent la plupart des ONG : elles sont dans le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), dans les commissions locales d'information (CLI), elles sont régulièrement auditionnées ici, elles sont dans les groupes permanents de l'ASN… Ces ONG ont un accès unique aux médias, autrement plus large que celui auquel nous pourrions prétendre. Cet automne, le service public a même diffusé à une heure de grande écoute un documentaire avec une ONG. Pour se faire comprendre et nous contredire, elles n'ont donc pas besoin d'enfreindre la loi en manifestant sur des sites sensibles.

La loi qui régit les intrusions a été votée précisément pour assurer la sécurité des sites sensibles. Manifester sur ces sites, c'est créer une brèche de sécurité : on ne peut pas pénétrer sur un site sensible sans avoir fait l'objet d'une enquête préalable. C'est comme si l'on entrait à l'Assemblée nationale sans donner sa carte d'identité ni passer par le portique de sécurité au motif que l'on manifeste… Encore n'exige-t-on pas une enquête préalable sur votre passé avant de vous laisser entrer, ce qui n'est pas le cas dans une centrale.

La notion de lanceur d'alerte ne s'applique pas dans une telle circonstance : le lanceur d'alerte est quelqu'un d'isolé qui n'a pas la possibilité de s'exprimer, qui prend un risque vis-à-vis de sa hiérarchie, tandis que les ONG disposent de toutes les instances de dialogue existantes et de l'accès aux médias et au Parlement. Ce que souhaitent nos concitoyens, ce sont des espaces de dialogue où tout le monde puisse s'exprimer et poser des questions. Ces instances existent dans la filière nucléaire et je pense qu'elles fonctionnent bien.

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