Intervention de Roger Genet

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 10h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Roger Genet, directeur général de l'ANSES :

Merci tout d'abord à l'OPECST pour cette invitation. C'est la première fois depuis ma nomination en mai 2016 que j'ai l'occasion de m'exprimer devant vous. Je suis déjà intervenu devant des commissions parlementaires, mais vous connaissez mon attachement, lié à mes fonctions antérieures, à la notion d'expertise et à sa valorisation dans les métiers de la recherche. Il s'agit là d'un sujet important, qui se situe au coeur de votre saisine et de la question de l'indépendance de l'expertise telle que ressentie par l'opinion publique. Même si j'ai rencontré un certain nombre d'entre vous depuis ma prise de fonctions et ai eu l'occasion d'exposer à la fois le fonctionnement de l'Agence, son organisation et ses principes fondateurs, il me semble important d'intervenir en session plénière, publiquement.

L'ANSES a été créée en 2010, par fusion de deux agences sanitaires, dont l'Agence française de sécurité de l'alimentation, née en 1998 après la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Aujourd'hui, l'ANSES regroupe quelque 1 350 personnes et son budget s'élève à 145 millions d'euros. C'est une agence sanitaire, d'évaluation de risques, avec des missions de recherche et de référence. J'exposerai notamment la manière dont la recherche est intégrée à nos missions, dans la mesure où il est absolument nécessaire d'apporter des données en appui à l'évaluation de risques. Sans connaissances scientifiques ni données, l'évaluation de risques n'existe pas.

L'Agence dispose d'un large spectre d'interventions, puisqu'elle a vocation à évaluer l'ensemble des risques liés à l'exposition de l'homme, dans son environnement, par son alimentation, par l'air qu'il respire, par la contamination de l'eau et des sols, par le transport. L'ANSES couvre ainsi un vaste champ de compétences, en santé humaine, animale, végétale : elle est en charge de la sécurité sanitaire, des risques en matière de santé environnementale et de santé au travail, d'où les cinq ministères de tutelle auxquels nous sommes rattachés - ministères de l'environnement, de l'agriculture, de la santé, de l'économie au travers de la DGCCRF, et du travail.

Il s'agit donc d'une vision très intégrée des risques, qui comprend à la fois des travaux de recherche et un rôle de référence analytique. Nous sommes ainsi laboratoire de référence pour un certain nombre de pathologies en santé animale, en sécurité des aliments, en santé et en protection des végétaux, et disposons de 95 mandats de référence nationaux, européens et internationaux. Nous détenons notamment 20 % des mandats de référence de l'Union européenne sur les pathologies clés, allant de la rage et de la santé des abeilles jusqu'à différents risques en sécurité des aliments, dont la contamination par les antibiotiques. Nous sommes, sur ces sujets, la référence analytique, et coordonnons de ce point de vue les laboratoires nationaux ou européens en charge de ces références.

Nous menons également une activité importante d'évaluation de risques, sur tous les grands sujets précédemment mentionnés : qualité de l'air, de l'eau, risques au travail – liés, par exemple, au travail de nuit ou à l'exposition des travailleurs agricoles aux pesticides –, radiofréquences, etc.

Nous publions entre 200 et 250 avis par an, faisant suite soit à des saisines en urgence, nécessitant d'élaborer, en 24 ou 48 heures, des recommandations aux pouvoirs publics sur une crise comme la grippe aviaire, soit à des saisines s'inscrivant dans la durée. Ainsi, l'avis que nous avons rendu en 2016 sur l'impact potentiel des pesticides sur les travailleurs agricoles compte quelque mille pages, sept annexes et a nécessité quatre ans de travail.

Ceci montre bien à la fois la diversité de nos sujets et de nos approches, qui vont jusqu'à l'évaluation des produits réglementés, sur trois classes de composés, dont les médicaments vétérinaires, via l'Agence nationale du médicament vétérinaire, qui est l'équivalent de l'ANSM dans son champ de compétences et a été intégrée à l'Agence en 1998. Nous avons par ailleurs, au travers de la loi d'orientation agricole, connu un transfert de mission du ministère de l'agriculture et sommes dorénavant en charge de délivrer ou retirer les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires, ainsi que des produits biocides depuis 2016 (compétence jusqu'alors dévolue au ministère de l'environnement), sur lesquels nous conduisions des évaluations depuis de très nombreuses années.

En tant qu'agence sanitaire, nous avons évidemment des missions extrêmement importantes de veille, de vigilance, d'alerte. Notre direction « Alerte et veille » coordonne ainsi tout un ensemble de dispositifs, dont certains assez anciens comme la pharmacovigilance sur les médicaments vétérinaires ou la nutrivigilance sur les aliments. Nous assurons par ailleurs depuis 2010 la coordination des centres antipoison et de toxicovigilance qui dépendaient auparavant de l'Institut de veille sanitaire, intégré désormais à Santé publique France. Nous coordonnons également le réseau national de veille sur les pathologies professionnelles. La loi d'orientation agricole de 2013 nous a en outre confié une nouvelle compétence, sur la phytopharmacovigilance, c'est-à-dire la capacité, au travers d'un réseau que nous finançons en partie et dont nous assurons la coordination, de faire remonter des signaux faibles sur l'impact des produits phytosanitaires sur le terrain, sur les organismes cibles, sur l'environnement, qui nous permettent de disposer de données, prises en compte dans nos évaluations sur les produits réglementés et dans les conditions d'usage attachées aux autorisations de mise sur le marché que nous délivrons pour ces produits phytosanitaires. Nous alimentons un portail, unique au niveau du ministère de la santé, sur les alertes sanitaires et participons à la réunion de sécurité sanitaire du ministère tous les mercredis matin, qui nous permet de faire remonter tous ces signaux et de nous coordonner avec les acteurs de l'alerte sur la santé humaine. Nous sommes totalement intégrés dans ce dispositif.

Nous sommes ainsi avant tout une agence sanitaire, mais avec des missions extrêmement diversifiées, sur un champ très large.

S'agissant de notre gouvernance, nous disposions d'un mode de fonctionnement assez unique, tout du moins jusqu'à la création de l'Agence française pour la biodiversité : notre conseil d'administration est en effet composé des cinq collèges du Grenelle de l'environnement et fait donc place à la fois aux représentants du monde professionnel, des organisations non gouvernementales et associatives de défense de l'environnement ou de protection de la population, des élus (via des membres de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et de l'Assemblée des départements de France (ADF) et des grandes organisations syndicales. À partir de ce conseil d'administration, présidé par M. Luc Derepas, conseiller d'État, ont été créés cinq comités d'orientation thématiques, correspondant à nos cinq grandes missions : santé animale, santé végétale, sécurité des aliments, santé environnement et santé au travail. Ces comités sont composés à la fois de représentants du monde professionnel et du milieu des associations et des ONG. Il s'agit d'instances très ouvertes, avec lesquelles nous dialoguons chaque année pour élaborer notre programme d'actions, lequel est voté par le conseil d'administration. Nous entretenons ainsi un dialogue très régulier et de grande qualité avec l'ensemble des parties prenantes.

L'Agence a d'ailleurs créé, sur des questions sensibles comme l'effet des radiofréquences ou les nanomatériaux, des comités de dialogue, présidés chacun par une personnalité extérieure à l'Agence et composés de toutes les parties prenantes. Sur les radiofréquences par exemple, cette instance regroupe l'ensemble des opérateurs de téléphonie mobile, l'autorité de régulation des radiofréquences, les organisations environnementales, les associations de patients et de malades. Nous effectuons ainsi, par l'intermédiaire de ces comités de dialogue, un travail régulier qui nous permet d'exposer nos problématiques, nos processus d'évaluation de risques, la conduite de nos grandes évaluations, jusqu'à l'élaboration de notre rapport final. Nous publierons dans quelques mois un rapport sur l'électrohypersensibilité, qui a déjà été présenté à de multiples reprises au comité de dialogue « radiofréquences » et a fait l'objet d'une consultation publique pendant plusieurs semaines en juillet 2016. Sur les 1200 retours reçus, 600 comportaient des informations d'ordre scientifique, reprises par nos comités d'experts et intégrées dans le document final.

Ceci témoigne parfaitement de notre souci constant de dialoguer avec la société, d'expliquer la façon dont sont conduites nos expertises. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons proposé à toutes les parties prenantes dans le secteur des phytosanitaires, question qui dépasse désormais largement le domaine scientifique et technique et est devenue véritablement un sujet de société, de mettre en place une plateforme de dialogue sur les produits phytosanitaires. Cette plateforme, effective depuis le 2 février dernier, est présidée par Bernard Chevassus-au-Louis, personnalité connue à la fois dans le monde agronomique et environnemental, qui avait dirigé, auparavant, le Muséum national d'histoire naturelle. Ce souci de dialogue est fondateur de notre crédibilité et constitue un élément extrêmement important pour nous.

Bien entendu, les notions d'indépendance, de déontologie, d'intégrité, auxquelles vous avez fait référence M. le président, sont également essentielles. C'est ainsi que, dès sa création et avant même que la loi de modernisation du système de santé le rende obligatoire, l'Agence a créé en son sein un comité de déontologie. Composé de huit personnalités extérieures à l'ANSES, il est présidé, comme cela a été indiqué, par le philosophe Pierre Le Coz et comporte des juristes et des représentants du monde agronomique et du secteur de la santé. Il a déjà rendu, depuis sa création en 2011, une vingtaine d'avis. Il a ainsi produit récemment une grille d'analyse des conflits d'intérêts, qui nous permet d'analyser, pour chaque personnel ou expert de l'Agence, les liens d'intérêts, mineurs ou majeurs, qu'il entretient (sachant que lien d'intérêt ne signifie pas nécessairement conflit d'intérêt), ainsi que les conditions de déport des experts dans nos commissions. C'est sur cette base que nous sélectionnons désormais nos experts.

L'ANSES compte 1 350 collaborateurs, dont 700 dans les laboratoires de recherche et de référence et 500 dans les directions d'évaluation de risques ou de produits réglementés. Tous les personnels amenés à faire de l'évaluation de risque sont soumis à déclaration publique d'intérêt. Ces DPI sont disponibles depuis le mois de juillet sur le site du ministère de la santé, qui regroupe l'ensemble des DPI de tous les experts intervenant pour les agences sanitaires en France. Ces déclarations sont scrutées, remises à jour tous les ans et nous servent de base pour recruter nos experts.

Nous disposons de plus de vingt comités d'experts spécialisés sur les grands thèmes de l'Agence. Chacun est constitué de 20 à 24 experts, venant de France et, pour 20 % environ, des pays francophones, sélectionnés après appels à candidatures ouvertes, y compris jusqu'à notre conseil scientifique. Nous examinons en premier lieu les déclarations publiques d'intérêt, puis les compétences scientifiques nécessaires à un débat pluridisciplinaire. Je précise que la mise à jour annuelle des DPI est l'un des indicateurs de notre contrat d'objectifs et de performance, qui a été renouvelé cette année et est actuellement en cours de signature par les ministres.

Cette question de l'indépendance est évidemment absolument essentielle. L'Agence ne rencontre aujourd'hui aucune difficulté, sauf éventuellement dans certaines disciplines très pointues, à recruter des experts respectant ces conditions. Lors de nos recrutements, nous n'avons pas de problème majeur en termes de déontologie, mais sommes en revanche confrontés à un manque de disponibilité des experts, sur certaines disciplines comme la nématologie ou l'entomologie, qui comptent de moins en moins de spécialistes en France et pour lesquelles se pose un vrai problème de formation.

Un autre grand principe auquel nous sommes très attachés concerne l'aspect contradictoire des débats menés au sein de nos instances. Nous disposons d'un panel de 850 experts externes à l'Agence, que nous mobilisons chaque année dans nos comités d'experts spécialisés, permanents et nommés pour trois ans, ainsi que dans des groupes de travail constitués à l'occasion de saisines spécifiques. Ces experts interviennent dans l'élaboration des avis en lien avec nos grands travaux d'expertise, mais également sur les avis instruits par nos directions d'évaluation des trois classes de produits réglementés quand il s'agit de délivrer des autorisations de mise sur le marché.

Nous avons donc une vision très intégrative du fonctionnement de l'Agence. Même si cela n'est pas toujours bien compris par le public, en dépit de nos efforts de communication et de dialogue permanent avec la société civile, il faut savoir que quand nous délivrons une autorisation de mise sur le marché pour un nouvel insecticide par exemple, nous sommes conscients des risques, notamment pour les pollinisateurs, puisque nous disposons au sein de l'ANSES du laboratoire de référence de l'Union européenne sur la santé des abeilles. J'ai coutume de dire qu'au final nous prenons en compte l'ensemble des données scientifiques disponibles dans les publications mondiales. Nous avons en effet accès à toutes les bases de données des ministères et des pouvoirs publics, ainsi qu'aux informations communiquées par les industriels dans un cadre précis. C'est sur cette base que nous pouvons à la fois travailler sur les facteurs de risques environnementaux, incluant les impacts sur la santé des abeilles, et avoir dans le même temps une évaluation précise d'un risque acceptable dans ce domaine. C'est donc en toute connaissance de cause, à partir de ce spectre large de connaissances et d'activités, que nous prenons nos décisions.

Concernant la place de l'évaluation du risque dans la construction de la décision publique, il m'a souvent été demandé si l'Agence ne devrait pas être une haute autorité indépendante. Je crois que ce n'est pas sa place. Je considère en effet que ce n'est pas l'indépendance de l'Agence en tant que telle qui est la question centrale, mais bien plutôt l'indépendance de l'expertise. L'Agence est au service de politiques publiques, émanant essentiellement des cinq ministères mentionnés précédemment, et formule des recommandations dans un domaine qui, par essence, relève de la compétence du gouvernement sur les politiques publiques mises en place. C'est bien l'indépendance de l'expertise qui constitue la base de ces recommandations. Or la construction de cette expertise s'appuie, à l'Agence, sur des comités d'experts, choisis précisément pour l'absence de liens d'intérêt (intellectuels ou économiques) avec les questions qu'ils ont à traiter, et se fonde sur un dialogue permanent avec les porteurs d'enjeux. Ainsi, lorsque des ONG ou des représentations professionnelles ont des compétences scientifiques à apporter, elles sont auditionnées, mais ne participent ni à la décision, ni aux conclusions de l'expertise.

Nous veillons à une séparation claire et stricte entre d'un côté nos comités d'experts, qui fonctionnent sur une base d'évaluations scientifiques et d'auditions multiples au sein desquelles nous prenons soin d'équilibrer les prises de paroles entre les différents porteurs d'intérêts, de l'autre les conclusions formulées par l'Agence, qui s'appuient strictement sur une évaluation scientifique, dont nous nous assurons qu'elle soit la plus indépendante possible.

L'Agence est donc essentiellement une instance d'évaluation de risques. J'ai coutume de dire que lorsque le risque est avéré, ce n'est pas à l'ANSES qu'il faut s'adresser. L'ANSES n'a vocation à être sollicitée que dans des circonstances ou sur des sujets qui sont l'objet de fortes incertitudes, lorsqu'il existe un risque potentiel. L'Agence applique l'article 5 de la Charte de l'environnement relatif au principe de précaution, en veillant à la mise en oeuvre d'une évaluation de risques à partir de laquelle doivent être développées des mesures proportionnées. L'objectif de nos comités d'experts est de graduer le risque et le niveau d'incertitude et, à partir de là, de formuler des recommandations pour proposer des mesures de gestion appropriées. Dans la plupart des cas, les gestionnaires du risque sont les ministres en charge des politiques publiques, sauf pour les autorisations de mise sur le marché, qui relèvent aujourd'hui de la responsabilité de l'Agence, même si le ministre en charge de l'agriculture dispose d'un droit de veto sur nos décisions.

Outre les principes déontologiques et la pluridisciplinarité, je souhaiterais pointer la question, essentielle pour nos comités d'experts, de la place des sciences humaines et sociales, non pour procéder à des analyses socio-économiques, extrêmement complexes dans le champ de l'environnement et de l'agriculture, mais plutôt pour éclairer diverses questions nécessitant l'intervention d'experts en sociologie, en anthropologie, en économie, pour venir appuyer la réflexion des comités d'expertise, dans tous les domaines de l'Agence. Nous nous employons ainsi à diversifier nos recrutements sur ces compétences.

Concernant les sources de données, il faut savoir que l'Agence s'appuie sur la prise en compte de toutes les données disponibles aujourd'hui, qu'elles soient d'ordre public, émanent de la sphère académique, des industriels ou de toute autre base de données. Je voudrais insister sur le fait que la quasi-totalité de nos avis se conclut par le constat d'un manque de données et de connaissances nous permettant d'aller plus loin dans nos évaluations de risques. Or il est absolument essentiel que l'on puisse, sur des questions de forte incertitude, mobiliser la communauté scientifique et, par là-même, reconnaître l'expertise produite par ces chercheurs dans le cadre de leur mission de recherche. Dans le domaine de l'électro-hypersensibilité par exemple, seules quelques équipes, en France et dans le monde, travaillent sur les risques liés aux bas champs magnétiques. Pourtant, l'inquiétude et l'expression publique existent sur ces questions, auxquelles nous sommes en devoir d'apporter, autant que faire se peut, une réponse.

C'est aussi la raison pour laquelle, au-delà de notre mission de recherche dans nos propres laboratoires, nous finançons des travaux de recherche au travers du programme national de recherche « environnement santé travail », dont nous sommes l'opérateur et qui est cofinancé depuis dix ans par les ministères du travail et de l'environnement. Nous avons organisé l'an dernier un colloque à l'occasion du dixième anniversaire de ce programme et proposons chaque année deux colloques scientifiques au cours desquels sont restituées les connaissances nouvelles produites par les projets scientifiques que nous finançons.

Six millions d'euros étaient alloués chaque année à ce financement jusqu'à l'année dernière. Mme Brune Poirson a annoncé que deux millions d'euros supplémentaires seraient débloqués cette année et dédiés à la recherche sur les perturbateurs endocriniens, sur appels à projets. Ces financements sont complétés par l'Ademe, l'Institut national du cancer dans le domaine « cancer et environnement » et l'Agence de la biodiversité sur le plan Ecophyto.

Tous ces financements sont complémentaires de ceux alloués par l'Agence nationale de la recherche. Ils visent à financer des travaux de nature plus appliquée et viennent davantage en réponse aux besoins de l'évaluation de risques, dans des domaines dans lesquels on manque de données, de modèles et de connaissances. Nous orientons ainsi ces projets et le montant qui y est consacré est à peu près équivalent à celui que l'Agence nationale de la recherche alloue, depuis sa création, à la problématique santé environnement et santé au travail, sur des travaux beaucoup plus fondamentaux. Il est clair que nous avons besoin d'amplifier ces sources de financement pour produire connaissances et données.

De nombreux questionnements de la société civile, et certainement de la représentation nationale, portent sur l'utilisation et la transparence des données provenant des industriels. Vous avez auditionné précédemment l'UIPP. Une question se pose quant à la transparence et la publicité de ces données : il s'agit vraiment d'un sujet sur lequel nous devons avancer. Aujourd'hui, une partie de ces données est protégée, sur le plan législatif, par un certain nombre de droits liés à la protection des données industrielles. Pour autant, ces données sont produites dans un cadre très règlementé, très strict, avec une méthodologie de niveau de preuve et de données à fournir fixée par un cadre BPL, règlementairement. Ces études sont conduites sous assurance qualité.

Nous avons en fait un paradigme entre, d'un côté, des données industrielles systématiquement suspectes, mais produites dans un cadre règlementaire très « processé » et, de l'autre, des données publiques issues de la littérature scientifique qui, certes, sont produites dans un autre cadre mais sont issues d'études qui ne sont pas faites pour démontrer le risque ou l'absence de risque par rapport soit au produit soit au phénomène que l'on veut observer et que l'on ne peut, de ce fait, reprendre que partiellement, parce qu'elles ne s'appliquent pas totalement à l'objet regardé en matière d'évaluation de risque.

Ceci renvoie à la question, sur laquelle nous reviendrons certainement au fil de nos discussions, de la différence d'appréciation d'un certain nombre de collectifs d'experts par rapport au poids de preuve apporté par ces données publiques ou privées, qui va conduire à une différence d'appréciation sur le niveau d'incertitude au regard de la qualité de ces informations et amener tel groupe d'experts à conclure à un niveau de risque induisant un effet probable (par exemple cancérigène), suspecté, avéré ou l'absence d'effet par rapport au niveau de preuve.

L'Agence a mis en place auprès de son conseil scientifique un comité d'experts sur les méthodologies d'évaluation du risque, auquel nous avons demandé de travailler sur la qualité des données, sur les méthodes qui nous permettraient de mieux discerner le niveau de preuve au regard du type de données et de publication considéré : chacune de ces publications et de ces données est ainsi affectée, dans nos évaluations de risques finales, d'un certain coefficient de qualité. Ce comité a également été chargé de formuler des propositions visant à faire évoluer nos processus d'évaluation de risques, en améliorant toujours la méthodologie.

Nous avons ainsi le souci constant, indépendamment des aspects règlementaires, d'améliorer les méthodologies d'évaluation de risques.

Pour autant, ces dernières sont basées, depuis les années 1950, sur un cadre méthodologique et des standards internationaux que, bien souvent, le grand public sous-estime ou méconnaît. Or ce sont des processus d'évaluation extrêmement stricts et exigeants.

Le principe fondateur, qualifié de « red book », a été publié en 1983 aux États-Unis par le National research council, organisme qui précède l'Académie des sciences américaine. Toujours en vigueur aujourd'hui, il prévoyait quatre étapes dans une évaluation de risque :

- l'identification du danger, du niveau de dangerosité d'une substance par exemple ;

- l'estimation de la relation entre la dose et les effets de cette substance ;

- l'estimation des expositions auxquelles l'organisme est soumis par rapport à ce danger ;

- la caractérisation du risque, prenant en compte à la fois le danger et l'exposition.

Le débat est perturbé aujourd'hui par la prise de conscience de l'effet des perturbateurs endocriniens, dont nous avons décrit, pour un certain nombre d'entre eux, des effets non monotones, c'est-à-dire non strictement proportionnés à la dose, ce qui remet en cause des principes qui prévalaient depuis le XVIIe siècle, selon lesquels le poison était partout mais produisait un effet proportionnel à la dose. Il faut bien comprendre que ces effets de perturbation endocrinienne sont avérés sur un certain nombre de substances, mais que tout perturbateur endocrinien n'est pas soumis à un effet non monotone. Il faut ainsi pouvoir estimer les effets sans seuil et les prendre en compte dans nos méthodologies d'évaluation de risques, en sachant que tous les effets de perturbations endocriniennes ne sont pas de cette nature.

Sur le plan règlementaire, ce sont des organisations internationales telles que la FAO et l'OMS qui ont fondé le codex alimentarius, sur lequel s'appuie la réglementation. Dans le domaine de la santé animale, c'est l'Organisation de la santé animale (OIE) qui a mis en place ce dispositif. En matière de santé végétale, ceci s'appuie sur la directive relative à l'analyse des risques phytosanitaires, adoptée en 1989. Tout cela constitue un référentiel extrêmement important. Au niveau européen, l'Agence européenne de l'environnement, basée à Copenhague, a également publié des référentiels.

Les référentiels sur lesquels s'appuie aujourd'hui l'évaluation de risques sont ainsi très codifiés à l'échelle internationale. Nous cherchons par ailleurs à les faire évoluer. L'Agence est le correspondant, au niveau européen, de cinq agences communautaires : l'Agence européenne de sécurité des aliments pour tout ce qui concerne les produits phytosanitaires, additifs alimentaires et la sécurité alimentaire (EFSA), l'Agence des produits chimiques pour tout ce qui concerne REACH et la réglementation dans ce domaine (ECHA), l'Agence du médicament, pour tout ce qui concerne les médicaments vétérinaires (EMA), l'Agence basée à Bilbao et s'occupant de santé au travail (IOSHA) et, enfin, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Nous travaillons avec ces agences pour faire évoluer les règlementations en matière d'évaluation de risques ou de produits réglementés.

L'ANSES, par ses travaux scientifiques, contribue à l'évaluation de ces méthodologies. J'ai déjà évoqué la question de l'expertise et notre groupe de travail sur les méthodologies d'évaluation de risques. Je n'ai pas cité en revanche les travaux conduits non dans nos laboratoires, mais dans nos directions d'évaluation de risques, par exemple sur les modèles visant à prendre en compte les effets cumulés ou les effets cocktails, qui entrent, dès que ces connaissances peuvent être standardisées, dans de nouvelles méthodes d'évaluation de risques.

Toutes nos évaluations sont conduites dans le cadre d'un processus qualité. L'Agence est ainsi accréditée ISO9000 et toute l'expertise respecte la norme internationale NFX50-110 pour garantir une expertise scientifique de qualité. L'ANSES a par ailleurs adhéré à la Charte de l'expertise scientifique, ainsi qu'à celle de l'ouverture de l'expertise scientifique à la société. Nous envisageons en outre d'adhérer au nouveau cadre déontologique fixé par le ministère de la recherche : cela fera prochainement l'objet d'une proposition à notre conseil d'administration. Nous sommes donc extrêmement intégrés à tous ces dispositifs.

Vous percevez ainsi que l'Agence est en très forte interaction avec les agences européennes et internationales. Aujourd'hui, la sécurité sanitaire ne s'arrête pas à nos frontières. Nous devons forcément nous inscrire dans un dispositif susceptible de nous permettre de garantir la sécurité sanitaire pour nos concitoyens. Ceci passe par des normes appliquées au-delà de nos frontières. On voit bien, lorsque l'on prend des mesures strictement nationales, les distorsions de concurrence que cela peut générer par rapport aux échanges au sein même de l'Europe ou à l'international.

L'un de nos objectifs est, par le biais de nos travaux scientifiques, de coopérer avec nos partenaires en Europe et dans le monde pour aller vers une harmonisation des processus d'évaluation, des normes et des standards au niveau international. Nous participons, dans les comités AFNOR ou ISO, aux travaux visant à tendre vers cette harmonisation.

Une quinzaine de grandes agences dans le monde est capable de réaliser des évaluations de risques comme celles que je vous ai décrites. Nous avons des accords bilatéraux de coopération avec pratiquement chacune d'entre elles. Depuis que j'ai pris mes fonctions à l'Agence, voici environ vingt mois, j'ai fait le tour de la quasi-totalité de nos grands partenaires européens (dont le BFR allemand, qui est notre agence homologue sur la partie sécurité des aliments, le DTU au Danemark, le RIVM en Hollande) et internationaux (dont la FDA aux États-Unis, l'ACIA au Canada, la Food safety commission au Japon). Nous disposons également d'accords internationaux en Chine et en Inde. L'objectif, au-delà de la coopération scientifique et de son renforcement, est d'aller vers des normes comprises de la même façon et vers des processus d'évaluation de risques exigeants, adaptés et organisés de la même manière partout dans le monde. Nous y travaillons avec l'OMS et les organes internationaux. Nous avons ainsi organisé en novembre en Chine, avec l'Agence européenne de sécurité des aliments, nos collègues allemands du BFR, l'OMS et l'Agence chinoise de sécurité alimentaire, un grand colloque sur l'harmonisation des normes.

Il est clair que, par l'ampleur de nos travaux et l'histoire de l'Agence (l'AFSSA ayant été créée en 1998, avant même la création de l'EFSA, liée en 2002 à la « food law », directive européenne dont on a fêté les quinze ans cette année et qui va être en révision), l'ANSES est l'un des premiers contributeurs en termes d'expertise en Europe, aussi bien pour les grandes évaluations de risques transversales que pour l'évaluation des produits réglementés. Avec la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne, nous sommes évidemment soumis à une demande accrue de dossiers à expertiser. Ainsi, plus de 40 % des médicaments vétérinaires étaient expertisés jusqu'à présent par l'Agence britannique du médicament. Tous ces dossiers vont désormais revenir aux agences continentales et en particulier à l'ANSES.

Voici en quelques mots une brève présentation de l'ANSES, qui visait également à répondre à votre question, M. le président, sur les aspects de transparence et de déontologie. J'espère avoir répondu à vos interrogations, mais suis tout à fait disposé, si tel n'était pas le cas, à revenir sur ces divers éléments.

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