Intervention de Gérard Lasfargues

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 10h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Lasfargues, directeur général délégué, Pôle sciences pour l'expertise, ANSES :

Une bonne expertise suppose de disposer à la fois d'un niveau d'excellence scientifique, donc des compétences et de la pluridisciplinarité requises, et d'une totale crédibilité. En effet, une très bonne expertise sur le plan scientifique peut être cassée par la présence d'un conflit d'intérêt patent chez l'un des experts sollicités pour la conduire. Appliquer des règles de déontologie et de transparence extrêmement précises et développées constitue un point important. C'est là l'une des pistes de progrès majeures présentes au niveau européen pour un certain nombre d'agences.

Il faut également que cette expertise soit utile. Elle doit pour cela répondre aux questions du demandeur (en général ministères et autorités publiques), mais aussi aux préoccupations sociétales. L'ouverture de l'expertise à la société est une condition vraiment fondamentale. Ceci ne recouvre pas uniquement le dialogue sur la communication des avis et des risques : il faut aller beaucoup plus loin et, dès qu'une question est posée sur une expertise, prendre en compte les positionnements des acteurs, resituer l'expertise dans le contexte non seulement scientifique, mais aussi politique, et être en capacité de répondre aux questions de la société. Lorsque nous parlons du rôle des sciences humaines et sociales dans le processus d'expertise, il ne s'agit pas pour nous d'un élément accessoire, mais d'un aspect fondamental : en l'absence de la contextualisation de l'expertise qu'elles permettent, on peut en effet passer totalement à côté de la question essentielle, malgré des réponses parfaites sur un plan technique.

Diverses pistes de progrès sont envisageables, notamment au niveau des agences européennes, qui travaillent déjà beaucoup avec les parties prenantes sur la communication, mais n'ont peut-être pas encore suffisamment, dans un certain nombre de cas, pris en considération ces préoccupations sociétales, en amont même du travail d'expertise.

Vous avez également évoqué le point important des données et des études. Nous sommes extrêmement proactifs au niveau européen, tant dans le champ des produits réglementés que dans celui des évaluations de risques d'une façon générale, pour porter, en nous appuyant sur les travaux menés à l'Agence sur ces questions, des propositions visant à progresser dans la prise en compte des incertitudes dans les résultats des études expérimentales sur les dangers et des études d'exposition – en ajoutant, par exemple, des facteurs de sécurité pour extrapoler à l'homme des dangers identifiés chez l'animal –. Cet aspect est important dans la mesure où la prise en compte d'études ou de points de vue divergents peut amener une agence règlementaire européenne ou un autre organisme – nous l'avons vu dans le cas du glyphosate – à des classifications de niveau de danger différentes pour une même substance. Le CIRC, organisme extrêmement sérieux, avec lequel nous entretenons de nombreuses relations, a ainsi pris en considération les études de la littérature académique scientifique, mais pas les travaux des industriels. Inversement, l'agence règlementaire - en l'occurrence l'EFSA, qui a effectué au niveau européen l'évaluation de la substance active glyphosate - a tenu compte des études produites par les industriels et n'a pas appréhendé les études académiques de la même manière que le CIRC. Il est important, dans une telle situation, de pouvoir expliciter et rendre transparentes les raisons expliquant les divergences exprimées et la méthode par laquelle on sélectionne et prend en compte ou non une étude dans une expertise, pour arriver aux conclusions finales. On voit par exemple, sur le glyphosate, que les données épidémiologiques de certaines études dites « cas témoins », dans lesquelles on compare les cas de malades à des témoins, en examinant la manière dont les uns et les autres ont été exposés à la substance par le passé, n'ont pas été pondérées de la même façon par l'EFSA et par le CIRC. De même, les données de nombreuses études industrielles sur la génotoxicité du glyphosate n'ont pas été considérées de manière similaire par les deux instances.

Il est donc important à la fois de rendre transparentes les méthodologies de sélection des études et d'interprétation des données, et de les harmoniser. Nous portons au niveau européen des propositions fortes en ce sens. Le fait de disposer, comme c'est le cas aujourd'hui, de critères de perturbateurs endocriniens différents dans les réglementations biocides, phytopharmaceutiques et REACH, peut aboutir à des classements différents d'une même substance dans ces trois règlementations. Vous envisagez aisément la problématique que cela soulève.

De la même façon, il est impératif de parvenir à harmoniser des référentiels sur des valeurs limites, sur des limites maximales de résidus, dans les diverses règlementations européennes. Il s'agit d'un point de progrès auquel nous sommes évidemment extrêmement attentifs.

La transparence et la disponibilité de ces données sont également des éléments importants, notamment pour nos experts, mais aussi pour les chercheurs de la communauté scientifique, qui doivent pouvoir avoir accès aux données brutes. On s'aperçoit en effet parfois que les études produisent des données, mais que l'analyse statistique qui en est faite et les conclusions que l'on en tire peuvent être différentes selon les personnes qui les ont examinées. Il est donc important de pouvoir mettre à disposition des experts et des autres scientifiques les données brutes des études, afin qu'ils puissent éventuellement les réinterpréter. Ceci s'effectue très couramment au sein de la direction des produits réglementés de l'ANSES lorsque l'on doit instruire pour la France un dossier relatif à une substance active. Nos experts scientifiques n'hésitent pas à retravailler sur les données brutes des études, afin de vérifier si les résultats et conclusions annoncés par les industriels sont corrects ou pas.

Je reviendrai brièvement pour conclure sur la cohorte Agrican et les réactions des agriculteurs. D'une façon générale, une étude de cohorte consiste à suivre dans la durée des personnes qui travaillent dans un domaine donné, en l'occurrence le secteur agricole. Lorsque l'on examine la santé globale au sein d'une étude de cohorte, on constate qu'elle est souvent meilleure que celle de la population générale. Ceci est dû au fait que l'étude en question ne prend pas en compte un certain nombre de populations fragiles du point de vue de la santé (chômeurs, travailleurs intérimaires ou saisonniers, etc.). Certains facteurs, qui peuvent peser lourd sur la morbidité ou la mortalité des populations, peuvent en outre être différents : on sait par exemple que les agriculteurs fument moins que la population générale, ce qui peut expliquer la sous-mortalité par cancer du poumon chez cette frange particulière de la population. Il n'empêche que l'on peut s'interroger sur les excès de risque d'un certain nombre de pathologies, notamment de pathologies à long terme, dans ces populations par rapport à la population générale. C'est clairement le cas, aujourd'hui, chez les agriculteurs exposés aux produits phytopharmaceutiques concernant, par exemple, la maladie de Parkinson, certains types de cancer comme les lymphomes malins non hodgkiniens ou certaines hémopathies malignes, sur lesquelles on a des suspicions et qui sont, pour certaines, reconnues aujourd'hui comme maladies professionnelles.

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