Concernant le manque de moyens, il convient de considérer le niveau général - comment mieux répondre à nos besoins en termes d'évaluation de risques - et le fonctionnement de l'Agence. Je vais immédiatement m'extraire de ce deuxième aspect, dans la mesure où je ne suis pas venu ici formuler de demande budgétaire.
L'Agence est, comme les autres acteurs publics, soumise à un ensemble de contraintes, liées évidemment au budget de l'État. Il est clair que nous sommes dans une situation de demande croissante. On a par ailleurs, depuis 2010, cessé de transférer des missions nouvelles à l'Agence, qui dispose d'un budget relativement sanctuarisé et stabilisé. La plus grande difficulté pour nous a souvent concerné notre plafond d'emplois.
Toute l'activité liée aux produits réglementés est assise sur des taxes payées par les industriels qui demandent des autorisations de mise sur le marché, que ce soit pour les médicaments vétérinaires, les produits biocides ou phytosanitaires. Des redevances sont ainsi payées au dossier par les industriels qui effectuent les demandes d'AMM ; elles nous permettent de financer notre activité en coût complet.
Bien entendu, nous sommes, en tant qu'opérateur public, soumis à un plafond d'emplois, qui ne varie pas de façon systématique proportionnellement aux taxes que nous collectons. Ceci peut donc être source de difficulté lorsqu'il s'agit de respecter les délais et de remplir nos missions. En revanche, les moyens budgétaires couvrent aujourd'hui notre activité en coût complet, et ce d'autant plus que le barème de la taxe sur les produits phytosanitaires a été réévalué l'an dernier.
Pour l'ensemble des autres activités de l'Agence, dont les grandes évaluations de risques, nous sommes soumis à une diminution de sept postes par an pendant cinq ans, ce qui nous forcera à effectuer des choix et à définir des priorités afin de remplir notre cahier des charges. Une augmentation de 120 postes est, par ailleurs, programmée sur les cinq ans, liée justement à la prévisibilité d'accroissement de nos taxes sur la partie recettes que nous pouvons justifier. Nous pourrons ainsi augmenter notre plafond d'emplois ; mais hors de la partie « produits réglementés », c'est-à-dire sur tout le reste de notre activité (recherche, référence et évaluation de risques), nous sommes soumis à une diminution de 35 postes sur cinq ans.
Évidemment, il n'existe aucun avis de l'Agence ne concluant pas sur le besoin de disposer de connaissances nouvelles pour appuyer notre évaluation de risques. Les moyens nécessaires concernent la production de données et d'études. L'Agence dispose, au-delà du programme de recherche auquel j'ai fait référence, de moyens en propre qui lui permettent de financer des études. Ainsi, la phyto-pharmacovigilance, qui a été inscrite dans la loi d'orientation agricole, est fondée sur une taxe sur le chiffre d'affaires des producteurs de pesticides. Chaque année, les 2 millions d'euros ainsi collectés nous permettent de financer des études menées sur le terrain par les organismes du réseau de phyto-pharmacovigilance, afin de mesurer l'impact des produits phytosanitaires sur les organismes cibles ou le sol. De même, il existe une taxe affectée touchant les opérateurs de téléphonie mobile et permettant de financer, à hauteur de 2 millions d'euros par an, des études indépendantes de long terme sur les effets des radiofréquences. Ce dispositif, assis sur des financements privés, permet de conduire de la recherche publique et, au final, de nous apporter des données.
Est-ce suffisant ? Nous sommes tous confrontés, sur les questions de forte incertitude, à un besoin crucial de production de données et de recherches. Même si l'on souhaiterait que les montants alloués soient toujours plus élevés qu'ils ne sont, il faut souligner que nous disposons tout de même, dans notre budget, de moyens nous permettant de financer non seulement des programmes de recherche, mais également des études.
En 2016, nous avons, par exemple, été interrogés sur les éventuels effets sur la santé des compteurs Linky, alors même, ce que l'on peut déplorer, que le déploiement de ces dispositifs avait déjà commencé. Nous avons ainsi demandé au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) d'effectuer des mesures et de produire un ensemble de données qui nous ont permis de mener ensuite l'évaluation de risques. Il nous a fallu 18 mois pour mener à bien cette démarche et délivrer un avis concluant à l'absence d'effets sanitaires de l'exposition à ces bas champs électromagnétiques.
Concernant les experts, nous ne rencontrons aucun problème de recrutement. Je rappelle que les déclarations publiques d'intérêt sont de la responsabilité des experts eux-mêmes. Nous nous employons à leur expliquer que lorsque nous ne les retenons pas ou leur demandons de se déporter, nous les protégeons autant que nous nous protégeons. Les experts doivent prendre conscience de cela. Certains d'entre eux vivent encore le fait de ne pas être retenus pour mener une expertise comme une exclusion. Or l'existence d'un lien d'intérêt peut affaiblir nos expertises. Notre démarche vise donc à protéger les experts de ce type de situation et à garantir la qualité des travaux produits par l'Agence. Je signale que la responsabilité pénale de chaque expert est engagée dans les déclarations d'intérêt qu'il produit. Nous avons la responsabilité d'analyser et de prendre en compte ces DPI, mais n'avons pas de pouvoir de police judiciaire pour enquêter sur les éléments déclarés.
La rémunération de ces experts est plutôt symbolique, de l'ordre de 95 euros par demi-journée d'expertise à l'Agence, soit quatre fois moins que pour les experts siégeant à l'EFSA. Je crois toutefois que le fait d'être sélectionnés par l'ANSES constitue pour ces experts une reconnaissance de leur qualité, de leur niveau, qui doit être valorisée dans les évaluations scientifiques des comités. Je pense qu'il faut que la communauté scientifique, voire l'Académie des sciences elle-même, évoluent en termes de prise de position sur l'intégration de ces travaux d'expertise dans le parcours des scientifiques. Ces scientifiques étant évalués par leurs pairs, c'est l'ensemble de la communauté qui doit évoluer sur ces aspects. Notre responsabilité est de valoriser au mieux ces missions d'expertise. Nous envisageons ainsi différentes façons de les publier. Par exemple, l'EFSA publie des articles scientifiques signés du « Collectif d'experts de l'EFSA ». Nous considérons la possibilité de faire de même. Lors de mes dernières visites aux États-Unis et au Japon, j'ai également pris des contacts pour que les synthèses de nos articles les plus forts puissent être publiées dans des revues internationales. La plupart de nos avis ayant une portée générale sont, en outre, traduits en anglais pour être diffusés. Ce sont toutefois des avis collectifs, qui ne peuvent, à ce titre, être signés par les experts ni classés comme des revues de rang A ou A+. Il faudrait cependant qu'ils soient pris en compte par le Haut conseil à l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) dans l'évaluation de la carrière des chercheurs.
Concernant la place des non-scientifiques, nous considérons bien évidemment cela comme une richesse. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous tenons à maintenir, par exemple, des comités de dialogue. Je pense toutefois qu'il faut être clair sur ce qui relève de la discussion scientifique au sein des comités d'expertise et ce qui concerne la prise en compte des avis extérieurs. La discussion conduisant à des recommandations scientifiques, basées sur une évaluation scientifico-technique, s'effectue ainsi avec les comités d'experts de toutes disciplines, en élargissant de plus en plus le champ à des experts des sciences humaines et sociales ; en revanche, les représentants de la société, les porteurs d'enjeux et les scientifiques qui peuvent se positionner non pas en qualité d'experts indépendants, mais comme porteurs d'enjeux s'exprimant à ce titre, peuvent être auditionnés mais ne font pas partie de ces comités. Je pense qu'il faut séparer la conclusion de l'expertise, la recommandation, qui doivent être les plus indépendantes possibles, de la prise en compte de la diversité des points de vue, soit par des auditions au cours de l'expertise, soit en amont et en aval dans nos comités de dialogue et dans notre gouvernance.
Vous mentionnez l'exemple de l'OPECST : sauf erreur de ma part, l'Office ne prend pas de décision opposable et portant à contentieux, alors que nos groupes d'experts formulent des recommandations conduisant à des décisions administratives opposables et potentiellement sources de contentieux. Il nous semble important de clairement distinguer expertise et dialogue ouvert. C'est ainsi que fonctionne l'Agence depuis 2011. Je crois, en disant cela, ne pas trahir les membres du comité de dialogue « radiofréquences » qui ont, lors de leur dernière réunion au mois de novembre, remercié Mme Marie-Line Meaux, du Conseil général de l'environnement et du développement durable, qui préside cette instance depuis plusieurs années, et l'Agence d'avoir su construire ce comité au sein duquel, en dépit de points de vue différents, parfois de désaccords sur les conclusions, ont pu avoir lieu des débats ouverts et de qualité, qui n'existent pas nécessairement sur ces questions hors de l'Agence, dans la sphère publique.