Intervention de Roger Genet

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 10h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Roger Genet, directeur général de l'ANSES :

Vous avez raison : il s'agit en effet d'une taxe affectée, donc d'une contribution obligatoire. Il est important, dans un débat au cours duquel on discute la question de savoir qui doit payer l'expertise, de préciser d'où proviennent aujourd'hui les financements permettant de conduire des études. Je me réjouis que l'on puisse bénéficier de taxes affectées : cela me semble assez légitime et sert également les secteurs économiques concernés, qui savent précisément comment elles sont utilisées. En outre, ces montants sont absolument essentiels pour nous. Si nous ne disposions pas de ce financement, pour les radiofréquences par exemple, sous la forme de la taxe IFER, il n'existerait, selon toute vraisemblance, quasiment pas de dispositif de soutien de la recherche en France sur cette question des radiofréquences et des bas champs magnétiques.

Nous disposons, à propos des DPI, d'une organisation que je n'ai pas détaillée. Notre comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt donne des conseils et peut s'autosaisir. Il a rendu une vingtaine d'avis depuis 2011.

Par ailleurs, nous bénéficions, depuis la loi de modernisation du système de santé, d'un déontologue, placé auprès de moi, qui élabore un rapport annuel sur la mise en oeuvre des règles de déontologie au sein de l'Agence. Il contrôle, par là-même, le taux de DPI remis à jour chaque année, qui est actuellement de 100 %, et vérifie la façon dont ces déclarations sont analysées, sachant que nous disposons d'un service qui coordonne l'ensemble des expertises et, en collaboration avec le service juridique, « screene » tous les DPI pour examiner, notamment, les financements reçus, à titre personnel ou sous forme de part issue du financement du laboratoire. Grâce à la grille d'analyse construite avec l'avis de notre comité de déontologie, nous pouvons caractériser ce qui relève d'un lien d'intérêt mineur ou majeur et ce qui fait ou non conflit d'intérêt. Nous éliminons, sur cette base, tout risque de conflit d'intérêt. En revanche, nous n'avons absolument aucun pouvoir pour vérifier que les montants déclarés sont justes ni que les déclarants n'ont pas omis de mentionner certaines sommes. Nous rappelons toutefois régulièrement la nécessité, pour les experts, d'effectuer cette déclaration.

Les présidents de comités d'experts spécialisés examinent en outre, à chaque réunion, les DPI des membres présents et envisagent, au regard de l'ordre du jour, les éventuels déports possibles. Les règles déontologiques sont, par ailleurs, rappelées à chaque séance.

Il existe donc à l'ANSES toute une série de dispositifs dans ce domaine, les derniers en date étant la mise en place d'un référent déontologue au sein de l'Agence, comme dans chaque entité publique, qui va conseiller nos experts et nos agents sur la façon de remplir leurs obligations déontologiques – dont les DPI –, et d'un référent « alerte », prévu par la loi « Sapin 3 », qui a vocation à recueillir des alertes liées soit à des atteintes à la santé et à l'environnement, soit à des risques de crimes ou de délits dont il pourrait avoir connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Le dispositif mis en oeuvre est donc extrêmement complet : nous ne nous contentons pas d'enregistrer les DPI de loin.

S'agissant du personnel de l'ANSES, c'est la direction des ressources humaines de l'Agence qui est chargée d'analyser l'ensemble des DPI et, en cas d'alerte, de m'informer du cas en question afin que je puisse trancher, y compris au moment des recrutements, sur la conduite à tenir. Le seul membre de l'Agence soumis à déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) est son directeur général.

Quant à attirer les meilleurs, nous nous y employons. Il est vrai qu'il existe toujours un conflit, dans les laboratoires de recherche, entre la production scientifique et d'autres activités comme l'enseignement ou l'expertise. Il faut, pour participer à l'appui aux politiques publiques, avoir un goût pour ce type de mission. En outre, certains organismes de recherche ont, par fonction, une mission d'appui aux politiques publiques : on pourrait ainsi imaginer que nos experts viennent principalement de ces établissements de recherche appliquée. Il n'en est rien. Il se trouve que nombre des experts siégeant dans nos comités sont issus du CNRS, de l'INSERM, de l'INRA, des universités. Nous les sélectionnons évidemment par rapport à leurs productions scientifiques et à leurs domaines de compétences. Tous n'ont pas de prix Nobel ou de médaille Fields mais tous se situent à un haut niveau d'expertise.

Bien entendu, notre responsabilité est aussi de faire en sorte, même si ces chercheurs ont le goût de l'appui aux politiques publiques, qu'ils s'y retrouvent dans leur carrière et dans la valorisation des travaux auxquels ils contribuent dans ce cadre. C'est la raison pour laquelle je me permets d'insister sur ce point. Quand l'expertise est attaquée et mise en cause, y compris au niveau européen ou international, je trouve la communauté scientifique étrangement muette face à ces critiques. Or elle est pourtant concernée au premier chef, dans la mesure où ce ne sont pas les agences qui rendent des avis mais des comités d'experts, composés des scientifiques des organismes publics. Il suffit de regarder les DPI pour s'apercevoir que, bien souvent, les attaques portées à propos de supposés conflits d'intérêt n'ont pas lieu d'être. Il est regrettable de constater que la tendance est plutôt, aujourd'hui, lorsque l'on n'est pas d'accord avec un avis scientifique, à attaquer l'intégrité des experts qu'à s'en prendre au fond, aux vrais arguments scientifiques qui sous-tendent l'expertise elle-même.

Je voudrais juste, si vous le permettez, ajouter un point que nous n'avons pas mentionné mais au sujet duquel nous vous ferons parvenir un document écrit complémentaire : il concerne la question des divergences scientifiques et des processus mis en place pour les traiter. Au niveau européen, par exemple, la « food law » prévoit, dans son article 30, dans le cas où des agences d'États membres ou des agences communautaires sont en désaccord, un processus de traitement des divergences permettant aux comités d'expertise de se rapprocher pour converger. Malheureusement, très souvent, les divergences sont traitées médiatiquement avant même que nous ayons le temps de mettre en oeuvre les procédures qui existent règlementairement pour tenter de les résoudre. Je pense qu'il y a place pour la divergence, la controverse scientifique : cette démarche est saine quand elle permet de faire progresser la science. Elle est, certes, compliquée à gérer pour le décideur public et le gestionnaire, car elle est source d'interrogation du public, mais s'il n'existait qu'une vision scientifique, unique, prédominante, alors l'expertise sur laquelle fonder les politiques publiques serait nécessairement de mauvaise qualité.

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