Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du mardi 13 mars 2018 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo :

Tout d'abord, il me paraît intéressant d'éclairer nos travaux en regardant comment s'est déroulée l'exécution de la LPM précédente, qui a fait l'objet d'un rapport que j'ai élaboré avec mon collègue François André.

Si nous devions le résumer, nous pourrions dire qu'il s'agissait d'une programmation risquée, mais dont l'exécution fut unanimement saluée par l'ensemble de nos interlocuteurs. La révision intervenue en juillet 2015 a participé de cette réussite, puisqu'elle a permis d'adapter à un environnement international complexe les moyens humains et financiers mis à la disposition du ministère de la Défense.

À côté de cela, nous avions également souligné que la programmation capacitaire avait été relativement bien exécutée tant en commandes qu'en livraisons, alors même que la décision prise au départ de maintenir et d'étaler les investissements pouvait paraître difficile et ambitieuse dans un environnement budgétaire contraint.

Nous avions également soulevé plusieurs fragilités qui sont, à mon sens, autant d'enseignements à prendre en compte pour le futur.

J'en citerai à ce stade deux qui sont centrales. En premier lieu, il y a les coûts induits par les réductions de cibles et les renégociations des contrats d'armement. L'exemple des FREMM est marquant, puisque nous avions dépensé plus 14,5 milliards d'euros, au lieu de 12,5 milliards d'euros, pour recevoir deux bâtiments de moins que prévus. À côté de cela, il faut aussi dénoncer le coût exorbitant de la régulation budgétaire à court terme. Les annulations et gels engendrent des reports coûteux. Mon second point porte sur la question de la hausse tendancielle du coût du maintien en condition opérationnelle (MCO). Le besoin de maintenir des équipements vieillissant en état de fonctionnement a un prix. Mais les remplacements à venir ne semblent pas indiquer une baisse du MCO, puisque ces nouveaux matériels, plus sophistiqués, les feront augmenter.

L'enseignement que l'on peut tirer de cette exécution de la LPM précédente, c'est le besoin d'une certaine plasticité afin de répondre aux évolutions des environnements sécuritaires nationaux et internationaux et aux aléas parfois brutaux de l'économie mondiale. C'est pourquoi l'article 6 prévoyant une révision en 2021 est indispensable.

Les choix faits pour la LPM précédente, sa bonne exécution et des prévisions économiques favorables font le socle de ce qui est possible pour cette future programmation 2019-2025.

J'en viens donc aux mesures que vous nous proposez et à l'appréciation générale des équilibres budgétaires.

Cette LPM prévoit des augmentations de 1,7 milliard d'euros par an entre 2019 et 2022 et de trois milliards d'euros par an pour les années 2023, 2024 et 2025. Le but recherché : atteindre 50 milliards d'euros pour le budget du ministère des Armées en 2025 et consacrer ainsi 2 % du PIB à la défense.

Sur la période évoquée dans l'article 3, la période 2019-2023, ce sont 197,8 milliards d'euros qui devraient donc être mobilisés. Sur les sept ans de cette programmation, le rapport annexé indique que ce sont 295 milliards d'euros qui devront alimenter les différents budgets annuels pour atteindre l'objectif poursuivi.

La fin des ressources exceptionnelles est à souligner, car il évite les incertitudes. Je salue cet effort, mais comme je l'indiquerai plus loin, cela soulève également des interrogations.

Pour ce qui est de l'augmentation des provisions annuelles dédiées aux OPEX et missions intérieures, elle participe d'un effort de sincérité budgétaire que je tiens à saluer. Cette décision devrait éviter le financement du surcoût OPEX par les gels budgétaires touchant le ministère des armées en début d'année et qui ponctionnent le programme 146 et ainsi mettre fin à un autofinancement déguisé sous couvert d'interministériel.

Le rapport annexé présente l'ambition 2030 avec pour but le maintien d'un modèle d'armée complet garantissant l'autonomie stratégique de la France, en s'appuyant sur la modernisation des différentes composantes et l'augmentation des coopérations, notamment européennes.

Dans les faits, cela devrait notamment passer par un effort accru sur les équipements. Pour remplir leurs missions, les personnels de la défense doivent pouvoir compter sur des matériels fiables, offrant protection et autant que faire se peut, supériorité sur l'ennemi qu'ils ont à affronter.

J'approuve l'accélération des programmes concernant l'armée de terre – citons le programme Scorpion –, la marine et la composante aérienne. Cependant, pour cette dernière la question des ravitailleurs restera centrale, car il s'agit d'un matériel indispensable pour assurer notre capacité à intervenir.

L'augmentation des budgets consacrés à la recherche est un point positif, car il permettra de penser les futures évolutions de nos matériels pour disposer d'un modèle d'armée complet.

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale présentée en novembre 2017 mettait en avant trois points essentiels, dont la cyberdéfense et l'exo-atmosphérique. Elle note que ce contexte pourrait évoluer et que nous ne devons plus sous-estimer la possibilité de menaces étatiques et également d'une confrontation plus conventionnelle.

Le groupe Nouvelle Gauche salue la volonté affichée de faire de la sécurisation des installations une priorité, de rénover les infrastructures et d'augmenter les effectifs et d'améliorer la condition militaire avec le plan Famille.

Sur le papier, cette LPM est satisfaisante et semble prendre en compte les grands enjeux auxquels sont et seront confrontées nos armées. Tout le sujet sera la traduction de ces ambitions dans les budgets chaque année. Or je souhaite soulever plusieurs points qui me semblent faire peser des risques sur l'exécution de cette programmation.

Tout d'abord, se pose la question des augmentations de crédits. Si celles-ci sont à saluer, on peut s'interroger quant à leur répartition sur les années concernées. Il s'agit, comme je l'ai indiqué plus haut, de faire peser sur les années 2023, 2024 et 2025 des augmentations de trois milliards d'euros. On notera que ces très fortes augmentations interviendront après des échéances électorales qui peuvent remettre totalement en cause les choix faits par ce texte en 2018. Si l'ambition porte sur 2030, les annonces sur 2025, force est de constater que les ressources budgétaires fermes de l'article 3 ne sont réellement que sur la période de 2019 à 2023.

Les performances économiques réalisées – 2 % de croissance en 2017 et 1,9 % selon le FMI en 2018 – offrent des opportunités importantes pour investir dans le domaine crucial de la défense. Si l'on prend en compte le fait qu'il est difficile, voire impossible et risqué, de prédire ce que seront les performances économiques de notre pays dans quatre ou cinq ans, il faut donc assurer les augmentations quand l'évolution positive de la croissance le permet.

C'est pourquoi il nous semble que les augmentations fortes et repoussées aux années futures pourraient être réparties sur l'ensemble des années afin d'améliorer les chances d'arriver à l'objectif de 2 % du PIB consacré à la défense en 2025. Un amendement de mon groupe proposera donc une répartition plus équilibrée sur l'ensemble des années 2019 à 2025, afin de concrétiser les engagements exposés dans le rapport annexé et ainsi remplir l'ensemble des objectifs définis.

Les restes à payer constituent un autre point de vigilance. Ceux-ci correspondent, pour faire simple, à la différence entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement correspondants. En 2017, ils s'élèvent à environ 52 milliards d'euros pour la mission « Défense », ce qui représente presque la moitié des restes-à-payer de l'ensemble des missions budgétaires. Cependant, il s'agit du ministère qui concentre une grande part de l'investissement, sur des programmes qui s'étalent sur plusieurs années.

Or la loi de programmation des finances publiques adoptée fin 2017 prévoit que le montant des restes à payer pour les années 2018-2022 ne peut excéder ceux de 2017. Un amendement sénatorial en exonérait la mission « Défense », mais la majorité à l'Assemblée avait supprimé cette disposition. À présent, vous reprenez cette initiative, ce qui est à souligner, mais en ne le mentionnant qu'à la toute fin du rapport annexé. Vu l'importance de cette disposition, il est me semble indispensable de donner une légitimité plus importante à cette mesure d'exclusion, ce qui se traduira par un amendement de notre groupe.

La question des reports de charges constitue un troisième point de vigilance. Le rapport annexé prévoit leur réduction vers un seuil incompressible, ce qui va dans le bon sens. La trajectoire paraît par contre ambitieuse, si l'on prend en compte les aléas qui pourraient émaner des lancements, réalisations et livraisons de matériels qui pourraient intervenir dans la période de 2019 à 2025.

Quatrième point de vigilance : l'augmentation des prévisions OPEX et missions intérieures. Il était indispensable de revaloriser ces montants initiaux consacrés aux opérations. Cependant, le passage à une provision de 1,1 milliard d'euros par an limitera les augmentations, puisque ce sont plusieurs centaines de millions qui pèseront directement sur le budget des armées et non plus autant sur la solidarité interministérielle.

L'équilibre budgétaire global entre ces augmentations, les restes à payer, le report de charge et les ambitions annoncées sera particulièrement exigeant à tenir. Après avoir énoncé cette volonté de faire plus, plus vite, les attentes des personnels de la défense sont grandes et la déception serait aussi importante si elles n'étaient pas satisfaites.

Comme nous l'avons rappelé dans notre rapport, nous savons que le principal écueil est « l'inadéquation de la ressource budgétaire avec les ambitions affichées ». La volonté de Bercy de faire appliquer une logique budgétaire quelquefois simpliste et court-termiste pourrait faire peser un risque.

Pour finir, je souhaiterais aborder un sujet qui reste en suspens à ce jour : la rénovation du service national universel. Le président de la République et vous, Madame la ministre, vous êtes engagés à ne pas faire peser sur le budget du ministère des armées ce dispositif, peu importe la forme qu'il prendra – et je vous crois.

Vous connaissez mon opinion sur le bien-fondé et la faisabilité de la mise en place d'un système qui mobiliserait 800 000 jeunes par an pour une durée plus ou moins courte. Cela se chiffrerait en milliards d'euros. Je tiens à rappeler ici la solution que deux rapports de cette commission ont évoquée, dont le dernier il y a quelques semaines. Ce n'est pas entre 18 et 25 ans que l'on transmet valeurs et attachement à la Nation.

Pour conclure, je rappellerai que le groupe Nouvelle Gauche salue la volonté affichée d'atteindre les 2 % du PIB consacré à la défense en 2025 et les ambitions du rapport annexé. Nous reconnaissons l'effort budgétaire qui devrait se déployer sur les cinq ans à venir. Cependant, plusieurs points nous inquiètent, car ils pourraient remettre en cause ces annonces positives. Nous aborderons cette discussion de façon constructive.

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