Merci de vos mots Monsieur le président. En préambule, je souhaite citer les noms des deux soldats qui sont morts aujourd'hui : brigadier-chef de première classe Timothé Dernoncourt, qui était célibataire, et le maréchal des logis-chef Émilien Mougin, qui était pacsé et avait deux enfants. Je pense à leurs familles, à leurs frères d'armes. Dans notre institution, la notion de fraternité revêt tout son sens. Cette nouvelle nous amène aussi à mesurer que toutes nos décisions, et tous les débats qui nous animent et vous animeront au cours de l'examen de ce projet de loi de programmation militaire (LPM) sont empreints d'une gravité particulière car derrière ces décisions, derrière ces débats, derrière les engagements budgétaires, il y a toujours l'engagement de nos soldats qui peut aller jusqu'au sacrifice suprême.
Mesdames et Messieurs les députés, merci de m'accueillir à nouveau au sein de votre commission. La dernière fois que je me suis présenté devant vous, c'était dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances.
Si on jette un rapide regard vers l'arrière, la dernière audition d'un chef d'état-major des armées relative à un projet de loi de programmation militaire remonte au 3 octobre 2013, lorsque votre commission avait reçu mon ante prédécesseur, l'amiral Guillaud. Je mesure l'importance de ce rendez-vous, qui va nous engager pour de nombreuses années.
Bien sûr, en 2013, la perception du contexte sécuritaire était alors tout autre et l'ambition de la LPM très fortement contrainte. Les contrats opérationnels – et par conséquent les formats – avaient été revus à la baisse. Depuis, l'irruption du terrorisme sur le territoire national a conduit à la fin de cet irénisme qui était, de manière objective, inconséquent. Du moins était-il ainsi jugé par tous ceux qui, soldats ayant choisi ce métier, étaient confrontés jour après jour à la violence du monde. Il a malheureusement fallu que ces terribles événements surviennent pour que soit engagée l'actualisation de la loi de programmation militaire de 2015 et soient prises les décisions du conseil de défense du 6 avril 2016. Cette prise de conscience nécessaire a permis d'amorcer le redressement de cet outil. Grâce à l'ensemble des parlementaires et à l'acuité de leur jugement, elle s'est accompagnée de la prise de conscience de l'usure du modèle d'armée dont nous avions hérité, construit durant la Guerre froide, adapté lors de la professionnalisation des armées, éreinté dans cette période de dividendes de la paix dont je viens de dire à quel point elle était, selon moi, inconséquente.
Vous le savez, depuis l'été dernier, nous avons rapidement théorisé cette prise de conscience quant à la dangerosité du monde et à l'usure de notre outil militaire dans la revue stratégique, conduite sous la responsabilité de la ministre des Armées qui en a soumis les conclusions au président de la République au mois d'octobre dernier.
Il en a approuvé les conclusions et a souhaité qu'elle ouvre la voie à la définition d'une ambition opérationnelle nouvelle à l'horizon 2030, traduite dans le projet de loi de programmation militaire.
Les travaux de préparation de cette loi ont donc été conduits dans des délais extrêmement brefs, et je tiens à féliciter l'ensemble des acteurs qui y ont pris part, notamment ceux qui m'entourent aujourd'hui, les équipes de l'état-major des armées, leurs correspondants au sein des états-majors d'armée, et l'ensemble des membres des services du ministère. Nous avons conduit ce travail avec plus de six mois d'avance par rapport à ce qui avait été fait pour l'exercice précédent, afin de soumettre aujourd'hui à votre étude ce projet de loi.
Je vous remercie, Monsieur le président, ainsi que tous les membres de la commission, pour avoir su convaincre les acteurs politiques et institutionnels de la nécessité d'aller vite, car nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps pour définir ce chemin vers l'ambition opérationnelle pour 2030.
Le projet de loi porte une double ambition : premièrement, redonner aux armées les moyens de remplir durablement leurs missions ; deuxièmement, les préparer aux défis de demain et initier une véritable modernisation de l'outil militaire.
La LPM 2019-2025 constitue ainsi une première étape décisive pour l'atteinte de l'ambition 2030. Je le disais en introduction : la revue stratégique pose un regard lucide sur le rapport à la violence dans notre environnement stratégique. Elle fait le constat du retour de la guerre comme horizon possible des confrontations géopolitiques.
Celle-ci s'est imposée de façon spectaculaire sur le territoire national par les actes terroristes, même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'une guerre, et s'impose de plus en plus aujourd'hui : avec le désordre ordinaire du monde dont nous constatons tous les jours les effets - évidemment là où nous sommes engagés, au Levant et au Sahel, ou bien encore en Afghanistan ; avec la montée en puissance de la Chine et de la Russie ; avec les provocations de la Corée du Nord ; avec la volonté d'un certain nombre d'acteurs de s'affranchir de l'ordre multilatéral international.
Parallèlement, nous observons une forme de diversification des modes d'expression de la violence mis au service de stratégies totales. Ces phénomènes sont facilités par l'accessibilité des technologies modernes à fort pouvoir nivelant qui profitent à de très nombreux acteurs, étatiques ou non.
Tirant les enseignements de cette inflexion, la revue stratégique a conclu à la nécessité de préserver et de consolider un modèle d'armée complet et équilibré. Ces termes méritent peut-être d'être explicités pour ceux qui ne s'intéressent pas à notre défense et à ce qu'est notre modèle d'armée mais vous qui êtes souvent amenés à comparer l'armée française à celles d'autres pays, vous mesurez bien ce que cela signifie : l'armée française est probablement la dernière d'Europe à présenter ces deux caractéristiques.
Cette complétude et cet équilibre se retrouvent dans les cinq fonctions stratégiques, sur lesquelles je reviendrai en détail dans un instant, la LPM conduisant avec un rééquilibrage logique au profit des deux fonctions stratégiques « prévention » et « connaissance et anticipation », quelque peu négligées par le précédent Livre blanc qui faisait porter l'effort sur le triptyque dissuasion – protection – intervention.
C'est sur ce modèle d'armée complet et équilibré que repose notre autonomie stratégique, à laquelle le président de la République a confirmé son attachement. Bien sûr, la préservation de notre autonomie stratégique n'exclut pas la possibilité de nouer des coopérations et de participer à la mise en place d'une autonomie stratégique européenne, qui constituerait une nouveauté. Nous savons en effet que c'est en étant attractifs et en confortant notre autonomie stratégique que nous parviendrons à agir efficacement dans le cadre de coopérations par une capacité renouvelée à entraîner et à fédérer en vue de l'émergence d'une autonomie stratégique européenne.
Cette ambition pour la France, à l'horizon 2030, trouve avec la LPM une traduction budgétaire claire. Le président de République a décidé un effort inédit de 198 milliards d'euros courants au profit des armées sur les cinq premières années de la LPM, c'est-à-dire jusqu'en 2023. Il s'agit là d'un effort inédit.
Jusqu'en 2022, le budget augmentera de 1,7 milliard d'euros par an, puis de trois milliards d'euros en 2023, portant le budget des armées à 39,6 milliards d'euros par an en moyenne, hors pensions, entre 2019 et 2023. Sur cette période, c'est un effort représentant 7,4 milliards de plus par an en moyenne que sur la période 2014-2018.
Cet apport financier exceptionnel en faveur des armées s'inscrit dans le cadre de l'engagement du président de la République de porter l'effort de défense à 2 % de la richesse nationale à l'horizon 2025, ce qui devrait représenter un montant de l'ordre de 50 milliards d'euros.
L'ambition 2030 se structure autour des impératifs de modernisation et de coopération que je viens d'évoquer et se décline donc dans chacune des fonctions stratégiques, que je me propose de présenter.
Première fonction stratégique : la dissuasion.
Comme vous le savez, le président de la République a décidé de procéder au renouvellement et à la modernisation des moyens des deux composantes, océanique et aéroportée. L'accélération du processus de modernisation représente un flux annuel moyen de cinq milliards d'euros courants entre 2019 et 2023, contre 3,7 milliards annuels dans le cadre de l'actuelle LPM.
Concrètement, cela se traduit, pour la composante océanique, par l'achèvement du processus de modernisation des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), la mise en service du missile M51.3, le lancement de la réalisation du SNLE de troisième génération et le développement de la future version du missile M51. Pour la composante aéroportée, il s'agit de la rénovation à mi-vie de l'ASMPA et du lancement des études de conception de son successeur.
Sans entrer dans les détails, une grande partie de l'environnement des deux composantes fera également l'objet d'investissements substantiels. Je pense notamment au remplacement des avions ravitailleurs C-135 par la mise en service des MRTT et au renouvellement des moyens de lutte anti-sous-marine.
Deuxième fonction stratégique : la protection.
La protection du territoire et de ses approches, de nos concitoyens comme de nos intérêts, va également bénéficier d'un effort qui sera appliqué à la posture permanente de sûreté aérienne - par la mise en oeuvre du système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) et du nouveau missile d'interception, de combat et d'autodéfense (MICA-NG) -, comme à la posture permanente de sauvegarde maritime en métropole et outre-mer, avec le comblement d'une réduction temporaire de capacités qui aura duré une décennie, et ce, grâce à l'augmentation de la cible de patrouilleurs de 17 à 19.
En parallèle, pour répondre à l'augmentation de la menace, une posture permanente de cyberdéfense va être créée. À l'horizon 2025, nos armées compteront 4 000 combattants numériques, soit un effort de plus de 1 000 postes dévolus au cyber sur la durée de la LPM. La majorité de ces combattants du numérique seront regroupés sur deux pôles, à Paris et Rennes, et la coopération avec les services interministériels sera encouragée, notamment avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).
Enfin, la posture de protection terrestre, qui s'appuie entre autres sur le dispositif « Sentinelle » rénové, sera confortée par la livraison de véhicules légers tactiques terrestres polyvalents (VLTP).
Troisième fonction stratégique : l'intervention.
Cette fonction stratégique est l'instrument-clé de la défense immédiate de la France dans un contexte de rapprochement de la menace.
À l'horizon 2030, les armées devront être en mesure de mener, sous préavis suffisant et en coalition, une opération de coercition majeure, avec une capacité à combattre dans le haut du spectre. Elles devront également pouvoir être engagées, dans la durée et sans délai, sur trois théâtres distincts, soit un théâtre de plus que ce qui était prévu par le précédent Livre blanc. Cet engagement devra être compatible avec le maintien d'un échelon national d'urgence de 5 000 hommes en alerte.
Le choix a été fait de ne pas s'aligner sur la réalité de nos engagements telle qu'observée ces cinq dernières années. Si nous l'avions fait, nous aurions dû augmenter d'ici 2030 le format de nos armées à un niveau que je n'estime pas soutenable. Aussi, si nous avons décidé d'augmenter les cibles des contrats opérationnels par rapport à la période précédente, nous nous situons toutefois en deçà des niveaux d'engagement actuels. J'ai la conviction que l'option retenue est la plus équilibrée et permet de concilier la nécessité d'un effort substantiel de modernisation avec la soutenabilité de nos forces dans la durée. Nous pourrons bien entendu revenir sur cette question tout à l'heure si vous le souhaitez. Le choix que nous avons fait nous impose d'être extrêmement rigoureux à l'avenir quant à la modulation de nos engagements et dans l'adaptation permanente des moyens engagés aux effets militaires que nous souhaitons produire.
J'en arrive maintenant aux deux fonctions stratégiques qui font l'objet d'un rééquilibrage particulier.
Quatrième fonction stratégique : la connaissance et l'anticipation.
Celle-ci se traduit d'abord par la mise en place d'une posture permanente de renseignement stratégique. Sur la période 2019-2023, la ressource annuelle moyenne consacrée à l'agrégat renseignement-cyberdéfense augmente de 53 % par rapport à la précédente LPM.
Sur le plan des effectifs, le domaine du renseignement va bénéficier d'une augmentation de 1 500 postes sur la période 2019-2025 pour répondre aux besoins de défense de notre pays et aux nouveaux défis liés à la mutualisation des capacités et à l'arrivée de nouveaux matériels. Ceux-ci seront répartis entre les besoins propres des armées et ceux de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avec laquelle une coordination importante est consolidée.
Sur le plan des équipements, trois systèmes supplémentaires de drones de moyenne altitude longue endurance (MALE) seront livrés d'ici 2025, avec une cible 2030 à huit systèmes. Huit, c'est également la cible 2030 en termes d'avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR).
Cinquième fonction stratégique : la prévention.
L'effort de rééquilibrage se traduit par la correction de fragilités affectant les forces de présence et de souveraineté dans tous les champs. « Dimensionnées au plus juste », ainsi que le souligne la revue stratégique, voire en dessous du plus juste, ces dernières années, elles doivent retrouver un minimum d'épaisseur.
Ainsi, sur les 1 850 postes supplémentaires dédiés aux unités opérationnelles et à leur environnement sur la période 2019-2025, environ 300 postes bénéficieront directement aux forces de présence et de souveraineté. La rénovation d'infrastructures vieillissantes a également été prise en compte de même que certaines lacunes capacitaires, comme en témoignent l'accélération de l'arrivée des patrouilleurs outre-mer et l'augmentation de leur nombre pour combler les trous et permettre un renouvellement complet à l'horizon 2025 afin de garantir la sécurité de nos zones économiques exclusives.
Ces quelques exemples, pris dans chacune des cinq fonctions stratégiques, répondent à l'ambition du président de la République de disposer, je le cite : « d'une armée forte et crédible, capable d'agir face à toutes les menaces et dans tous les espaces » au service d'une France « maîtresse de son destin ».
Il convient enfin d'ajouter, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, que l'ambition 2030 passe par le renforcement de nos partenariats stratégiques et le développement d'une plus grande autonomie stratégique européenne.
Sur ce plan, il me paraît important d'illustrer les coopérations susceptibles d'être mises en oeuvre par des exemples concrets. Ainsi, au Sahel, l'armée française bénéficie d'ores et déjà de l'appui américain mais également du soutien de nos alliés espagnol et allemand, qui fournissent notamment des capacités de transport tactique. Des perspectives d'élargissement se font jour avec le déploiement probable d'un contingent estonien, à compter du mois de mai, pour la sécurisation de l'emprise de Gao, l'insertion d'un détachement britannique d'hélicoptères de transport lourds prévue en juin. Nous avons également des échanges avec d'autres armées européennes qui pourraient choisir de nous rejoindre dans les prochains mois.
Je remarque à travers cet exemple sahélien que le choix de capitaliser sur des capacités discriminantes à forte valeur ajoutée assoit la crédibilité de la France et sa capacité à fédérer. Je pense notamment aux capacités de renseignement, à la capacité à entrer en premier et aux points d'appui que nous possédons partout.
En outre, un certain nombre des créations de postes est motivé par la volonté de renforcer la contribution de la France au développement des coopérations européennes et internationales, notamment à l'OTAN dont nous adaptons actuellement les structures de commandement.
Enfin, pour terminer sur le sujet de l'ambition 2030, quelques considérations sur un des axes prioritaires du projet de loi : les études amont et l'innovation. Dans la précédente loi de programmation militaire certaines impasses dans le domaine des études technologiques et de l'innovation de rupture ont été consenties. Le projet de loi revient sur cette logique en couvrant l'ensemble des domaines industriels et techniques sans renoncer au principe d'une différenciation de l'effort suivant les secteurs. Le montant à consacrer aux études amont sera augmenté de 35 % sur la période 2019-2023 par rapport à la précédente loi de programmation pour atteindre un milliard d'euros par an en 2022.
L'effort exploratoire en matière de robotique, d'hyper-vélocité ou de furtivité, indispensable à la conservation de la supériorité opérationnelle, sera nettement accru.
De même, la captation en cycle court de certaines innovations issues du marché civil liées au numérique, à l'intelligence artificielle, au traitement et au stockage des données est une condition de l'évolution et de l'optimisation de nos organisations. Elle est prise en compte.
Parallèlement, la loi de programmation militaire engage les phases préparatoires des grands programmes d'armement structurants pour l'avenir. Je pense notamment aux études de conception du futur char de combat, du prochain porte-avions et du système de combat aérien futur (SCAF), qui entreront en service après 2030 ou 2040.
La LPM permet de faire de nos armées des « armées augmentées » à l'horizon 2030, et il s'agit là d'une ambition nécessaire. Il s'agit moins d'une question de format que de la volonté de dépasser certaines limites de notre modèle et de nos capacités actuelles.
Pour autant, avant de prétendre moderniser nos armées, il est important au préalable, je l'ai évoqué, de corriger certaines fragilités consécutives aux différents renoncements des exercices antérieurs ou à l'usure de nos capacités du fait d'un niveau d'engagement supérieur à celui qui nous avait été fixé. La loi de programmation militaire intègre cette dimension sur laquelle je souhaite m'attarder un instant.
D'abord, il s'agit de renforcer la préparation opérationnelle et l'activité des forces.
Dans ce domaine, les armées de même rang disposent d'un référentiel commun en termes de préparation et d'entraînement : les normes OTAN.
Le surengagement de nos armées ces dernières années, de 30 % au-delà des contrats, n'a pas permis de satisfaire à toutes les exigences en termes d'entretien des savoir-faire sur toute la largeur du spectre, alors même que l'accroissement de la technicité des matériels et la complexité des conditions d'engagement de nos troupes requéraient une préparation de plus en plus pointue. Ce grand écart n'est pas soutenable dans la durée et a fait naître des fragilités qu'il convient de réparer. Le projet de LPM consacre un effort important, à hauteur de 17 % au soutien de la préparation et de l'activité opérationnelle entre 2019 et 2023. L'objectif déclaré est d'atteindre 100 % des normes OTAN, progressivement d'ici 2025, en quantité comme en qualité.
La réparation des fragilités concerne aussi l'entretien programmé des matériels (EPM). Comme vous le savez, la remontée du taux d'activité des forces est directement liée au redressement de la disponibilité des matériels. L'objectif est double : d'un côté, soutenir les engagements et de l'autre, préserver la préparation opérationnelle.
Sur la période de la LPM, l'entretien programmé des matériels représentera 12 % de la ressource de la mission « Défense », soit 34,6 milliards d'euros sur la période 2019-2025, soit un milliard d'euros de plus en moyenne par rapport aux budgets 2014-2018. Tous les milieux d'engagement sont concernés.
L'amélioration de l'EPM repose notamment sur un recours accru à l'industrie privée, conjuguée au renouveau capacitaire du programme Scorpion pour l'armée de terre, qui doit permettre de mettre un terme au cercle vicieux de la diminution des parcs.
La marine nationale doit faire face à une forte hétérogénéité de l'âge de ses bâtiments ; l'entretien des plus anciens d'entre eux nécessitant des investissements croissants. Cela a été intégré dans la LPM.
L'armée de l'air, enfin, va bénéficier de la montée en puissance des parcs de nouvelle génération offrant de nouvelles capacités. Ce nouvel équilibre repose sur une exigence de disponibilité plus forte qui passe par une stratégie de soutien rénovée et une responsabilisation accrue des industriels. J'y reviendrai en évoquant les réformes lancées parallèlement à la LPM.
Troisième illustration de la consolidation de notre modèle d'armée et du comblement de ses fragilités : les programmes à effet majeur. La loi de programmation met l'accent sur l'accélération de livraison des matériels et la modernisation des équipements.
Sur la période 2019-2025, l'effort financier pour ce type de programmes s'élève à 58,6 milliards d'euros, soit une augmentation de 50 % par rapport à la LPM précédente. Il va donc s'agir d'une « loi de livraisons ». À titre d'exemples, seront livrés sur la période 2019-2025 : 50 % de la cible augmentée de Griffon et Jaguar, c'est-à-dire la composante blindée médiane de l'armée de terre la plus engagée en opérations extérieures ; pour la marine trois frégates multimissions (FREMM) et deux frégates de taille intermédiaire (FTI) ainsi que la rénovation de trois frégates La Fayette ; pour l'armée de l'air, vingt-huit Rafale, onze avions ravitailleurs MRTT d'ici 2023, avec une augmentation de cible à quinze appareils à horizon 2030. Mentionnons également les livraisons de onze A400M et de trente-neuf hélicoptères NH90 d'ici 2025.
Quatrième illustration de cette consolidation, l'effort sur les infrastructures, qui souffrent de plusieurs années de sous-investissement. Les bâtiments de vie courante, d'administration et d'hébergement auront la priorité du plan de rénovation, dès le début de la LPM. L'impact des hommes étant directement lié à leurs conditions de vie et de travail, il s'agit là d'un enjeu d'autant plus essentiel. L'augmentation des ressources, à hauteur de 48 % sur la période 2019-2023, permettra une stabilisation de l'état général des infrastructures. Mais la remise à niveau progressive du parc immobilier des armées courra au-delà de la LPM. Elle repose sur la nécessaire constance des engagements financiers souvent remis en cause, dans un passé récent, par un enchaînement de réformes importantes.
L'équilibre qui a été trouvé entre la régénération et la modernisation contribue directement au maintien de la supériorité opérationnelle de nos armées tout en préservant l'avenir et la tenue de l'ambition 2030. Il est accompagné par un effort en termes d'effectifs : 6 000 postes supplémentaires entre 2019 et 2025, dont 3 000 avant 2023.
Il est également soutenu par un effort en matière de condition du personnel dont la mesure la plus emblématique est le plan « Famille » voulu par la ministre et doté de 302 millions d'euros sur la période 2018-2022. Il a été détaillé devant vous par la ministre des Armées, lors de son audition. Je n'y reviens donc pas.
Sur le sujet, plus large, des ressources humaines, il faudra veiller à ce que les mesures d'accompagnement pour garantir la fidélisation des compétences et la gestion des flux soient suffisantes et adaptées. La revue d'effectif qui a été lancée doit y contribuer. Disposer d'une jeunesse disponible, compétente et volontaire pour être formée, en vue de servir son pays, est un impératif incontournable pour nos armées.
Sur la période de la LPM, la « manoeuvre RH » pourrait être perturbée par les effets de la réforme des retraites. Ce sujet devra faire l'objet de toute notre attention, et de toute votre attention, pour préserver les caractéristiques propres d'une armée, qui doit, je le répète, rester jeune. Elle pourra également être appuyée par les travaux liés à la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), dont le financement intervient à compter de 2021.
Sur ce chapitre, permettez-moi de rappeler que les projets de « refondation du système indemnitaire des militaires » (RSIM) et de « simplification du système indemnitaire des militaires » (SDIM) ont été successivement abandonnés lors des deux précédentes LPM. Ces abandons et la permanence de la complexité de notre régime indemnitaire expliquent probablement en partie nos difficultés à mettre en place un nouveau logiciel de gestion de la solde. Nous devons être collectivement attentifs à ce que la NPRM ne se résume pas à une simple manoeuvre de simplification indemnitaire, par ailleurs nécessaire, mais qu'elle garantisse effectivement l'attractivité des emplois et l'intérêt d'une vie de soldat.
Dans ce domaine, la particularité du statut militaire m'oblige à rappeler mon rôle de défense des besoins et des aspirations légitimes des subordonnés qui me sont confiés.
Au terme de ce tour d'horizon, il apparaît que le projet de loi est équilibré. S'appuyant sur les conclusions de la revue stratégique, il marque un effort de modernisation tout en s'appliquant à corriger, au plus vite, les fragilités consécutives à plusieurs années de surengagement et de sous-dotation.
Cette LPM est donc bien née et dans quelques mois la phase d'exécution va s'ouvrir.
Un regard rétrospectif permet de réaliser que la maxime militaire qui veut qu'« au combat, le premier mort c'est le plan », peut parfois s'appliquer en dehors des limites strictes du champ de bataille et que le plan que constitue la LPM pourrait effectivement pâtir d'un certain nombre d'aléas.
En l'espèce, je ne doute aucunement du respect par le gouvernement du cadre qui aura été défini par le vote du Parlement. Je note d'ailleurs que le projet de loi de finances 2018, adopté il y a quelques mois, constitue un bon marchepied pour une entrée en LPM réussie. En théorie, les planètes sont alignées. Par ailleurs, au-delà de la loi de finances initiale pour 2018, la fin d'exécution budgétaire 2017 confirme ce bon alignement.
Reste que des facteurs exogènes, liés à l'instabilité du contexte géopolitique et aux retournements toujours possibles de la situation macroéconomique font peser une incertitude avec laquelle il faudra composer, si nécessaire.
La clause de revoyure prévue en 2021 permettra de traiter, notamment, les besoins programmés en 2024-25, à hauteur de 97 milliards d'euros, et d'ajuster si besoin les équilibres en conduite. De la même façon, la LPM prévoit l'ajustement de la provision OPEX annuelle pour la porter à 850 millions d'euros en 2019 et 1,1 milliard d'euros à compter de 2020. À mes yeux, c'est une bonne chose.
Surtout, la LPM ne saurait donner son plein effet que si elle est accompagnée par un certain nombre de réformes, je l'ai évoqué tout à l'heure. Je pense, par exemple, à la modernisation du maintien en condition opérationnelle (MCO).
L'objectif est, qu'à isopérimètre de ressources, nous puissions augmenter le taux de disponibilité des matériels et élever le niveau d'activité de nos forces.
J'en profite pour saluer le travail de ceux qui se battent au quotidien dans les ateliers, pour le maintien de la condition opérationnelle et qui ont permis de faire remonter le taux de disponibilité de nos équipements avec des moyens comptés – je pense notamment au MCO aéronautique.
Comme je l'ai évoqué, différents plans ont été lancés il y a plusieurs mois : le plan de transformation du MCO-terrestre, le plan relatif à la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD), l'optimisation de la supply chain. Une nouvelle étape a été franchie, le mois dernier, dans le domaine de la gouvernance, avec la désignation par la ministre de la future directrice de la nouvelle direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Des perspectives de progrès importantes se sont ouvertes avec les nouvelles technologies – je pense notamment à la numérisation, la robotisation, l'impression 3D ou la maintenance prédictive – ou les contrats avec objectifs de performance pour les industriels.
Dans l'intérêt des armées et de notre pays, les maîtrises d'oeuvre industrielles étatiques qui garantissent l'autonomie opérationnelle et une résilience minimale devront être conservées.
L'externalisation des soutiens constitue une autre piste d'évolution. Celle-ci est motivée par la volonté de générer des économies ou une amélioration du service rendu. Il s'agira d'examiner, fonction par fonction, et au cas par cas les différentes pistes, sans dogmatisme, pour vérifier la pertinence réelle de telle ou telle décision et leurs effets potentiels sur la capacité des armées à remplir leur mission et à fonctionner quelle que soit la situation à laquelle elles doivent faire face.
Je pense, enfin, à la réforme du soutien aux exportations (SOUTEX), absolument nécessaire à la soutenabilité de notre politique de défense. Au-delà du renforcement des effectifs – 400 postes supplémentaires sur la période 2019-2025 – il est nécessaire que le ministère adapte ses structures et ses processus en cherchant notamment à inclure davantage les fournisseurs industriels et les opérateurs extérieurs.
Sur ce sujet et d'autres, nous serons attentifs aux recommandations du comité « action publique 2022 » pour identifier des pistes de transformation de long terme, notamment sur le sujet du soutien.
De manière générale, les armées ont prouvé, au cours des deux dernières décennies, qu'elles étaient pleinement engagées dans la réponse à l'impératif de transformation.
Cette aptitude à se transformer, et à se réinventer est directement liée à la finalité opérationnelle des armées qui doivent s'adapter, en permanence et sous contrainte, à un environnement instable et à un adversaire en constante évolution.
Cette loi de programmation est néanmoins particulière puisqu'il ne s'agit pas simplement d'identifier des pistes d'économie mais bien de créer des marges de manoeuvre supplémentaires pour nos armées. Il s'agit là d'un point fondamental, d'une forte importance pour le moral de nos armées.
Pour conclure, je souhaite évoquer la nécessaire préservation de la spécificité militaire, qui n'est pas directement liée bien sûr au projet de loi de programmation militaire soumis à votre examen, mais peut être atteinte par certains projets de transformation. Elle fait donc l'objet de toute mon attention.