La spécificité militaire est très directement liée à l'usage de la force, c'est-à-dire à l'obligation faite aux armées de mettre en oeuvre la force de manière délibérée. Ce n'est pas du tout la même chose que de mettre en oeuvre la force en situation de légitime défense. Cette spécificité repose sur quelques principes que vous connaissez : la subordination stricte au pouvoir politique ; la discipline et l'éthique, qui découlent de cette subordination ; l'autonomie qui permet aux armées de continuer à fonctionner lorsque tout est désorganisé – ce qui fait d'ailleurs des armées un outil majeur de la résilience de la Nation ; l'extrême disponibilité, contenue dans le statut militaire, qui permet aux armées de réagir sans délai lorsque la situation se dégrade.
Ces principes fondent l'efficacité militaire. Ils ont prévalu jusqu'à la fin de la guerre froide ; une époque où le type d'engagement brutal et sans préavis s'imposait à nous.
Avec l'effondrement du bloc soviétique, on a progressivement considéré que cette armée ne répondait plus au même besoin vital. On a donc construit, en lieu et place d'une armée, un outil militaire qui, selon moi, a perdu en cohérence et en autonomie.
Le principe de modularité, qui permettait, et permet toujours, la constitution « sur mesure » d'une force pour un engagement donné, et l'introduction de principes – jusque-là appréciés différemment par les armées – de rentabilité et d'efficience, souvent envisagés sous le seul angle économique et financier ont conduit à un affaiblissement de l'efficacité opérationnelle de nos armées.
Les échelons de synthèses, qui permettaient de concilier autonomie et discipline, ont disparu. Ce mouvement s'est amplifié avec la loi organique relative aux lois de finances qui, par la lecture qui en a été faite, a privé les chefs d'état-major d'armée des responsabilités de responsable de programme. Ce mouvement a encore été amplifié par la réforme de l'embasement qui a retiré au chef de corps certaines des prérogatives qui faisaient de lui le dernier échelon de synthèse, c'est-à-dire l'échelon de base d'une action autonome et agile.
Aujourd'hui, avec le durcissement du contexte sécuritaire et le retour de la guerre comme horizon possible, nous ne pouvons plus faire l'économie d'un questionnement pragmatique et dépassionné des choix qui ont été faits ces dernières années.
Dans un contexte de sécurité absolue, beaucoup des transformations et des réorganisations qui ont accompagné ce mouvement de fond ont certes permis une amélioration très nette du fonctionnement et du soutien, mais il nous faut aussi reconnaître, avec lucidité et humilité, que certaines évolutions ont d'abord été motivées par la nécessité de s'adapter, sous la contrainte, à une baisse continue des ressources allouées à la défense depuis la fin de la Guerre froide.
L'idée répandue de l'avènement d'une paix perpétuelle n'a pas permis de contenir à un juste niveau le phénomène de « banalisation » des armées à qui on a imposé, sans réel discernement, des modes d'organisation et de fonctionnement qui me paraissent incompatibles avec les principes que je viens de rappeler.
J'ai la conviction que, par les ressources qu'elle sanctuarise dans la durée, la LPM nous offre l'opportunité d'évaluer, avec un oeil neuf, ce qui marche et ce qui marche moins bien. La démarche innovante et disruptive n'est en effet pas réservée à la seule technologie. Elle doit s'appliquer aussi à la science des organisations et ne peut se limiter au « faire mieux avec moins ».
Sans revenir aux solutions d'hier, je tâcherai d'en élaborer de nouvelles qui préserveront la spécificité militaire, garantie ultime de l'efficacité des armées, j'en suis persuadé.
Mesdames et Messieurs les députés, pour conclure, et avant de répondre à vos questions, je crois que nous pouvons nous réjouir collectivement de l'impulsion nouvelle qui a été donnée au sommet de l'État. Nous avons travaillé sous l'autorité de la ministre des Armées à l'élaboration d'une copie sincère et équilibrée dont les grandes lignes ont été retenues.
Ce projet de loi de régénération et de modernisation doit beaucoup à votre engagement de parlementaires. Je sais pouvoir compter sur votre soutien sans faille. Vous pouvez, quant à vous, compter sur ma totale loyauté, mon engagement personnel et ma forte détermination, comme ceux de nos armées pour mettre à profit cette loi de programmation militaire, pour assurer le plus grand succès des armes de la France, la protection de la France et de nos concitoyens.