Lorsque l'on dit qu'on cherche à atteindre l'autonomie stratégique européenne sans renoncer à la nôtre, il s'agit bien de commencer par dire que nous sommes capables de faire seuls un certain nombre de choses, que c'est pour cela que nous avons un modèle d'armée complet et équilibré, et que c'est parce que nous sommes capables d'assurer l'ensemble de ces fonctions que nous sommes en mesure d'être les leaders d'une coalition. Nous pourrons, notamment en ayant développé des compétences particulières dans des domaines à forte valeur ajoutée, agréger des coopérations et des coalitions autour de nous. C'est ce que nous essayons de faire au Sahel – j'y reviendrai. À mon sens, il n'y a donc pas de concurrence entre l'autonomie stratégique nationale et la participation à la construction et à l'élaboration d'une autonomie stratégique européenne.
Quant au rééquilibrage entre les fonctions stratégiques, c'est très clair : l'effort est très nettement marqué pour, d'une part, la connaissance et l'anticipation et, d'autre part, la prévention avec en particulier, pour cette dernière, la volonté de ne pas perdre ce qui constitue une plus-value considérable pour notre pays, à savoir sa présence à travers le monde via les forces souveraineté ou de présence. La France est aujourd'hui le seul acteur européen à être présent sur tous les océans et toutes les parties du monde, avec des bases qui nous permettent de garantir la souveraineté de notre pays sur l'ensemble de ses territoires et la protection de ses ressources, notamment dans ses zones économiques exclusives. Pour autant, nous continuerons à faire des efforts de coopération et à essayer d'entraîner nos partenaires dans nos engagements, car nous considérons que cela est nécessaire pour garantir une plus grande efficacité et une plus grande capacité d'action. J'ai évoqué l'initiative européenne d'intervention. Mon souhait, rappelé dans la revue stratégique, est clairement que la France soit à l'avant-garde des États membres de l'Union européenne dans l'engagement pour la stabilisation de l'Afrique. Nous avons un devoir de prise de conscience à cet égard ; c'est le sens de la tentative de définition d'une culture stratégique commune européenne. Mais il s'agit également d'une question éthique, morale et politique. Nous avons le devoir d'essayer d'entraîner nos partenaires dans le règlement de la question africaine. Le développement et la stabilisation de l'Afrique sont indispensables dans les 50 prochaines années, compte tenu des déséquilibres démographiques prévisibles et de la crise migratoire qui en découle très directement et à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui.
Sur l'OTAN et les évolutions la NATO Command Structure, nous avons validé les propositions des deux Supreme Allied Commanders, les généraux Curtis Scaparrotti et Denis Mercier. Elles correspondent aux orientations tendant au recentrage de l'OTAN sur la défense collective. Nous sommes en train de négocier sur quelques points qui, comme M. Folliot l'a souligné, portent sur des questions d'effectifs. Les négociations que nous conduisons depuis six mois ont permis de revoir à la baisse les exigences des structures de l'OTAN qui, comme toute structure, ont la volonté de persévérer dans l'être et ont donc une tendance naturelle à croître au-delà du raisonnable. L'OTAN demande d'augmenter ses effectifs de 1 280 personnels. Nous souhaitons diminuer ce nombre. La ministre des Armées a évoqué une augmentation à hauteur de 1 000 personnels. En tout état de cause, je pense que l'ensemble de nos partenaires de l'OTAN sont parfaitement conscients du fait que, au-delà de la quantité d'effectifs, c'est leur qualité qui importe. La France est reconnue comme étant un partenaire qui, au sein de ses états-majors, affecte des officiers parfaitement formés et compétents. Ce qui nous importe, c'est de continuer à détenir une place importante au sein des structures otaniennes et de ne pas voir remettre en question le « nombre d'étoiles » qui déterminent la place et le rang de la France au sein de ces structures.
J'en viens aux questions de M. Bazin sur le niveau d'engagement extérieur et la notion de modularité. En réalité, j'ai évoqué non pas une « modularité » mais une « modulation » des engagements. La modularité fait référence à un principe aujourd'hui mis en oeuvre au sein des armées par souci d'efficience et qui vise à bâtir un outil militaire adapté à chacune des interventions. Auparavant, à l'époque de la Guerre froide, une division qui aurait pu être engagée sur le front de l'Est était organisée exactement de la même façon en temps de paix comme en temps de guerre. Il n'y avait aucune différence : les régiments, les structures régimentaires, les équipements, les états-majors de niveau brigade et division étaient les mêmes quel que fût le temps considéré, paix comme guerre. L'évolution de nos engagements, le fait que nous n'ayons plus un seul et unique référentiel d'engagement opérationnel – « l'ennemi rouge » –, mais une multiplicité de crises dans lesquelles nous avons vocation à être engagés nous a conduits à introduire ce principe de modularité. En vertu de ce principe, nous définissons de manière extrêmement précise, pour chaque crise, un outil qui sera parfaitement adapté au type d'engagement que l'on doit conduire, au milieu dans lequel il sera conduit et à l'ennemi auquel nous serons confrontés. La modularité a conduit à une très grande efficience, et je dois dire que l'armée française est sans doute celle qui pratique la modularité au niveau le plus extrême en définissant, dans chacun de ses régiments, des niveaux minimums d'agrégation qui vont collectivement constituer la force qui sera précisément calibrée pour un engagement donné.