Non, nous sommes arrivés au maximum de ce que l'on peut faire aujourd'hui. Cela implique des efforts considérables de préparation opérationnelle et de cohésion de la troupe avant l'engagement. Il faut entraîner ensemble des soldats qui ne vivent pas ensemble au quotidien. Un bataillon engagé au Sahel est aujourd'hui composé de nombreux régiments différents. Cette modularité a été conçue pour s'adapter aux conditions des engagements et aux nécessités de la supériorité opérationnelle qui répond chaque fois à des exigences différentes. Mais elle a également été conçue pour produire des économies. À cet égard vous avez raison, nous devons être très attentifs pour continuer à être le plus efficients possibles dans nos engagements.
Cela signifie – et je parle donc de « modulation » de ces engagements – que nous devons continuer à calibrer au plus juste et au plus précis les forces que nous engageons. Nous devons savoir adapter leur format en fonction de l'évolution de la situation sur les théâtres d'opérations. Par conséquent et de façon récurrente, tous les trois ou six mois, nous réétudions notre niveau d'engagement en fonction de l'ennemi présent, et nous faisons varier les troupes et les capacités afin de nous adapter précisément au niveau d'intensité du théâtre en fonction de l'effet que nous voulons produire. Cela nous conduit à être économes et cela suppose une gymnastique constante. La France est très en avance dans ce domaine. Cela participe de cette culture stratégique propre à l'intervention qu'il faut que nous sachions partager avec nos partenaires européens.
Cette attention constante portée au niveau de nos engagements et à l'importance de la force engagée sur un théâtre nous conduit, dès que cela est possible, à désengager des moyens, parce que les OPEX coûtent cher, et parce que nos soldats ont besoin de se préparer opérationnellement – or plus ils sont engagés, moins ils se préparent. En outre, il faut pouvoir donner au président de la République une « réserve d'intervention » pour d'autres théâtres. Il ne faut surtout pas que les armées soient en permanence en train de réaliser l'intégralité de leurs contrats opérationnels. C'est le sens de ma déclaration à l'occasion de l'université d'été de la défense et qui a pu choquer certains : une armée n'est pas faite pour faire la guerre, elle est faite pour l'éviter. Dans un monde idéal, si on pouvait ne jamais avoir à livrer bataille et si, par simple effet dissuasif, on pouvait l'éviter, ce serait parfait. Je ne mesure pas l'efficacité d'une armée au nombre de soldats engagés en OPEX. De la même manière, je pense que c'est une folie de mesurer le format d'une armée au nombre de soldats qui sont engagés à l'extérieur. Je pense que nous sommes sortis de cette logique qui consistait à dire : « on va réduire vos contrats opérationnels, donc on va réduire vos formats ». Le format actuel reste justifié, même si le niveau d'engagements s'avère inférieur demain à ce qu'il est aujourd'hui. Quant à moi, je veillerai en permanence à ce que ces engagements soient très précisément calibrés aux besoins, aux effets militaires requis pour garantir notre supériorité opérationnelle sur l'ennemi, et ce, afin de permettre de dégager le maximum de ressources pour l'équipement des forces et leur préparation opérationnelle, tout en offrant au président de la République la liberté de décider de nouveaux engagements en fonction de l'évolution de la situation géopolitique.
Sur le report de charges, je pense que les propositions qui sont formulées afin de le réduire sont réalistes. Cette question a fait l'objet de débats importants avec Bercy. Nous avons notamment dû expliquer que la mécanique d'engagement et de dépense des crédits induisait un report de charges « structurel », incompressible, que nous évaluons entre 10 % et 12 %. En effet, aux mois de janvier et février, se réalise le paiement d'engagements qui ont été contractés à la fin de l'année précédente. Bercy a reconnu l'existence de ce caractère structurel et incompressible du report de charges. Nous avons alors défini une courbe d'atteinte de ce niveau minimum – entre 10 % et 12 % – qui me semble réaliste. Je tiens par ailleurs à dire que nous avons tout intérêt à réduire au maximum le report de charges, ne serait-ce que pour nous donner la possibilité de l'augmenter à nouveau si cela s'avérait nécessaire. C'est un peu comme la dette ! (Sourires)
S'agissant de la question de M. Becht sur le quantique, on peut toujours estimer qu'il faut investir davantage dans les études amont et en recherche et technologie. Je pense toutefois que les armées ont pris depuis très longtemps la mesure de la nécessité d'introduire le numérique dans leurs systèmes d'armes. L'exemple de Scorpion est particulièrement révélateur. La numérisation de l'espace de bataille est une réalité ancienne qui permet notamment d'avoir la vision la plus claire possible de la totalité du champ de bataille, des positions des alliés comme des ennemis, des niveaux de soutien logistique nécessaires à chacune des formations, et qui permet de détenir une supériorité opérationnelle au regard d'un aspect qui nous semble aujourd'hui majeur, à savoir l'accélération du tempo décisionnel. C'est cette accélération qui, dans un conflit de haute intensité, nous semble être de nature à assurer la supériorité opérationnelle. Nous y travaillons et nous continuerons d'y travailler. Vous pouvez faire confiance aux armées pour développer une vraie doctrine et une vraie réflexion sur le sujet. Je pense que les investissements prévus seront bien répartis et seront suffisants.
M. Aliot m'a posé une question sur un éventuel enlisement au Sahel. Observant mes filles et leurs enfants qui grandissent je me rends compte que je vieillis et deviens presque un vieux soldat, qui en tant que tel mesure le temps long des choses. Les militaires, attachés à l'histoire et au temps long, sont en quelque sorte des éléments de conservation dans une Nation qu'ils ont la charge de protéger. Je n'imagine donc pas que passer dix ans dans un pays dans le cadre d'un engagement opérationnel puisse être considéré comme un enlisement. Cette durée fut celle de notre engagement dans les Balkans, en Côte d'Ivoire ou en Afghanistan et je ne pense pas qu'il soit possible de régler le problème au Mali en moins de 10 à 15 ans, si tant est que nous le puissions. Grâce à une étude très fine et permanente de l'adaptation de nos dispositifs nous sommes en mesure de calibrer notre action en fonction de l'évolution de la situation. Néanmoins l'évolution de la situation au Mali n'est guère satisfaisante et nous n'en partirons pas demain, sans qu'il s'agisse pour autant d'un enlisement. Ma tâche consiste à expliquer au politique, qui demande un résultat rapide et facilement identifiable conforme au rythme de la vie démocratique, que seul le temps long produit des résultats durables en géopolitique et dans le domaine militaire.
Le budget consacré aux opérations extérieures est augmenté dans la LPM et je considère que c'est une très bonne chose. Selon une étude récente, le financement interministériel n'aurait représenté en réalité que 19 % de ce surcoût. Les armées ont donc dû assumer la plus grande part de ces surcoûts sur leur budget propre. La sincérisation du budget consacré à ce surcoût permettra de ne pas désorganiser les investissements prévus dans la LPM. Je le répète, c'est une bonne chose.