Merci Monsieur le président pour votre accueil. Je vous exposerai quels sont, vus de la direction du renseignement militaire (DRM), les enjeux de cette LPM.
Permettez-moi tout d'abord de me présenter. J'ai débuté ma carrière dans l'armée de l'air comme pilote de chasse, spécialisé dans un premier temps dans la défense aérienne, puis dans un second temps dans la reconnaissance aérienne tactique. Assez classiquement, ma carrière m'a mené du commandement d'un escadron de reconnaissance à celui de la base aérienne de Djibouti. Ces engagements ont été entrecoupés de passages en état-major dans le domaine des plans et des programmes d'armement liés à la fonction renseignement.
En deuxième partie de carrière, mes engagements ont été avant tout opérationnels : en 2014-2015, j'ai ainsi effectué une année dans le Sahel, en tant que général adjoint chargé des opérations de l'opération Serval, pour le premier mois, puis de l'opération Barkhane, pour les onze mois suivants. À l'issue, j'ai pris le commandement du centre de planification et de conduite des opérations, qui est l'outil de commandement stratégique de toutes les opérations militaires françaises, tant sur le territoire national qu'à l'étranger. Il est situé à Balard. Mon tropisme est donc plutôt opérationnel. Cela me permet de ne pas perdre de vue l'une des raisons d'être de la DRM.
Le projet de LPM fait clairement porter l'effort sur la fonction de connaissance et d'anticipation, qui comprend à la fois nos capacités dans le domaine du renseignement et celles du monde cyber. Il répond ainsi à de nombreuses attentes de la DRM, notamment en matière de ressources humaines, de finances, de grands programmes d'armement et de dispositions normatives.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je vous brosserai un rapide tableau de la DRM dans son environnement. Pour rester simple, la direction du renseignement militaire est le service de renseignement des armées. Je remplis ma mission sous une double tutelle, puisque je sers sous les ordres du chef d'état-major des armées, mais je suis également conseiller de la ministre des Armées en matière de renseignement d'intérêt militaire.
Au niveau interministériel, je fais partie des six directeurs des services de renseignement, dit du « premier cercle », regroupés autour du coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Au niveau international, j'entretiens d'importants échanges avec mes homologues étrangers des services de renseignement partenaires.
Ma mission se résume en trois volets. Le premier aspect a trait à l'appui direct en renseignement aux opérations. La DRM déploie des hommes et des capteurs sur les théâtres d'opérations et participe activement à l'analyse du renseignement collecté sur ces zones. Vient ensuite l'anticipation, conçue comme une aide à la prise de décision et à la réorientation des actions ; dans ce domaine, nous travaillons à un horizon de six mois à un an. Enfin, la veille stratégique est une mission permanente, que nous remplissons au quotidien en complément de ces deux premières missions.
La DRM est en interaction avec de nombreux acteurs ; elle appartient concurremment à trois ensembles.
Le premier constitue la famille interarmées du renseignement ; la DRM y travaille en étroite collaboration et concertation avec les armées. La DRM compte un peu moins de 2 000 personnes, tandis que la fonction interarmées du renseignement (FIR), c'est-à-dire les capacités de renseignement mises en oeuvre par les armées, représente environ 8 000 personnes supplémentaires, qui disposent de moyens dédiés, variant selon leur milieu d'exercice.
Au sein de cette FIR, j'occupe la fonction de « tête de chaîne ». Sur des sujets aussi divers que le domaine capacitaire, la formation, le recrutement, le pilotage des métiers du renseignement, la doctrine et la coordination des programmes majeurs, la DRM joue un rôle de coordination. Je veille ainsi à ce que toutes les actions lancées dans le domaine du renseignement soient les plus cohérentes possible.
Le deuxième ensemble constitue la communauté nationale du renseignement. S'y trouvent les six services de renseignement du « premier cercle » : direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le service du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), regroupés avec la DRM autour de M. le préfet Pierre Bousquet de Florian, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNR-LT).
Nous nous réunissons au moins tous les quinze jours pour traiter des sujets qui intéressent l'ensemble de la communauté nationale du renseignement, comme la formation de nos agents par l'Académie du renseignement, la mutualisation des capacités techniques des services de renseignement ou la coordination de nos partenariats internationaux. Au travers d'une structure de coordination rassemblant l'ensemble des services, l'état-major des armées (EMA) et la direction générale de l'armement (DGA), nous suivons les programmes qui ont fait l'objet d'une mutualisation, non seulement pour des raisons d'économie et de coût, mais aussi pour des raisons d'efficacité, de convergence et d'interopérabilité. Le dialogue est donc très fluide entre nos services.
Nous sommes le service référent dans le domaine de l'image et la DGSE l'est dans le domaine du renseignement d'origine électromagnétique. Élaboré sous l'égide du CNR-LT, le plan national d'orientation du renseignement (PNOR) fixe nos orientations. Il détermine, pour chaque service, qui est « menant » et qui est « concourant » sur tel ou tel sujet.
Le troisième ensemble constitue la communauté des services de renseignement au niveau international. La DRM échange des informations avec un peu plus de 70 pays dans des conditions très cadrées et normées. Nous étendons d'ailleurs encore ce réseau.
Le partenariat avec nos homologues étrangers s'inscrit à différents niveaux. Au premier rang de nos partenaires se trouvent bien sûr les Américains. Nous avons énormément d'échanges avec eux, au niveau central, entre agences de renseignement, et sur le terrain, notamment au Sahel où le soutien américain en moyens aériens de surveillance et de reconnaissance est déterminant pour nos opérations.
Ces échanges de renseignements avec les Américains sont très importants. Ils se sont encore développés davantage depuis l'été dernier, sous l'impulsion du Secrétaire à la Défense, le général James Mattis. Il souhaite en effet que les services de renseignement américains travaillent beaucoup plus avec leurs partenaires étrangers, notamment la France qui est un acteur volontaire, crédible et particulièrement engagé dans la lutte contre le terrorisme. Mais sans aller jusqu'à une formule de Six Eyes, nous avons obtenu des accords bilatéraux de partage du renseignement.
Nous avons d'autres partenaires, à différents niveaux. Notre premier partenaire, au niveau européen, est l'Allemagne. Nos relations et nos échanges sont marqués par un haut niveau de confiance. Cela nous permet d'aller très loin dans les échanges de renseignement, notamment dans le domaine de l'imagerie spatiale. L'Allemagne est aussi notre principal partenaire capacitaire, comme en témoigne sa participation déterminante au programme d'observation CSO (composante spatiale optique).
N'oublions pas d'autres échanges internationaux, qui ont lieu sous l'égide de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ou de l'Europe de la défense. Dans le cadre de cette dernière, le président de la République a lancé en septembre dernier une nouvelle initiative, l'Initiative européenne d'Intervention (IEI), visant à développer une culture stratégique et opérationnelle commune entre pays désireux de mettre en place une capacité européenne d'intervention renforcée. Un de ses volets consistera à former un équivalent du groupe d'anticipation stratégique (GAS) français, permettant de partager une vision des grands enjeux à un horizon de deux ans – car il ne sert à rien de travailler au-delà de cet horizon dans ce cadre. Nous voulons également oeuvrer ensemble sur des sujets d'intérêt commun. Les États approchés pour participer à cette initiative devraient signer fin mai une lettre d'intention qui définira la manière dont nous allons travailler de concert.
En matière de renseignement, l'Europe de la défense existe déjà d'une certaine manière. Nous avons en effet établi des partenariats de partage capacitaire dans le domaine spatial, ayant signé des protocoles de coopération avec certains pays européens. Ces coopérations fonctionnent bien. La France est à la pointe du renseignement en imagerie spatiale optique, alors que l'Allemagne s'est spécialisée dans l'imagerie spatiale radar. Le radar a l'avantage de fonctionner par tous les temps. Il est d'une autre nature que l'imagerie optique et apporte des renseignements très complémentaires.
Au sein de la communauté Helios ainsi constituée, nous partageons avec nos partenaires des images de nos satellites contre des images des satellites radar allemands SAR-Lupe mais aussi des images des satellites radars italiens COSMO-SkyMed.
S'agissant de l'OTAN, les choses sont un peu différentes. Évidemment, lorsque nous participons à une opération de l'OTAN, nous partageons notre renseignement avec l'Alliance et les pays alliés engagés. Nous sommes ainsi engagés dans le dispositif de l'OTAN « Enhanced Forward Presence » (EFP) déployé dans les pays baltes et qui contribue au mécanisme de réassurance dans le cadre de la défense collective des pays de l'OTAN. Nous lui apportons un appui en matière de renseignement, en produisant quasiment quotidiennement des notes destinées aux pays de l'OTAN participant à ces opérations. Les productions de la DRM sont d'autant plus appréciées que rares sont les pays qui disposent, comme la France, d'une palette de capteurs large et complète, permettant de garantir une autonomie stratégique.
J'attire votre attention sur un point particulier. En matière de renseignement, la règle veut que les échanges reposent sur une logique de réciprocité. La seule exception à cette règle est notre soutien sans réserve et sans contrepartie à tous les pays européens qui s'engagent au Sahel, que ce soit dans le cadre de l'opération Barkhane, de l'EUTM ou de la MINUSMA, mission de l'ONU de maintien de la paix au Mali.
Je conclurai sur la coopération en abordant le soutien que nous apportons à l'initiative des pays du G5 Sahel. Ils viennent de mettre sur pied la « force conjointe Sahel » et ont besoin d'un soutien en renseignements pour pouvoir agir efficacement. La France leur fournit ce soutien et nous leur apportons également un appui dans le domaine de la formation, du conseil, du monitoring, de façon à leur permettre de monter en puissance sur le volet renseignement.
J'en termine ainsi sur les principales missions et sur l'environnement de la DRM. J'en viens aux principaux défis auxquels elle est confrontée aujourd'hui.
Le premier défi est opérationnel. Un fort tropisme oriente nos capteurs vers la lutte antiterroriste. Elle constitue en effet une menace immédiate. Mais nous sommes aussi en charge de l'anticipation et de la veille stratégique, de sorte que nous veillons à garder un juste équilibre entre nos différentes missions. Les États-puissances font leur retour et de nouveaux acteurs proliférants apparaissent : nous devons garder un oeil de ce côté, en continuant à suivre leur évolution, leur stratégie et leur montée en puissance. Nous nous devons en effet de nous prémunir contre toute surprise stratégique. Ce grand écart doit être tenu en permanence. La veille stratégique participe en effet de la crédibilité de notre dissuasion nucléaire.
Plus technique, le second défi est celui du big data et du traitement de masse des données. Nous devons faire porter notre effort sur ce domaine. Par le passé, nous nous sommes concentrés sur le renouvellement de nos capacités en matière de capteurs. Mais ce renouvellement des systèmes satellitaires est désormais acquis.
Le renseignement recueilli provient de quatre origines : les capteurs électromagnétiques, les images, le renseignement humain et le renseignement d'origine cyber, qui se développe très rapidement. Dans ce dernier cas, il s'agit de sources plus ou moins ouvertes.
Or, aujourd'hui, les capacités toujours plus grandes de ces capteurs, disposant d'un débit toujours plus élevé, nous placent en face d'un « tsunami des données ». Nous sommes submergés par des données dont la masse croît de manière exponentielle. Il ne saurait être question d'y faire face en se contentant seulement de demander des moyens supplémentaires en exploitants ou en analystes. Nous devons au contraire trouver des solutions plus innovantes, à base d'outils d'intelligence artificielle. Voilà où nous devons porter nos efforts dans les années qui viennent.
Il ne sert en effet à rien de collecter toujours plus de données et de renseignements si nous n'arrivons pas à les exploiter en tirant de nos bases des données les informations pertinentes au moment utile.
D'un point de vue technique, un deuxième défi se pose à nous. Chacun avait autrefois tendance à développer ses propres réseaux sécurisés, puisque nous traitons tous d'informations sensibles. Aujourd'hui, au contraire, le besoin accru d'échanger des renseignements, que ce soit d'un ministère à l'autre ou avec nos partenaires internationaux, nécessite des réseaux sécurisés et interconnectables. Cet impératif se révèle parfois difficile à concilier avec celui de la sécurité des opérations et de la protection de nos sources les plus sensibles. L'interconnexion et l'interopérabilité des réseaux constituent donc un autre défi.
Globalement, dans les domaines techniques, la technologie évolue très vite. Or ce n'est pas forcément la technologie militaire qui entraîne le mouvement. C'est pourquoi les programmes d'armement classiques, tels qu'ils sont menés sous l'égide de la DGA, ne sont pas forcément adaptés à l'évolution de ces nouveaux outils très évolutifs que sont les systèmes d'information. Puisque la technologie transforme rapidement les usages, nous constatons souvent qu'il existe des outils disponibles « sur étagère » déjà susceptibles, moyennant quelques adaptations, de répondre à nos besoins.
Sous l'égide de l'initiative « Innovation défense » portée par la DGA, avec l'appui attentif de la ministre des Armées et le soutien des armées, la DRM va développer l'intelligence campus. Il s'agit de regrouper autour de nos centres, pour l'essentiel basés à Creil, des capacités du monde académique, du monde de la recherche et du monde l'industrie. La mise en relation directe de ces différentes personnes et de ces compétences va nous permettre d'améliorer le cycle d'acquisition de ces nouveaux outils qui évoluent très vite dans le civil. Nous nous devons donc de nous adapter en permanence. L'initiative prochainement lancée s'appuiera ainsi sur le triptyque suivant : monde universitaire, recherche et acquisition.
Tous ces défis ne sauraient nous faire oublier les exigences fortes qui pèsent sur la DRM aujourd'hui.
Je commencerai par la conformité avec le cadre légal, qui est en évolution permanente. La loi du 24 juillet 2015 définit le renseignement comme une politique publique qui concourt à la stratégie de sécurité nationale et à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation. Cette politique relève de la compétence exclusive de l'État. Cette loi a été complétée par celle du 30 novembre 2015 relative à la surveillance des communications internationales et par celle du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui comporte des dispositions relatives aux interceptions empruntant la voie hertzienne.
L'ensemble de ces dispositions ne s'applique qu'aux mesures mises en oeuvre sur le territoire national ou à partir du territoire national. Compte tenu de ses missions en opérations en dehors des frontières, la DRM est donc moins « touchée » par la loi que les services qui agissent sur le territoire national. Néanmoins, la mise en oeuvre de ces techniques de renseignement a nécessité une adaptation de nos outils.
Traditionnellement, nos linguistes, intercepteurs et analystes travaillaient directement « au pied du capteur » dans nos centres d'écoute. Aujourd'hui, pour permettre à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) de contrôler effectivement nos activités, nous devons rapatrier les interceptions électromagnétiques dans des data center, que nous appelons des entrepôts, et en avoir une traçabilité complète.
Cela requiert une adaptation à ce cadre légal de nos outils, mais également de nos techniques de travail. L'exploitation en mode « centralisée » nécessite ainsi des supports particuliers. Certains outils développés dans le cadre de la mutualisation technique constituent la première brique d'un édifice d'exploitation des données qui sera fondé sur l'intelligence artificielle.
La seconde exigence qui pèse sur nous est de nous adapter en permanence à la menace, ou du moins à l'environnement et aux techniques utilisées par ceux qui nous intéressent. L'emploi des technologies numériques, typiquement les smartphones, se banalise, tout comme l'utilisation des réseaux sociaux. Certaines messageries très sécurisées, telles Whatsapp ou Telegram, nous posent de réelles difficultés.
Face à ce défi qui confère des capacités nivelantes à nos adversaires, l'enjeu est d'abord de réagir vite et moins de voir loin, même si ces deux enjeux ne sont pas nécessairement antagonistes.
Un premier frein existe dans ce domaine de l'innovation et du renseignement. Par exemple, il est difficile de donner à des acteurs privés l'accès à des bases de données contenant des informations sensibles. Jusqu'à présent, toutes les règles de sécurité ont été édictées dans une logique de recherche du risque zéro. Nous travaillons aujourd'hui pour évoluer vers une approche du risque maîtrisé.
Un autre frein culturel est la peur de l'échec. Quand le ministère lance un programme d'armement, beaucoup de précautions sont prises en amont, comme la conduite d'études de levée de risques. Ainsi, nous ne lançons un programme qu'en ayant minimisé le risque. Pourtant, les montants en jeu ne sont pas tous comparables à ceux des grands programmes d'armement. C'est un domaine où nous devrions accepter de prendre plus de risques, quitte à nous tromper parfois. Si nous faisons fausse route, nous devons pouvoir abandonner un outil et nous intéresser à un autre.
Aujourd'hui, notre « culture d'entreprise » est au contraire si prégnante que nous ne commençons un programme d'armement qu'en ayant la certitude de pouvoir le mener à terme. Compte tenu des coûts engagés, il serait cependant possible de prendre quelques risques dans le domaine de l'innovation, où des start-up offrent parfois des solutions méritant d'être explorées.
La troisième exigence qui pèse sur la DRM est l'amélioration permanente de la coopération et de la coordination entre les services, rappelée dans la Revue stratégique.
Nous sommes loin des clichés habituels de la « guerre des services ». Il existe une vraie collaboration entre les services, dont je peux témoigner. Au-delà des réunions destinées à traiter de sujets communs, qui se tiennent tous les quinze jours autour du CNR-LT, les services coopèrent entre eux au quotidien : au niveau central, en échangeant tous les documents qui pourraient intéresser les uns et les autres ; et à un niveau plus subsidiaire, lorsque nous avons des sujets d'intérêt commun, en créant des cellules ad hoc.
La plus importante est la cellule Allat, dédiée à la lutte antiterroriste et hébergée par la DGSI. Elle regroupe sur un même plateau des représentants de l'ensemble des services concernés, du premier ou du second cercle, qui sont connectés à leurs propres réseaux informatiques sécurisés, et permet de fusionner l'information qui intéresse la lutte antiterroriste sur le territoire national. Mais nous pourrions également citer la cellule Hermès, qui traite de sujets liés au renseignement et intéressant un ou plusieurs services.
Plus généralement, et c'est devenu la règle, lorsque plusieurs services ont un sujet commun d'intérêt, nous produisons des notes bi-timbres, tri-timbres ou multi-timbres, qui permettent d'avoir une approche plus globale et plus pertinente et de la partager. Nous sommes beaucoup plus efficaces à plusieurs que chacun isolément sur un même sujet. La démarche est particulièrement vertueuse.
Nous pouvons donc constater que les choses sont en train de changer, et que la culture interservices se met en place. Cette évolution est aussi portée par l'Académie du renseignement. Celle-ci permet non pas de former, au sens académique du terme, nos personnels puisque nous avons nos spécificités et nos propres centres de formation, mais de mettre en relation des représentants ou des stagiaires de chaque service, ce qui favorise une meilleure connaissance mutuelle et une meilleure interconnexion entre les services.
Ensuite, le fait de mutualiser nos capacités techniques, dont je vous ai parlé tout à l'heure, va renforcer la culture interservices. Quand on travaille sur les mêmes outils, il est beaucoup plus facile de communiquer et de se comprendre.
Ainsi, une vraie dynamique est en train de se développer, et cela va s'intensifier dans le futur. J'ajoute qu'au niveau tactique, des cellules un peu plus confidentielles ont été créées en interservices. Elles répondent à des problématiques très particulières sur lesquelles nous nous devons d'avoir une grande réactivité, ce que ne permet pas l'échange à un niveau supérieur.
La quatrième exigence est d'investir des champs nouveaux de confrontation que sont l'espace cyber et l'espace exo-atmosphérique.
Le fait d'une présence adaptée dans l'espace cyber constitue un vrai enjeu pour la DRM. Nous voyons tout le potentiel qu'il y a à exploiter le renseignement disponible sur le web, qu'on fusionnera ensuite avec des renseignements issus d'autres capteurs, images, électromagnétiques ou renseignements d'origine humaine.
Pour l'instant, l'approche est assez incrémentale. Nous avons créé en 2015, au sein de la DRM, le Centre de recherche et d'analyse cyber (CRAC) qui est dédié à la recherche dans le monde du web. Ce centre nécessite des compétences et des outils très particuliers. Nous considérons aujourd'hui que seulement 4 % des informations sur internet sont directement accessibles au travers des moteurs de recherche traditionnels comme Google. Mais nous nous intéressons à ce qui est beaucoup plus dissimulé – le deep web et le dark web, qui est encore plus caché. C'est une véritable mine de renseignements, à condition de savoir y accéder. Aujourd'hui, nous développons cette capacité, qui est très intéressante et prometteuse. Le CRAC emploie environ 90 personnes, et la future LPM devrait nous apporter quelques moyens supplémentaires.
Investir l'espace exo-atmosphérique constitue un autre enjeu.
De multiples acteurs sont impliqués : le Commandement interarmées de l'espace, dont vous avez auditionné le chef, et qui mène les opérations dans l'espace ; le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes de l'armée de l'air, qui est chargé d'établir la situation spatiale ; et la DRM qui est chargée d'évaluer la menace spatiale à l'encontre de nos intérêts nationaux.
Grâce à des capteurs qui permettent de surveiller assez finement l'espace, nous savons qu'il s'y passe quelque chose. Aujourd'hui, pour vous donner un exemple très concret, des microsatellites gravitent autour de nos satellites les plus sensibles. Nous voyons bien que leur cinématique n'est absolument pas normale et qu'elle est suspecte, voire inamicale, de la part de certains pays.
Pour faire face à ces défis, la DRM a lancé un projet majeur et structurant pour dans les années à venir : l'innovation technologique.
La DRM a lancé le projet intelligence campus en 2015. Aujourd'hui, ce projet prend forme. Il sera structuré sous l'égide de l'initiative Innovation Défense du ministère des Armées. L'idée est de regrouper plusieurs acteurs sur la base de Creil : nos spécialistes du renseignement, nos experts, avec des chercheurs, des industriels et des start-up. Il s'agit de répondre à tous les défis qui s'offrent à nous en matière d'exploitation, notamment dans le traitement de l'image et la « Geo-Int » – c'est-à-dire du renseignement géo-localisé et géo-référencé – qui sont des pôles d'excellence et d'expertise de la DRM.
Comme je l'ai dit précédemment, ce projet est structuré en trois piliers : la formation, la recherche et l'innovation.
En 2020, le centre de formation interarmées au renseignement, le CFIAR, qui est aujourd'hui situé à Strasbourg, déménagera à Creil, l'objectif étant de le rapprocher de mes centres d'expertise. On pourra sans doute, de cette façon, dégager de fortes synergies. Ainsi, le CFIAR participera lui aussi à la montée en puissance d'intelligence campus.
Dans le domaine de la recherche, nous avons déjà passé un certain nombre de protocoles entre nos centres et plusieurs universités, écoles d'ingénieurs et centres de recherche, et nous allons poursuivre ces partenariats.
Toutefois, ce projet a longtemps été porté par la DRM seule. Nous allons l'ouvrir très rapidement aux autres services de renseignement. En effet, nous nous apercevons que, dans ce domaine, nous avons tous les mêmes besoins et les mêmes difficultés. Donc, ce qui pourra émerger comme solutions techniques et comme outils, notamment d'intelligence artificielle, issus de cette initiative intelligence campus, profitera aux autres services de renseignement.
Très concrètement, nous avons procédé à d'importants recrutements de personnels civils parce que nous n'avions pas cette capacité dans les armées, et ce recrutement va continuer sa montée en puissance, avec de nouveaux experts dans de nouveaux domaines. Les data analysts et les data scientists, vont notamment nous permettre d'évaluer les produits d'intelligence artificielle et de big data qui nous sont proposés. Toutes les semaines, une start-up ou une entreprise m'appelle pour me dire qu'elle a créé un outil formidable qui est la solution à tous mes problèmes ! Certes, les présentations Power Point font rêver. Mais, derrière, il faut que nous soyons capables d'évaluer ces outils et de les faire tourner sur des bases de données. Nous le ferons d'abord sur des bases de données fictives que nous aurons créées pour protéger les nôtres tant que nous n'aurons pas d'assurance sur ce qui nous est proposé. Ensuite, nous ferons tourner ces outils en grandeur réelle pour pouvoir en mesurer la pertinence. Vous comprenez pourquoi j'ai besoin de cette expertise.
Mais l'innovation n'est pas contradictoire avec les programmes qui sont pensés au sein de la DGA, en particulier le projet Architecture de traitement et d'exploitation massive de l'information multi-service (ARTEMIS).
Ce n'est pas vraiment un outil, mais une architecture, une structure d'accueil qui va nous permettre d'intégrer ces différents outils dans différents domaines du renseignement pour nous aider à exploiter et analyser des données qui sont très hétérogènes – une image, une bande-son, une écoute, un papier, une carte, etc. Il faut être capable de fusionner tout cela pour en sortir une analyse pertinente.
Le projet ARTEMIS vise donc à fédérer tous ces outils et à les intégrer avec une architecture ouverte et souple, qui nous donnera cette capacité d'évolution qui est nécessaire dans ce milieu. Et toutes les initiatives qui seront lancées et qui aboutiront à des acquisitions d'outils se feront en lien étroit avec la DGA pour qu'à terme, ces outils puissent s'intégrer dans cette architecture globale ARTEMIS.
Pour conduire le projet intelligence campus, j'ai demandé à la DGA de me mettre à disposition un chef de projet. Le délégué a nommé l'ingénieur général de l'armement de première classe Caroline Gervais à mes côtés pour piloter ce projet et développer l'innovation au sein de la DRM en liaison étroite avec les initiatives lancées au sein de la DGA.
Je souhaiterais aborder maintenant avec vous nos ressources humaines, qui sont à la fois une richesse de la DRM, car nous avons des experts de très haut niveau, mais en même temps un point de vigilance dans le cadre de la loi de programmation militaire.
Entre 2013 et 2020, les effectifs de la DRM auront augmenté de 30 % – c'est la trajectoire telle qu'elle se précise aujourd'hui. Mais il faut poursuivre cette croissance, car les métiers de la DRM se transforment. Nous avons besoin d'experts, on nous demande toujours plus, on a de plus en plus de capteurs, on a toujours plus d'informations à exploiter, mais les effectifs des militaires spécialistes du renseignement n'ont pas évolué au même rythme.
Mon principal vivier d'experts se situe dans les armées. Je ne recrute pas moi-même de militaires. Les militaires de la DRM viennent des armées, donc de la fonction interarmées du renseignement, et font des allers et retours entre les armées et la DRM. Il est très important que l'augmentation des effectifs de la DRM et des unités de la FIR soit accompagnée d'une politique de recrutements d'officiers et de sous-officiers pour honorer ces nouveaux besoins. Il faut également savoir qu'il y a un important temps de latence entre le moment où nous décidons de recruter un sous-officier et son affectation effective dans les unités renseignement et que la formation des experts dans le domaine du renseignement prend du temps. Nous devons anticiper tout cela.
Je vous parlais tout à l'heure de mon rôle de « tête de chaîne » dans la fonction interarmées du renseignement. Une de mes principales préoccupations est de m'assurer que demain, la DRM et les armées auront les spécialistes dont elles auront besoin.
Certaines spécialités vont disparaître dans nos rangs. Par exemple, nous employons aujourd'hui des spécialistes très pointus dans le domaine de l'interception HF, qui avec des expertises particulières. Mais demain, les traitements seront automatisés et nous n'aurons plus besoin de ces expertises. En revanche, nous aurons besoin d'autres spécialistes, notamment les data scientists dont je vous parlais tout à l'heure.
Aujourd'hui, j'ai un vrai déficit en militaires. Encore une fois, il s'agit de spécialistes qui n'existaient pas avant dans les armées, qu'il nous faut recruter, former et dont il nous faut accroître le nombre. Aujourd'hui je compense – en tout cas partiellement – ce déficit par le recrutement de civils. Mais il y a déjà 30 % de civils à la DRM et il m'est très difficile d'aller au-delà, car je suis par ailleurs soumis à des contraintes de projection de personnels du renseignement sur les théâtres d'opérations, et que je ne peux pas y projeter de civils. Nous pouvons contourner le problème en leur faisant signer des contrats de réserve, qui leur permettent de partir en opération, mais la marge de manoeuvre est limitée. Aujourd'hui, certains postes en opération ne sont pas honorés, faute de militaires disposant des bonnes compétences.