Cela demande aussi du personnel supplémentaire, de nouvelles expertises et compétences.
Vous parliez de l'arrivée de nouveaux systèmes : lorsque nous lançons un nouveau programme, il y a ce que j'appelle des « incontournables ». Prenons l'exemple de la mise en service de MUSIS et de celle de CERES, qui interviendra immédiatement après : au-delà des satellites, il y a des segments sol avec des stations sol, de l'exploitation, et des personnels derrière les consoles. Et si l'on peut penser que MUSIS, qui remplace Helios, bénéficiera d'un transfert d'une grande partie de son personnel, il n'en sera rien pour CERES qui constitue une nouvelle capacité. Actuellement, le système ELISA – pour Electronic Intelligence Satellite –, programme d'études en amont de CERES, compte un nombre limité de personnels pour son exploitation expérimentale. Avec CERES, on nous livre une vraie capacité nouvelle qui a nécessité un important effort financier du ministère. Je vais donc consacrer une partie de ces nouvelles ressources humaines à l'exploitation de CERES.
MUSIS succède à Helios. Le premier satellite doit être lancé au mois de décembre prochain. En général, le calendrier des programmes spatiaux est respecté car les créneaux de tir sur Ariane doivent être réservés. Un deuxième satellite doit être lancé l'année suivante. Ce programme est mené en coopération avec plusieurs partenaires européens, qui disposeront d'un droit de tirage. L'Allemagne est un acteur important de ce programme puisqu'elle a participé au financement du troisième et dernier satellite.
MUSIS offrira une résolution bien meilleure que celle d'Helios 2 et garantira aussi une meilleure agilité. L'agilité se définit comme le temps de réaction entre la programmation du satellite et le nombre de zones qu'il est capable de couvrir simultanément. Nos zones d'intérêt sont souvent assez concentrées géographiquement au Moyen-Orient. Aujourd'hui, l'agilité des satellites est toute relative. Un seul passage ne permet pas toujours de traiter tous les points que l'on a sélectionnés. MUSIS sera beaucoup plus agile et permettra de traiter beaucoup plus d'objectifs lors d'un même passage.
Vous avez évoqué le Sahel et les linguistes. Nous avons effectivement un souci avec les linguistes pour certaines langues. Je prendrai l'exemple emblématique du tamasheq. Le tamasheq est parlé par les Touaregs, dont est issu le noyau dur des groupes terroristes que nous rencontrons dans le Sahel. Le tamasheq n'est pas une langue unique : il comporte de nombreux dialectes un peu différents selon les régions, car nous trouvons des Touaregs en Mauritanie, au Mali, en Algérie, au Niger ou en Libye. Les locuteurs du tamasheq sont difficiles à recruter. En général, il s'agit de Touaregs qui ont encore des attaches familiales au Sahel. Ces candidatures sont, comme tous les personnels civils et militaires du ministère, transmis à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) pour les habiliter au niveau de sécurité idoine.
Nous fondons quelques espoirs sur les outils d'intelligence artificielle, comme les traducteurs automatiques mais, sachant qu'aujourd'hui ces dispositifs ne sont pas très fiables dans des langues courantes comme l'anglais, nous n'attendons pas de bons résultats pour demain avec une langue rare aux dialectes multiples.
La question du recrutement pour la traduction des langues rares constitue bien une difficulté récurrente. Nous essayons évidemment de mutualiser nos ressources avec les autres services. Cette situation nécessite de pas vouloir tout traduire, mais de bien cibler les interceptions qui nous semblent intéressantes et que l'on voudrait traduire, à l'aide de mots-codes ou de mots-clés.
Le temps nécessaire à l'exploitation des données est extrêmement variable. Elles peuvent être prises en compte immédiatement. Le Transall C-160 Gabriel recueille du renseignement en pratiquant des écoutes : le linguiste est dans l'avion, il écoute en direct, et s'il entend quelque chose d'intéressant, il note l'information et la diffuse immédiatement. Par ailleurs, nous disposons de beaucoup d'informations dans les bases de données. Tout n'est pas traduit. Ces informations peuvent faire l'objet de recherches ultérieures pour des études plus fouillées sur des sujets spécifiques.
Quelles règles appliquons-nous s'agissant des prélèvements destinés à des analyses biométriques ? Les règles d'engagement, dont je vous ai déjà parlé, serviront à cadrer finement les choses sur le terrain. La biométrie est un outil très utile, mais il faut trouver un juste milieu dans l'usage que nous pouvons en faire, à la fois pour des raisons de principe et d'organisation.
Nous réfléchissons donc actuellement à ces sujets avec nos opérationnels et avec la direction des affaires juridiques afin de voir comment nous pouvons mettre en oeuvre cette capacité intelligemment et avec discernement. Il faut bien garder à l'esprit que cette mesure est destinée à réduire le niveau de menace contre nos forces et la population civile locale en permettant une identification fiable de certains individus ayant des antécédents.
Évidemment, les fichiers seront déclarés de manière transparente.
Que pouvons-nous attendre de l'intelligence artificielle pour le traitement des données, et dans quels délais ? Nous ne partons pas de rien. Nous disposons déjà d'outils développés dans le cadre de la recherche technique pour exploiter les données disponibles dans nos data centers.
Nous mesurons bien l'immense potentiel de ce secteur, et nous savons que les armées ne sont pas toujours en avance dans ce domaine par rapport au milieu civil. Lorsque vous passez au rayon cuisines d'une grande surface ou que vous faites quelques recherches sur le sujet sur internet et que votre smartphone vous envoie personnellement, le lendemain, des publicités vous proposant une cuisine neuve, c'est le résultat de la collecte d'une multitude de données – vous avez accepté d'être localisé et validé l'utilisation de cookies… Vous imaginez la taille des bases de données connectées au niveau mondial qui se trouvent derrière cela ! Des entreprises se consacrent d'ailleurs à la seule activité consistant à collecter et à revendre ces bases de données à des fins commerciales. D'autres les achètent et utilisent des outils extrêmement puissants pour les traiter et cibler individuellement ceux qui présentent un intérêt commercial. Les armées n'en sont pas là. Nous ne disposons pas d'outils aussi puissants, et nous n'avons pas la puissance financière nécessaire.
Aujourd'hui, même les États sont dépassés par la puissance financière de certaines entreprises, comme Microsoft ou Google, qui peuvent consacrer à ces évolutions des moyens bien supérieurs.
Quoi qu'il en soit, nous n'allons pas développer de notre côté des outils qui existent déjà sur le marché. Il ne s'agit que d'instruments qui pourront répondre directement à nos besoins après avoir fait l'objet d'adaptations ou de paramétrages particuliers. Nous devons les acquérir en boucle courte, sachant qu'ils sont en évolution rapide et permanente.
La LPM nous permettra-t-elle de disposer des effectifs suffisants pour exploiter les données ? Je l'ai dit, ce ne sera jamais suffisant, mais nous ne comptons pas seulement sur les effectifs pour exploiter les données. Ils sont cependant indispensables pour que nous disposions d'experts, et pour utiliser les outils adéquats.