Intervention de Pierre Mongin

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 14h30
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie :

La sûreté nucléaire repose sur tout un corpus de règles qui sont maintenant complètement internationales. Nous avons régulièrement des inspections de nos pairs, qui viennent passer deux mois chez nous pour mener une expertise détaillée et pour faire des recommandations. Il y a désormais des standards mondiaux et une communauté des régulateurs qui échangent constamment entre eux.

La question de la sûreté recouvre plusieurs aspects. Tout d'abord, la conception des installations physiques doit elle-même permettre d'apporter des réponses en cas d'incident : en Belgique, il est prévu un système de triple redondance, systématique, pour tous les équipements afin d'éviter des blocages susceptibles d'aggraver un incident. Les installations ont ainsi une conception robuste du point de vue de la sûreté. Nous avons des réacteurs classiques, à eau pressurisée, comme il en existe beaucoup dans le monde : ils ont donc été bien analysés. Les bâtiments des réacteurs ont une double enceinte, ce qui protège contre des risques internes, mais aussi externes, à savoir la chute d'aéronefs. Nous disposons aussi de ressources additionnelles en électricité grâce à des générateurs, de systèmes de pompes multiples et de circuits d'eau redondants.

Les règles en vigueur ont été renforcées après Fukushima, à l'occasion du retour sur expérience. En Belgique, les digues ont été significativement rehaussées le long de la Meuse à Tihange, pour faire face à un aléa, sans précédent, qui verrait une montée des eaux : à Fukushima, l'essentiel du problème est dû à la submersion d'un petit mur légèrement trop bas. Des mesures ont également été prises en matière de confinement, notamment grâce à des systèmes d'évent filtré. Ce sont des systèmes permettant la décompression à l'intérieur de l'enceinte confinée en cas d'accident nucléaire majeur – à Fukushima, les toits ont explosé, ce qui a conduit à un nuage radioactif au-dessus de Tokyo. Un tel scénario est devenu impossible depuis que ces investissements ont été réalisés : chaque structure est dotée d'une sorte de soupape permettant d'éviter que la compression ne finisse par produire une explosion massive, tandis qu'un système de filtrage chimique limite les éventuels rejets de matières radioactives à l'extérieur. Ces travaux ont été réalisés sur nos installations, je l'ai dit. De même, la question de la sismicité a été prise en compte, même si le risque de tremblement de terre est très peu critique : nos installations ne se trouvent pas à Nice, à côté de l'aéroport… Néanmoins, toutes les obligations liées au risque sismique ont été progressivement alignées sur des normes de criticité très élevées, issues du modèle japonais. On pourrait multiplier les exemples de renforcement des installations physiques.

La question de la culture de sûreté, chez tous les agents, est également essentielle – je le dis sous le contrôle du patron de l'exploitation.

Nous avons 2 000 salariés permanents dans nos sites, et environ 2 000 sous-traitants de passage. Tous doivent faire l'objet d'une sécurisation sur le plan individuel, cela va de soi, sous la forme d'habilitations délivrées par la police, mais il faut aussi qu'ils aient les bons gestes, les bons réflexes et la bonne culture. J'ai eu une expérience très comparable en matière de sûreté quand je dirigeais la RATP. C'est le seul sujet pour lequel il n'y a strictement aucune discussion possible entre la hiérarchie et les agents : on doit avoir une tolérance zéro pour les écarts de conduite, car des gestes extrêmement banals et non réfléchis peuvent avoir des implications sécuritaires. Il faut qu'il y ait un même niveau de concentration et d'engagement du sommet jusqu'à la base, y compris quand on est chargé de réaliser des tâches modestes à l'intérieur d'une centrale, avec un même souci de suivre strictement les procédures.

Cela peut être un peu difficile, parfois, car la marge de manoeuvre est nulle, mais on attend le même comportement d'un pilote d'avion : il n'a pas de marge d'originalité ou de créativité quand il doit appuyer sur un bouton. À tous les niveaux, les systèmes managériaux doivent continuellement vérifier l'implication, la motivation, l'engagement, et j'allais dire le courage de tous les salariés. C'est pour moi la question la plus importante en matière de sûreté.

Nous avons sollicité des conseils extérieurs sur ce sujet depuis quelque temps, notamment de la part d'EDF, avec qui nous avons beaucoup échangé. On doit sortir de son bocal et il doit y avoir un dialogue au sein de la communauté des exploitants pour échanger sur les bonnes pratiques, trouver les bons profils techniques et assurer le recrutement de gens compétents. On doit avoir la modestie de se doter de conseils extérieurs quand on en a besoin, ce que les Belges ont fait avec beaucoup de sagesse. Il faut ensuite appliquer la même exigence chaque jour.

Voilà notre philosophie dans ce domaine, qui est encore plus important pour nous que la conception des installations : celle-ci est normée au niveau mondial, alors que chaque site est différent sous l'angle de la culture de sûreté. Si vous le permettez, Thierry Saegeman pourrait vous dire également un mot de la manière dont on fait avancer cette question avec l'appui et sous le contrôle de l'agence en charge de la sûreté en Belgique, qui est très impliquée dans la définition des critères et le contrôle sur place.

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