nous devrions, madame la ministre, pouvoir connaître les arbitrages et les besoins non satisfaits. Ouvrons enfin le débat sur les renoncements que cette programmation révèle !
Mes chers collègues, le présent projet de loi de programmation militaire ne répond pas suffisamment aux enjeux de nos forces armées pour les prochaines années. Trop d'incertitudes pèsent sur l'avenir de notre défense.
Première incertitude : une actualisation est prévue en 2021. Après « des arbitrages complémentaires », la trajectoire sur la période 2024-2025 sera précisée dans le cadre de l'actualisation, en fonction de la situation macroéconomique à cette date. L'objectif de porter l'effort de défense à 2 % du PIB en 2025 sera-t-il repoussé ? Votre projet ne semble pas tenable. Peut-être aurons-nous droit à une actualisation bien avant 2021. Et si nous étions contraints de nous engager sur plus de trois théâtres d'opérations extérieures ?
Les objectifs manquent de clarté du fait d'un étrange tuilage, que vous revendiquez : 2023, 2025, 2030. Le rapport annexé fixe une ambition à l'horizon 2030, avec des contrats opérationnels à l'horizon 2030. Or nous savons que le surengagement, au-delà des contrats opérationnels, contribue pour partie à l'usure du matériel et de nos hommes, avec le manque d'entraînement qui en découle. Il eût été pertinent de clarifier les contrats opérationnels à l'horizon 2023, afin de les mettre en cohérence avec les ressources.
D'ailleurs, on peut s'interroger sur cette période de sept ans, contre cinq en moyenne pour les précédentes lois de programmation militaire. Un tel affichage pose la question de la sincérité de la programmation. Le temps budgétaire doit correspondre au temps politique. Attention aux faux-semblants !
La modification des périmètres, avec les intégrations progressives des surcoûts OPEX, n'aide pas non plus à la lisibilité des efforts. D'ailleurs, il s'agissait initialement de viser l'objectif de consacrer à notre défense 2 % du PIB à prix courants, hors OPEX et pensions. Heureusement que cette LPM est construite sans l'apport de recettes exceptionnelles aléatoires ! Quoi qu'il en soit, on jugera en fin d'exercice.
Deuxième incertitude : nous ne connaissons pas, à cette heure, la part qui sera demandée à notre armée dans l'organisation d'un service national universel. Le 13 février dernier, le Président Macron a « souhaité qu'on puisse y prévoir l'ouverture à la chose militaire ». La cacophonie gouvernementale a ajouté au flou qui entoure ce projet. Si seulement M. Collomb et M. Griveaux n'avaient pas contredit vos propos, madame la ministre !
Seule certitude à ce jour : aucun crédit n'est prévu à cet effet dans le projet de loi de programmation militaire. Soit l'armée ne fera pas partie du projet présidentiel de service national universel, soit ce projet de loi est déjà obsolète. Ce n'est pas sérieux.
Le ministère sera pourtant inévitablement impacté, ne serait-ce qu'au titre II. Malgré trois rapports en moins d'un an, de provenances différentes, soulignant les difficultés et le coût d'un tel projet, le Président de la République s'obstine. Sa volonté de mettre en oeuvre ce projet, contre l'avis de beaucoup, à tout prix et quel qu'en soit le coût, s'apparente de plus en plus à un caprice présidentiel sans fondement ni utilité réelle pour le pays. Entendons, madame la ministre, le scepticisme de l'armée sur ce projet jupitérien !
Troisième incertitude : la coopération européenne comme solution annoncée pour préparer l'avenir doit être questionnée. Pour quoi faire ? Avec qui ? Si la recomposition de l'industrie de défense suppose l'abandon du leadership, cela interroge. Il ne faudrait pas confier les exportations à Bruxelles, sous peine de perdre notre production en France.
Cela a souvent été dit en commission : le code des marchés publics et les processus d'acquisition freinent l'innovation. Pourtant, aucune correction n'est envisagée dans votre projet de loi. Nos partenaires européens sont-ils prêts à privilégier demain la France plutôt que les États-Unis ? Que de questions !
Attention à l'excès de naïveté : l'Europe de la défense ne doit pas nous faire perdre notre souveraineté.