Le 26 novembre 2013, mon prédécesseur à cette tribune avait ainsi déclaré : « Notre politique de défense ne se prête pas aux postures partisanes. En la matière, l'intérêt national doit être notre seul guide ». Ma grille de lecture de ce texte n'a pas été partisane, elle s'est appuyée sur une analyse lucide tant des avancées que des limites qu'il représente pour nos armées.
Je placerai mon intervention sous le signe de la confiance – une confiance qu'il nous faut rétablir entre les pouvoirs publics et les armées. Cette confiance a été dégradée au gré des coupes budgétaires et des réductions de moyens. Nous avons célébré le courage de nos hommes tout en détériorant leurs conditions de travail. Cette situation ne pouvait plus durer et la présente loi répond, en partie, à cette contradiction entre les mots et les actes, devenue intenable.
La confiance que l'on place en quelqu'un dépend de sa sincérité, laquelle se manifeste à travers des engagements réalisables et assumés. Or vous connaissez le principal reproche que nous pouvons adresser à cette LPM : la majorité des efforts financiers et humains qu'elle contient porte sur le prochain quinquennat, ce qui laisse planer un doute sérieux sur la crédibilité et la solidité de ses projections. J'y reviendrai à la fin de mon propos.
Avant tout, je souhaite insister sur le fait que le projet de loi de programmation militaire contient des mesures positives qui visent la hausse des effectifs et l'amélioration des conditions de vie des militaires et de leurs familles.
L'augmentation des effectifs de nos armées était devenue indispensable au vu du surengagement de nos hommes allant jusqu'à 200 jours par an. Sollicités sur plusieurs fronts, intérieurs et extérieurs, confrontés à une évolution et un accroissement des menaces, appelés à faire évoluer leurs méthodes de travail, nos militaires peuvent atteindre un niveau d'épuisement qui met en péril l'accomplissement de leurs missions et leur équilibre de vie.
La hausse des effectifs de 6 000 postes, dont 3 000 sur la période 2019-2023, mérite donc d'être saluée, même si l'on peut regretter que la plus grande partie de l'effort – 3 600 postes – sera effectuée après la fin du quinquennat, seuls 2 400 postes devant être créés avant. Dès 2013, bien conscient des efforts déjà demandés à nos armées, le groupe UMP demandait la fin des baisses d'effectifs. Il aura fallu attendre les terribles événements de 2015 pour que cette spirale déflationniste cesse enfin.
À un niveau plus individuel, les mesures relatives aux conditions de vie et aux familles des soldats constituent une réelle avancée dans ce projet de loi de programmation. Les dispositifs en faveur de l'accès des militaires placés en congé à la réserve opérationnelle et de la possibilité, pour les militaires, d'accepter un mandat de conseiller municipal dans les communes de moins de 3 500 habitants – même si cette limite démographique interroge – , ainsi que la poursuite du plan d'accompagnement des familles sont autant de points positifs que le groupe Les Républicains soutient activement.
Ces mesures vont dans le bon sens et devraient être complétées par une montée en puissance de la réserve opérationnelle. Nous pourrions donner la possibilité à tout salarié de transférer de manière anonyme et sans contrepartie certains de ses jours de congé à un collègue engagé dans la réserve opérationnelle pour lui permettre d'effectuer ses activités de réserviste. Un tel dispositif, simple et robuste juridiquement, existe déjà en faveur des personnes ayant un enfant gravement malade et celles aidant des personnes en perte d'autonomie ou en situation de handicap. Cette proposition a fait l'objet d'un amendement portant article additionnel et mériterait de faire l'objet d'un consensus transpartisan au seul bénéfice du service de la France.
Toutefois, ces avancées ne sauraient compenser les limites de ce projet de loi et les fortes incertitudes qui pèsent sur celui-ci, qui justifient un renvoi en commission pour approfondir le travail sur ces questions.
Les limites du texte résident avant tout dans l'absence d'une ambition de transformation de nos armées, compte tenu de la pluralité des menaces auxquelles elles font face et des défis que celles-ci peuvent représenter pour notre société à l'avenir.
La première ambition aurait pu être de bénéficier pleinement des atouts de la France en matière d'innovation et d'industries de défense. Les hélicoptères demeurent le parent pauvre des arsenaux de défense et l'absence de commande d'un nouveau porte-avions – qui, loin d'être seulement un objet de fierté nationale, est surtout un outil militaire efficace – donne un sentiment d'inachevé à cette loi de programmation militaire. La consolidation budgétaire qu'elle propose n'était pourtant pas incompatible avec un souci d'innovation renouvelé.
Aussi, cette loi de programmation militaire sous-estime l'ampleur de la tâche à accomplir en matière de renouvellement de nos matériels militaires, un mouvement doublement confirmé par le modèle d'armée 2025 de la précédente loi de programmation militaire et par les engagements du Président de la République. Ainsi, la nouvelle génération des sous-marins de la composante océanique, une nouvelle version du missile M51, le renouvellement de la composante aéroportée représentent autant de montées en puissance qu'il faudra assurer financièrement.
Or pour y parvenir, la France devra progressivement porter, d'ici à 2025, la part du budget de la défense qu'elle consacre, chaque année, à la dissuasion de 3,9 à 5,5 ou 6 milliards d'euros – soit pratiquement l'intégralité des sommes affichées par la LPM.
Là aussi, les ambitions sont louables, mais les moyens pour y parvenir interrogent. La dissuasion nucléaire verra sa modernisation poursuivie. Les avions ravitailleurs, la flotte d'avions de combat, la flotte océanique, le sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération – annoncé d'ici à 2020 par Naval Group – constituent un renforcement nécessaire de notre sécurité. Ce renforcement peut être estimé de 3,9 milliards d'euros en 2017 à 6 milliards en 2025. Dès lors, l'espace budgétaire dégagé par la présente loi de programmation militaire sera forcément réduit et nous devrons nous montrer très vigilants pour nous assurer que des crédits suffisants continuent à être affectés à l'amélioration des conditions de vie de nos soldats.
Dans ce cadre, je me félicite de l'adoption à l'unanimité par la commission de la défense de l'amendement du président Bridey, que nous avions nous aussi proposé, qui tend à exclure les investissements de la défense de l'application de l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques votée en décembre dernier. L'application éventuelle de cette mesure faisait peser de graves menaces sur les investissements du ministère des armées : 16,9 milliards d'euros auraient été ponctionnés sur le budget de 2018 égal à 34 milliards d'euros pour satisfaire cette règle. Il s'agit d'un message particulièrement fort des députés de la commission de la défense, qui sera, je l'espère, confirmé par l'ensemble de la représentation nationale. Les députés du groupe Les Républicains seront particulièrement vigilants quant au respect de cette décision unanime de la commission de la défense.
Ensuite, où en sont les liens entre l'armée et la nation ? Contrairement aux initiatives en matière d'environnement, de solidarité, d'éducation ou de loisirs, qui peuvent être prises par n'importe qui dans la société, celles en lien avec le monde militaire sont nécessairement institutionnalisées, portées par la puissance publique. C'est là le rôle d'une loi de programmation militaire : assurer la montée en puissance des dispositifs qui permettent à nos jeunes d'être non seulement sensibilisés aux enjeux de défense et de citoyenneté, mais aussi et surtout de s'engager au service de la nation.
Si ces dispositifs sont abordés dans ce texte, ils restent cantonnés à de timides amplifications, sans réelle portée universelle pour une jeunesse qui aspire à s'engager. On est loin, très loin de la dimension pluridisciplinaire des recommandations produites par les deux missions d'information sur le service national universel, dont j'ai été co-rapporteure, la première fois avec Joaquim Pueyo, la seconde avec Émilie Guerel. Ce projet de service national universel a fortement rythmé les débats de la défense depuis la promesse du candidat Emmanuel Macron en 2017.