Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du jeudi 22 mars 2018 à 9h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la réforme du droit des contrats, du régime des obligations et de la preuve, sur laquelle nous sommes amenés à nous exprimer une nouvelle fois, est l'aboutissement d'une longue décennie de travaux préparatoires.

Lors du bicentenaire du code civil, en 2004, les professionnels du droit s'entendaient déjà sur l'urgence qu'il y avait à réformer un droit que deux cents années de pratique et de jurisprudence avaient naturellement vieilli. Les profondes modifications apportées par l'ordonnance du 10 février 2016 du précédent Gouvernement visaient à rendre plus lisible et plus accessible le droit des obligations, afin que le code civil puisse refléter l'état réel du droit positif.

D'une manière générale, la réforme qui nous est proposée est empreinte d'une volonté de pédagogie bienvenue. Nous ne pouvons que nous réjouir de la rédaction plus simple et plus claire d'anciennes dispositions, ainsi que de l'apparition de nouvelles, qui comblent de vieilles lacunes.

La réforme a le mérite de renforcer les parties faibles et de rééquilibrer les relations juridiques. Elle met en place un devoir général d'information pour chaque cocontractant et affirme le principe de bonne foi dans toutes les étapes de la vie du contrat. Elle admet la violence pour abus de dépendance dans laquelle peut se trouver le cocontractant, faisant directement écho à la jurisprudence relative à la violence économique. Elle vient aussi utilement préciser le régime de l'erreur de droit, sur le même régime que l'erreur de fait.

S'agissant maintenant de la façon dont cette réforme s'est opérée, je vous rappelle que nous nous étions déjà opposés, en 2014 et en 2015, à une réforme par ordonnance de ce droit, qui concerne au plus près le quotidien de tous les Français. Loin d'être purement technique, une telle réforme soulève des questions politiques très importantes, qui auraient dû être versées au débat parlementaire. La méthode choisie nous enlève cette possibilité.

L'engagement de cette réforme par voie d'ordonnance soulève également des risques juridiques importants pour la pratique, puisque l'ordonnance est déjà en vigueur depuis le 1er octobre, alors que la représentation nationale ne l'a pas encore ratifiée. La réforme est donc d'ores et déjà enseignée aux étudiants, assimilée et pratiquée par les professionnels du droit et par les acteurs économiques.

L'un des objectifs de la réforme était de rendre notre droit civil plus attractif et plus efficace. C'est dans cette optique que l'ordonnance consacre et organise certains mécanismes juridiques, comme la cession de contrat et la cession de dette. Elle simplifie aussi la cession de créance ou d'offres réelles, et introduit des solutions innovantes, à l'instar des actions interrogatoires, qui permettent à une partie de mettre fin à une situation d'incertitude quant à la validité juridique d'un contrat déjà conclu ou en voie de conclusion. Il est certain que toutes ces modifications contribuent à l'atteinte de l'objectif.

Toutefois, l'attractivité économique de notre droit ne repose pas uniquement sur le droit français des contrats. L'efficacité des règles de procédure et, plus largement, l'efficacité de la justice sont tout aussi importantes. Or, nous le savons, la justice n'a pas les moyens de fonctionner correctement dans notre pays. Notre système judiciaire est à bout de souffle, et ni le budget de la justice ni l'augmentation minimaliste que cette assemblée a votée n'apportent de réelles solutions à ce constat alarmant.

Permettez-moi de vous rappeler que le budget français de la justice est, par habitant, l'un des plus faibles d'Europe : 72 euros par habitant et par an. En 2014, la France était classée vingt-quatrième sur vingt-huit pour ce qui est des effectifs judiciaires, avec seulement dix juges professionnels pour 100 000 habitants.

En conséquence, les procédures sont trop longues. En première instance, par exemple, un justiciable attendra en moyenne 304 jours pour voir son cas jugé en France, contre 19 jours au Danemark. Nous ne parviendrons pas à rendre attractif le droit français si notre système judiciaire ne fait pas l'objet de sensibles améliorations dans son fonctionnement.

Étant donné que ce texte propose de réelles avancées, en particulier pour les parties faibles, les députés de la Gauche démocrate et républicaine ne s'y opposeront cependant pas. En revanche, nous ne pouvons que déplorer qu'une réforme d'une telle ampleur ait été réalisée par voie d'ordonnance, et c'est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons.

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