Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du mardi 21 novembre 2017 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, c'est notre premier échange dans ce cadre depuis que j'exerce mes responsabilités actuelles ; il n'y a d'ailleurs rien d'incohérent à associer les enjeux dont je suis en charge et les relations internationales, bien au contraire. Tous ces sujets sont étroitement imbriqués ; le respect des engagements climatiques que la communauté internationale a souscrits à Paris conditionne, pour le meilleur comme pour le pire, les relations entre États, et notamment les relations entre le Nord et le Sud.

Je voudrais commencer par vous livrer une conviction profonde, qui explique pourquoi l'enjeu climatique conditionne tout ce qui a de l'importance à nos yeux et peut contribuer à construire la paix ou, au contraire, à creuser des fossés, voire des fractures, qui pourraient nous conduire dans un XXIe siècle qui ne correspondrait évidemment pas à nos souhaits. Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, nous sommes dans une phase décisive – c'est le moins que l'on puisse dire : nous courons le risque qu'une courbe de l'irréversibilité vienne s'ajouter à celle du fatalisme. Il est vrai que l'équation est difficile. Pour résoudre la question climatique, il ne suffira pas d'adapter notre modèle énergétique, voire marchand : il faudra le réviser en profondeur. Je comprends que l'exercice effraie un peu : en situation de crise, on souhaite le changement, mais on le redoute aussi. Je voudrais donc vous faire part de ma vision du monde et revenir sur le contexte dans lequel arrive cette contrainte qui alourdit encore un peu plus le fardeau de l'humanité.

Au risque de faire quelques raccourcis, qu'est-ce qui a fondamentalement changé depuis quelques décennies ? Avec le développement brutal – à l'échelle de l'humanité – de la globalisation et de la technologie, à savoir internet, la télévision et la mobilité, le monde s'est connecté. En se connectant, il a fait naître une sorte de faux espoir, du moins pour l'heure : on s'est dit que l'on allait pouvoir mutualiser les intelligences et réduire les inégalités du monde. Pour l'heure, on ne les a pas réduites, on ne les a pas augmentées, on n'a fait que les confronter, les exposer au grand jour. On s'est connecté, mais on ne s'est pas encore relié.

Aux inégalités existantes est venue s'ajouter une inégalité majeure, qui touche au climat. Cette inégalité climatique devient insupportable et ajoute au sentiment d'injustice quelque chose d'assez explosif : l'humiliation. Car les gens prennent conscience des relations de cause à effet, et l'on voit bien que l'inégalité climatique pénalise dès maintenant, et au premier chef, des hommes, des femmes et des enfants déjà en situation de vulnérabilité, qui se retrouvent à subir les conséquences d'un phénomène qu'ils n'ont pas provoqué et qui, si l'on veut être juste et ne pas trahir l'histoire, est la conséquence d'un mode de développement dont ils n'ont pas profité – et qui même s'est fait parfois un peu à leur détriment.

Tant qu'on ne faisait pas la relation de cause à effet, passe encore ; mais le monde se lit désormais comme un livre ouvert. Une femme en Afrique qui découvre un beau matin que son enfant va mourir d'une maladie dont le remède existe ailleurs mettait cela sur le compte de la fatalité et s'inclinait devant la tragédie ; mais elle observe maintenant – pardon si je caricature un peu – que l'on a apporté des bouteilles de Coca-Cola dans son village, mais pas de traitement antipaludéen. Des femmes désormais condamnées à faire vingt kilomètres pour trouver de l'eau aux Philippines ou au Sahel, à cause d'une désertification accrue par le basculement climatique, prend à un moment ou à un autre conscience que tout cela est la résultante du même phénomène. Si j'ai souhaité que mon ministère soit celui de la « transition écologique et solidaire », c'est parce que c'est bien un sujet de solidarité. Si nous ne concrétisons pas cette solidarité, si nous ne l'incarnons pas, si nous en restons au contraire à de vaines promesses, je ne vois pas comment le XXIe siècle pourra ne pas reproduire des tragédies que nous avons connues au XXe.

Mais je peux aussi considérer, en creux, que la contrainte climatique n'est peut-être pas là tout à fait par hasard : elle nous renvoie à l'obligation d'appréhender l'avenir avec une vision universelle, et non pas sélective. Si nous sommes un peu pris de court, c'est parce que nos institutions, et parfois nos démocraties, ne sont pas totalement adaptées aux enjeux universels, pas plus qu'elles ne le sont à ceux du long terme. C'est toute la difficulté de l'exercice qui est le mien – et le vôtre : combiner court terme et long terme est excessivement difficile – je suis bien placé pour le savoir ; selon que vous prenez l'équation avec des lunettes pour voir de près ou des lunettes pour voir de loin, ce ne sont pas forcément les mêmes solutions qui s'imposent. Dans notre monde particulièrement réactif, la crise écologique, avec sa composante climatique, mais aussi avec la raréfaction des ressources, ajoute de l'inégalité, de la tension et de l'humiliation à l'humiliation. De mon point de vue, la question de la solidarité est sortie du seul terrain de la morale : elle est devenue une contrainte. Car vous ne pouvez pas condamner les exclus à observer les inclus à travers les écrans.

Ce préambule est pour moi très important. L'enjeu climatique a des conséquences phénoménales. Le choix est le suivant : soit en contenir l'amplitude, comme vous l'avez rappelé, et en maîtriser les conséquences ; soit – et ce sont les scientifiques qui le disent – assister en spectateurs informés à des phénomènes désormais irréversibles. On a bien vu ce qui s'est passé à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. ; nous avons été plus touchés en raison de notre proximité avec les habitants de ces îles, mais ce n'était pourtant que la répétition d'événements que subissent depuis très longtemps de nombreuses populations dans le monde. Si nous n'assumons pas nos responsabilités – et je ne pense pas seulement à la France en le disant –, je crains une forme de réaction qui nous dépasse. Des centaines de milliers de personnes, voire des millions d'hommes et des femmes sont déjà poussés à quitter leurs terres par des événements climatiques violents tels que des ouragans, des inondations, des tornades et des sécheresses, mais aussi par le phénomène au long cours, et tout aussi pénalisant, de la désertification : parfois ils viennent buter aux portes des grandes villes, mais parfois aussi, saturés, ils peuvent prendre d'autres directions – et chacun comprend à quoi je pense. Mais tout cela peut être une opportunité : si la solidarité devient une obligation – pour que nous puissions, nous-mêmes, vivre en paix –, la concrétisation de cette solidarité peut s'en trouver accélérée.

Afin de sortir de la crise climatique, un impératif nous a été assigné par la science : il faut réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Ce n'est pas le seul outil, mais c'est le principal. Si l'on résume l'équation, qui nous tétanise un peu, il nous faut renoncer à exploiter 70 % des réserves d'énergies fossiles accessibles facilement, sous nos pieds. C'est un changement de paradigme : nous ne sommes pas spontanément aptes à renoncer à de ressources qui nous tendent la main. Est-ce un mal de s'y résoudre ? À un moment ou à un autre, cette solution s'imposera de toute façon puisque ce sont des ressources finies. Nous pourrions certes aller de plus en plus loin pour les exploiter, dans des conditions de plus en plus difficiles, mais il y aura mathématiquement un optimum, puis un déclin des ressources.

Mais à bien y réfléchir, est-ce si ennuyeux d'avoir à s'affranchir des énergies fossiles et de devoir accélérer le processus en raison de l'enjeu climatique ? Je ne le dis pas pour me convaincre moi-même – vous peut-être, en revanche –, mais je pense que c'est une chance extraordinaire. Pour commencer, nous sommes totalement inféodés, aliénés par les énergies fossiles. Notre dépendance à des ressources que nous n'avons pas sur notre propre territoire, compromet notre indépendance sur le plan des relations internationales. Autrement dit, si nous accélérons le développement des énergies renouvelables et que nous arrivons à acquérir plus vite que prévu une forme d'autonomie en les produisant à l'intérieur de nos frontières, j'ai tendance à penser que ce sera une nouvelle extraordinaire. Par ailleurs, ce qui serait possible pour la France le serait également pour d'autres pays qui n'ont pas nécessairement la même stature économique, ce qui permettrait de rétablir une forme d'équité. Enfin, même si je ne suis pas aussi spécialiste des relations internationales que vous l'êtes, j'observe que le pétrole, le gaz ou le charbon n'étaient jamais très éloignés d'un grand nombre de conflits que nous avons connus depuis la deuxième guerre mondiale. Il ne faut donc pas considérer l'enjeu climatique seulement comme une pénalité, mais peut-être aussi comme une opportunité.

Venons-en à la protection de l'environnement. C'est une expression que j'hésite toujours à employer : elle donne l'impression que l'objectif est de protéger la planète alors qu'il s'agit bien de nous protéger nous-mêmes. La planète pourrait éventuellement parvenir à s'accommoder des excès que nous lui faisons subir… On a souvent eu le sentiment que la préservation de l'environnement cachait un déficit d'humanisme ; non, nous sommes bien au coeur de cette vertu, des valeurs de l'humanisme.

La France ne peut pas tout faire toute seule, même si elle fait beaucoup de choses – elle a montré son leadership dans la préparation et le succès de la COP21. Mais elle peut donner l'exemple, comme avec la loi interdisant l'exploitation des hydrocarbures. Souvent, on me demande à quoi cela sert de faire cela tout seul. Cela sert à se préparer, à anticiper les mutations, à se mettre en ordre de marche ; et, parfois, sur d'autres objectifs fixés dans le cadre du plan « Climat », on s'aperçoit que d'autres pays ont pris quelques semaines plus tard les mêmes engagements que nous, avec des calendriers qui peuvent être beaucoup plus contraignants.

La COP23 de Bonn, qui s'est terminée tard vendredi soir, ou plus exactement tôt samedi matin, s'est tenue sous présidence fidjienne et sous le regard vigilant, voire inquiet – à juste titre – des peuples et des États insulaires. Disons-le sincèrement, cette réunion n'a pas provoqué le sursaut nécessaire ; mais cela ne signifie pas qu'il n'aura pas lieu lors de la COP24 en Pologne, qui devrait constituer l'étape la plus significative. D'ici là, un véritable marathon diplomatique nous attend.

Je suis rentré de Bonn avec un sentiment mitigé dont nous aurons probablement l'occasion de reparler tout à l'heure. Dans un premier temps, l'onde de choc causée par le retrait américain s'est traduite par un sursaut, en particulier de la part de la France, et a renforcé non seulement des coalitions mais aussi les réactions de certains États fédérés et grandes métropoles aux États-Unis. Mais son impact reste loin d'être négligeable, qu'il s'agisse des financements ou des États les plus vulnérables, exposés de plein fouet aux conséquences des changements climatiques, et qu'il faut rassurer.

Un point est certain : personne, en dehors de l'administration de Donald Trump, ne remet en cause l'intégrité de l'accord de Paris, qui a de toute façon provoqué une dynamique irréversible. Elle mérite d'être accélérée et non freinée. La réaction de la France a contribué à cet élan, y compris aux États-Unis – vous avez vu le slogan que beaucoup de participants américains ont utilisé à Bonn : « We are still in », « nous sommes toujours dans l'accord de Paris ». Nous voyons tous les jours les fruits de cet accord, et ce sont autant de raisons de savoir qu'une transformation profonde de notre société se trouve à notre portée. En l'état actuel, nous avons déjà ce qu'il faut en matière technologique et économique. Ce sont la volonté et l'intelligence collective qui font encore défaut.

De nombreux pays, ainsi que des villes et des États fédérés, se sont engagés sur la neutralité carbone. C'est le seul objectif légitime et nécessaire pour respecter l'accord de Paris. Après la France, la Suède, la Norvège, le Costa Rica et la Nouvelle-Zélande ont décidé d'emprunter cette voie. Je rappelle que nous avons récemment adopté un objectif de zéro émission à l'horizon 2030-2040 en ce qui concerne la mobilité. Avec le Royaume-Uni, nous avons par ailleurs l'objectif de stopper les ventes d'ici à 2040, et douze grandes métropoles françaises ont annoncé leur volonté d'interdire les voitures essence et diesel d'ici à 2030. La Chine vise un développement massif des véhicules électriques – et chacun voit bien ce que cela peut signifier dans un pays de cette taille. Renault s'est ainsi associé avec Dongfeng pour construire des usines dédiées à ces voitures. L'Inde, elle aussi sévèrement touchée par la pollution, particulièrement en ce moment, s'est fixé l'objectif de 100 % de véhicules électriques d'ici à 2030.

Dans le même temps, de nombreux pays et entreprises se désengagent du charbon. L'effet n'est pas nécessairement palpable et visible, mais le « désinvestissement carbone », engagé depuis l'accord de Paris, ne cesse de s'amplifier. Le Canada et le Royaume-Uni, que nous avons rejoints à Bonn, ont récemment lancé une coalition de pays déterminés à sortir du charbon. Depuis, l'Italie, l'Espagne et les Pays-Bas ont adopté les mêmes objectifs ou sont en train de le faire. Pour la première fois depuis plus d'un siècle, le Royaume-Uni a fonctionné sans charbon pendant une journée au cours de l'année 2017 – ce qui est beaucoup moins anecdotique qu'il n'y paraît.

Parallèlement des tendances lourdes et irréversibles se mettent en place. Il y a seulement cinq ans, lorsque je me permettais de dire, avec d'ailleurs un certain nombre d'institutions, que le monde pourrait répondre à ses besoins énergétiques principalement, sinon exclusivement, au moyen des énergies renouvelables, on m'opposait en premier l'argument économique. Or le coût des énergies renouvelables est désormais en baisse continue, comme l'attestent de récentes études de l'Agence internationale de l'énergie. En 2016, 170 gigawatts d'énergies renouvelables ont été installés, contre environ 60 gigawatts pour le charbon. On installe à peu près deux fois plus d'énergies renouvelables que d'énergies fossiles pour la production d'électricité. En Europe, certains appels d'offres pour l'éolien, notamment en mer, se sont conclus à un prix qui rend désormais inutiles les subventions publiques. Qui l'aurait imaginé il y a quelques années ?

Ces bonnes nouvelles – car il est bon de pointer ce qui ne va pas assez vite, mais il ne faudrait pas décourager tout le monde – confirment des tendances lourdes, notamment en France avec la mise en oeuvre du plan Climat. Cela doit nous aider à lancer le « marathon pour l'ambition » que j'évoquais tout à l'heure, si nous voulons réussir la COP24 en Pologne. Ce n'est pas gagné d'avance : ce pays n'a pas nécessairement la même ambition que nous, à ce stade, mais il reste un an pour essayer de nous mettre en phase. Il y aura en tout cas un point d'étape à cette occasion. Il est important que le « marathon pour l'ambition » se fasse avec nos partenaires européens : nous devons défendre un relèvement des ambitions au niveau de l'Union européenne pour l'horizon 2030. Mais il est essentiel qu'il soit signifié et acté en Pologne l'année prochaine. On ne peut franchement plus attendre.

Dans l'immédiat, un certain nombre d'événements permettront de commencer le marathon diplomatique. Il débutera à Paris le 12 décembre prochain, à l'occasion du sommet que vous avez évoqué : organisé à l'invitation du Président de la République et en partenariat avec la Banque mondiale et les Nations Unies, il est placé sous l'angle des financements, qui est crucial. Il ne s'agira pas d'un sommet de négociation, mais d'échange, afin de travailler sur les questions d'atténuation et d'adaptation, sur les financements, les mécanismes et le partage des bonnes pratiques, mais surtout sur les moyens de doper la transition énergétique et d'essayer, autant que possible, de sécuriser les promesses qui ont été faites. Elles restent en partie vaines depuis Copenhague, notamment pour ce qui est des 100 milliards de dollars à réunir chaque année à partir de 2020. Il faut évidemment changer d'échelle, sans quoi les objectifs, déjà complexes, n'auront aucune chance d'être atteints. C'est un point essentiel : il faut que nous mettions les acteurs financiers en cohérence avec l'accord de Paris. On doit leur demander de nous dire très concrètement comment ils vont nous aider à répondre à l'injonction climatique.

La France a mis en oeuvre son engagement avec l'article 173 de la loi de transition énergétique et elle entend prendre la tête d'une série de pays voulant agir dans le même sens, tout en portant l'objectif au niveau communautaire – c'est très important pour nous. De même, nous avons été le premier pays à émettre des obligations vertes souveraines. Nous avons ainsi créé une dynamique qui fait des émules un peu partout sur la planète. Le monde des énergies fossiles est en train de décliner ; les acteurs économiques n'ont pas d'autre solution que de l'anticiper. C'est la raison pour laquelle le projet de loi « hydrocarbures » a posé trois principes : la progressivité, la prévisibilité et l'irréversibilité. Car ce sont ces trois principes qui nous permettront de réaliser nos objectifs.

La question du financement est majeure. Nous avons une dette, et pas seulement économique, à l'égard des pays les plus pauvres et les plus frappés par le dérèglement climatique. Cette dette nous crée l'obligation d'accompagner, par notre solidarité, la transformation des économies concernées vers les énergies renouvelables – s'il leur est possible d'éviter un passage par les énergies fossiles, c'est encore mieux pour eux – et vers l'agro-écologie, en aidant aussi les populations les plus exposées au chaos climatique. La France n'a pas à rougir de son aide financière en matière de changement climatique, même si elle n'a pas non plus à s'en enorgueillir spécialement. Comme l'a annoncé le Président de la République, nous consacrerons 5 milliards d'euros à la lutte contre le changement climatique d'ici à 2020, dont 1,2 milliard pour l'adaptation. Les pays touchés souhaiteraient un rééquilibrage entre l'adaptation et l'atténuation, mais nous avons déjà une bonne base de travail. À l'horizon 2022, nous porterons notre aide publique au développement à 0,55 % du revenu national brut, ce qui nous permettra d'en faire davantage pour affirmer notre ambition et notre solidarité.

Cette solidarité passe aussi par le développement des financements innovants. La France a mis en place, depuis plus de cinq ans, une taxe sur les transactions financières – certains l'ignorent encore. Nous avons jusqu'à présent échoué à l'étendre au niveau européen, alors qu'un tel dispositif permettrait de mobiliser des financements conséquents pour la solidarité, notamment avec l'Afrique. Cela fait personnellement partie de mes priorités – je réponds ainsi un peu à votre question. Cela suppose un travail de conviction que je dois mener à tous les niveaux : c'est une clef essentielle sur laquelle il faut continuer à travailler. Pour être très sincère avec vous, nous sommes un peu ralentis par l'absence de gouvernement en Allemagne : avec Angela Merkel, nous avions l'intention de reprendre immédiatement les négociations sur ce sujet ; nous attendons de savoir ce qui va se passer. Par ailleurs, il faut être inventif, en regardant comment augmenter les financements pour les pays les plus pauvres. Dans la préparation du sommet du 12 décembre prochain, la France travaille ainsi sur les moyens de mobiliser davantage la générosité, y compris celle des citoyens à travers des microprélèvements sur les cartes bancaires.

Mais il y a une autre priorité, tout aussi importante, mais dont on ne parle pas suffisamment, sans doute parce qu'elle a un peu pâti de l'ombre faite par la question des changements climatiques : la préservation de la biodiversité. Au demeurant, l'attention que nous lui porterons permettra aussi d'optimiser notre réussite en matière de changement climatique. Les rapports se succèdent et l'on finit par entrer dans une sorte de routine, avec une succession d'annonces toutes plus effrayantes les unes que les autres. On s'habitue ainsi à l'idée que ce siècle verra probablement la disparition de 50 % du vivant et que l'on ne pourra plus regarder les animaux les plus emblématiques que sur nos petits écrans. Est-ce parce que nous nous sentons plus concernés par les changements climatiques que par l'érosion de la biodiversité ? Je ne crois pas que ce soit la raison, mais c'est tout de même une double erreur. D'abord, ce serait une vanité suprême de penser que l'homme puisse tirer seul son épingle du jeu en réduisant la biodiversité. Il en est de la biologie comme de la culture : seule la diversité nous permet d'affronter un avenir qui n'est pas nécessairement facile. Ensuite, si nous voulons optimiser nos chances de gagner la mère de toutes les batailles, celle du changement climatique, nous devons faire alliance avec la nature. La meilleure manière de protéger la biodiversité n'est pas de la cantonner à des parcs ou à des réserves, mais de protéger et de restaurer les écosystèmes.

Quand on restaure un écosystème, qu'il s'agisse d'une forêt, d'une mangrove ou d'une barrière de corail, on utilise sa capacité naturelle à stocker les gaz à effet de serre : en d'autres termes, on s'allie à la nature pour reconstituer un puits de carbone. À l'inverse, si on laisse des centaines de milliers d'hectares de forêt partir en fumée, les zones humides s'assécher et les terres agricoles devenir des supports inertes incapables de stocker le CO2, on s'interdit de gagner la bataille climatique. Biodiversité et climat sont les deux faces d'une même médaille. Si mon implication dans le domaine de la biodiversité a probablement été moins visible qu'en matière de lutte contre le changement climatique, elle s'inscrit dans la lignée des efforts accomplis par les précédents gouvernements et qui ont permis l'entrée en vigueur du protocole de Nagoya, et a activement contribué à mobiliser les territoires et l'ensemble des acteurs sur ce thème, notamment grâce à la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Sur ces fondations, nous devons maintenant amplifier notre action, conformément au souhait exprimé par le Président de la République de voir la France accueillir un événement de portée nationale sur la biodiversité. C'est la raison pour laquelle j'ai défendu la candidature de la France pour accueillir en 2020, à Marseille, le congrès mondial de l'International Union for Conservation of Nature (IUCN), quelques mois avant la Conférence des parties à la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, qui aura lieu en Chine – et à franchement parler, je pense que toutes les conditions sont réunies pour que soit retenue notre candidature à l'organisation de cet événement qui devrait revêtir la même importance que la Conférence de Paris de 2015 sur le climat. Notre objectif : mettre en mouvement la société française, mais aussi sa diplomatie, afin que la France, qui a su montrer l'exemple sur le climat, en fasse de même sur la biodiversité – car nous ne pouvons pas nous résigner à devenir les derniers témoins d'un monde-relique.

C'est dans cet état d'esprit qu'il y a quelques jours, dans le cadre de la COP23 qui se tenait à Bonn, j'ai pris la présidence de la Central African Forest Initiative (CAFI, en français Initiative pour la forêt de l'Afrique centrale), lancée lors de la COP21 afin de protéger la forêt tropicale d'Afrique centrale. Dans le même objectif, le Plan climat va développer une stratégie pour lutter contre l'importation de produits contribuant à ce que j'appelle la déforestation importée. Par ailleurs, j'ai proposé au ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, que la présidence française du G7 de 2019 fasse de la biodiversité une priorité, car nous avons besoin que les chefs d'État et de gouvernement intègrent la connexion de l'homme à l'ensemble du vivant. Sans craindre de forcer le trait, je dirai même qu'il s'agit presque d'un indice de civilisation : si l'homme moderne, peut-être aveuglé par les progrès de la technologie et de la science, a cru pouvoir se libérer de la nature, il n'a ainsi fait que se rendre plus vulnérable – mais j'espère qu'un sursaut de conscience nous permettra de revenir sur cette erreur.

Dans le même esprit, la lutte contre la désertification, notamment grâce à l'agro-écologie – ce que certains appellent la « grande muraille verte » au Sahel –, doit contribuer à nous permettre d'atteindre nos objectifs en matière de climat et de protection de la biodiversité. Dans une région du monde située au carrefour des crises migratoires, de sécurité, de lutte contre le terrorisme, d'éradication de la pauvreté, cette action constitue également le meilleur moyen de combattre, sur le long terme, la faim et la misère. Aussi ai-je proposé à Laura Flessel, Anne Hidalgo et Tony Estanguet, dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques à Paris en 2024, de mettre en place une initiative de compensation positive des impacts environnementaux des JO, à destination de l'Afrique. Je suis en effet convaincu que les destins de nos deux continents sont intimement liés, et que nous devons répondre ensemble, plutôt que séparément, aux défis climatiques.

Face aux défis de l'accès à l'énergie et au développement des énergies renouvelables, qui doivent accompagner la croissance économique du continent africain et l'accès universel au service énergétique de base, nous devons aller plus vite et plus loin.

Notre deuxième défi commun est celui de la souveraineté et de la sécurité alimentaire. Comme vous le savez, l'Afrique – où la situation était déjà assez compliquée, tant au Sahel que dans la corne de l'Afrique, où la production alimentaire est mise à mal – doit aujourd'hui faire face aux impacts dramatiques du changement climatique, et on voit réapparaître le spectre du retour des grandes famines – dans les régions où ce fléau était déjà redevenu une réalité, ses conséquences vont se trouver amplifiées par les changements climatiques. Dans ce domaine également, je suis fermement convaincu que nous devons changer d'échelle, réhabiliter les sols et combattre la désertification pour aider le Sahel à retrouver sa souveraineté alimentaire. À ce titre, je soutiens l'initiative de Monique Barbut, secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, qui nous enjoint d'accélérer notre aide vis-à-vis de l'Afrique pour restaurer les centaines de milliers d'hectares de terres agricoles d'Afrique qui ont été détériorées au fil du temps. Ce faisant – et pour un coût relativement modique –, on rend un triple service à l'humanité : on permet aux populations de revenir ou de se fixer sur leurs territoires, on réhabilite des terres agricoles, ce qui va permettre de nourrir les 1,5 milliard de personnes qui viendront augmenter la population mondiale d'ici à 2050, enfin on redonne aux sols concernés la capacité de stocker du CO2 – avec l'accès aux énergies renouvelables, c'est le service le plus urgent que nous ayons à rendre aux Africains. C'est un projet commun que de se donner les moyens de permettre à l'agriculture de regagner du terrain sur le désert, en particulier dans la région du lac Tchad.

Afin de vous donner une vision complète de nos ambitions sur la scène internationale, mesdames et messieurs les sénateurs (Rires)…

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