Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du mardi 21 novembre 2017 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la Transition écologique et solidaire :

Monsieur Lecoq, je ne suis pas « extrémiste » – on m'accorde généralement cela : c'est la situation de la planète qui est extrême. Il ne faut pas être dogmatique, il faut écouter, mais je suis content de constater que la simple perspective de la fermeture des centrales à charbon fait émerger des alternatives. Cela prouve que la contrainte n'est pas l'ennemie de la créativité, et qu'elle en constitue plutôt la condition. Je crois beaucoup aux deadlines, sans lesquelles rien ne bouge – cela vaut pour le glyphosate, pour les énergies fossiles… Il n'est toutefois pas dans ma philosophie d'être brutal, parce que je sais que, dans une démocratie comme la nôtre, la transition que nous devons irrémédiablement opérer doit prendre en compte une dimension sociale.

Vous me parlez d'une solution alternative pour une centrale à charbon : je vais examiner les éléments que vous me fournirez. Mais il faut aussi comprendre que si l'on repousse toutes les échéances surtout, il ne faudra pas s'étonner que les objectifs ne soient pas atteints.

S'agissant d'énergie et plus précisément du nucléaire, j'ai entendu parler de « renoncement ». Le mot revient souvent à mon sujet : il paraîtrait que je vais de renoncement en renoncement… Ce n'est pas ma lecture de ma propre action, car je ne suis pas là pour renoncer : je suis là pour faire, mais cela nécessite parfois de créer les conditions propices à l'action, de planifier, ou d'organiser les choses.

Partisans et ennemis du nucléaire s'accordent pour que la part de cette énergie dans la production d'électricité française soit ramenée à 50 %. De toute façon, il n'est pas bon de mettre tous ses oeufs dans le même panier. Il s'agit donc d'une première étape qui nous permettra de retrouver la liberté de nos choix. Mais encore faut-il y parvenir ! C'est très bien d'inscrire l'objectif dans la loi, de poser le talisman sur la cheminée… et de se réveiller un matin en se demandant comment fermer vingt-cinq réacteurs, avec des conséquences en termes de brutalité sociale, puisque rien n'aura été planifié, des risques d'approvisionnement, et des effets sur nos autres objectifs.

Pour ma part, je me suis fixé quatre objectifs, et je vais essayer dès maintenant de créer les conditions qui permettront de les réaliser, et de co-construire avec les partenaires sociaux ou territoriaux pour être en situation de les atteindre.

Premier objectif : la réduction de la consommation d'énergie. Cette réduction est possible : pour la première fois, notre consommation baisse. Nos entreprises sont extrêmement performantes en termes d'efficacité énergétique. Tout le monde en tire bénéfice puisque l'argent économisé peut aller vers le pouvoir d'achat des ménages ou vers l'investissement des entreprises.

Deuxième objectif : le développement des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Des résistances existent : je dois créer les bonnes conditions pour que les choses avancent.

Troisième objectif : décarboner notre économie. C'est très important : mettre un terme à l'usage du charbon constitue l'un de nos tout premiers chantiers.

Quatrième objectif : ramener la production d'énergie d'originaire nucléaire à 50 % de la production totale. Là, il s'agit de ne pas reculer parce que, à la différence des trois premières ambitions, nous n'avions pas avancé d'un centimètre jusqu'à maintenant. Avant que je pose la question, personne ne s'était demandé comment nous allions faire. On ne ferme pourtant pas une centrale du jour au lendemain ! On peut d'ailleurs peut-être commencer par fermer un seul réacteur. Il faut aussi prendre en compte des critères de sûreté, et des critères sociaux et économiques. Évidemment, nous devons éviter les effets pervers : le but n'est pas de substituer des importations carbonées allemandes au nucléaire français.

En arrivant au ministère, j'ai demandé des informations sur tout cela : il n'y en avait aucune. Personne ne s'était mis en situation d'avancer. La transition est délicate, nous ne devons pas la louper. Il faut construire une programmation. Je n'ai pas la science infuse, mais il y a suffisamment de gens compétents autour de nous pour construire une programmation pluriannuelle.

Madame la présidente, vous avez évoqué la gouvernance de la COP. La COP21 de Paris a été un moment particulier d'engagement. Nous nous sommes fixé un objectif : la neutralité carbone en 2050. Nous en sommes aujourd'hui à la phase de mise en oeuvre qui fait l'objet du « dialogue de facilitation » que les Fidjiens ont appelé le Talanoa dialog. C'était l'objet des discussions de Bonn, qui se poursuivront jusqu'à la COP24. La COP est un peu comme la Cour des comptes : elle permet de vérifier si la trajectoire correspondant aux engagements pris est bien tenue dans la durée. Un bilan est obligatoirement dressé tous les cinq ans – le premier est prévu pour 2018, le suivant pour 2023.

Nous devons relever un défi consistant à faire vivre la mobilisation politique, et à ne pas laisser les sujets complexes aux seuls techniciens. Le portage politique est essentiel, car certains leaders politiques ont pu penser que la COP21 constituait un aboutissement ; mais l'accord de Paris n'est pas contraignant, sinon intellectuellement. Il faut maintenant tracer la route et voir dans quel véhicule nous monterons pour atteindre les objectifs fixés. Nous avons évidemment besoin de mobiliser tous les ministres compétents.

Madame Autain, je me permets de vous rassurer : la seule chose qui a changé, c'est ma fonction. Elle me place face à des réalités parfois un peu compliquées. Lorsque l'on est ministre, on est au pouvoir, mais on découvre qu'il y a beaucoup de pouvoirs, partout, et que parfois ils se télescopent. Il n'en reste donc plus tant que cela au ministre, mais c'est ainsi que fonctionne la démocratie. Qui plus est, dans le cadre européen, nous ne sommes évidemment pas libres de tout faire.

Je n'ai pas oublié, je l'espère, mes convictions, mes craintes, mes espoirs, ni les contradictions que j'ai évoquées. Pour l'instant, je n'ai pas la main sur tout. J'ai essayé de faire avancer les choses de l'extérieur avec des résultats et des faiblesses, et j'essaie de le faire de l'intérieur avec des succès, et parfois des échecs aussi. S'agissant des 100 milliards de dollars annuels en faveur de la lutte contre le changement climatique des pays en développement, je suis d'accord avec vous : lorsque l'on sait qu'un seul événement climatique dans la région des Caraïbes a coûté 54 milliards à un seul État, on comprend que 100 milliards seront un minimum. Je le reconnais, et je ne sais plus quoi dire à mes amis Africains. On ne doit pas être loin des 70 milliards, mais peu importe. En plus, tout cela n'est pas très clair : il faut comptabiliser argent public, argent privé, prêts, dons, mais certains pays ne sont pas éligibles aux prêts… Il faudra aller plus loin. Je suis d'accord avec vous : si nous ne travaillons pas d'arrache-pied sur les financements innovants, et si nous ne traitons pas avec exigence, ambition et même obstination le problème de l'évasion fiscale – qui nous permettra de retrouver du grain à moudre –, je crains que tous nos voeux et nos promesses, même sincères, restent lettre morte.

Sur le même sujet, la taxe sur les transactions financières est un outil essentiel. La France applique sa propre taxe, que les Britanniques appellent droit de timbre. Pourquoi n'existe-t-elle pas au niveau européen ? Une concertation à dix ou onze, dans un groupe de coopération renforcée, a été interrompue. Je le déplore. Il a été convenu avec le Président de la République, et je lui fais confiance, qu'il s'agirait de l'une des priorités des négociations avec les Allemands, sitôt que la situation se sera éclaircie dans ce pays.

Un engagement a été pris à hauteur de 100 milliards de dollars en faveur des pays en développement. Ils ne se nourriront plus de promesses. Nous devons désormais être précis. Je souhaite que le sommet de Paris, le 12 décembre prochain, constitue une étape en la matière. Je le dis avec beaucoup de prudence parce que je ne suis pas naïf, mais je suis déterminé. Et faut reconnaître que le retrait américain ne facilite pas les choses.

Sur tous ces sujets, madame Autain, je n'ai pas changé d'avis. Je ne prétends pas que ces avis sont suivis systématiquement ou spontanément, mais ma conviction et ma détermination restent les mêmes hier et aujourd'hui.

J'ai rencontré le président du GIEC à Bonn. Il est totalement rassuré par l'initiative française qui en a provoqué d'autres de la part d'autres pays. Il a désormais la garantie que le déficit lié au retrait américain pourra être comblé. C'était plus qu'urgent parce que le GIEC, dont les moyens sont déjà relativement limités, consacrait une partie de son énergie à trouver des financements plutôt qu'à réaliser les travaux indispensables : le GIEC est une forme de boussole. Le Président français s'exprimera, le 12 décembre prochain, sur la contribution de notre pays.

Madame Poletti, nous allons publier une stratégie pour promouvoir ce qu'on appelle la déforestation évitée. Dans le cas de l'huile de palme, ce n'est pas le produit en soi qui pose de problème, c'est tout simplement le mode de production. Nous allons devoir définir des critères en termes de durabilité. Sur ce produit et certains autres, comme le soja ou le cacao, nous pouvons travailler avec les pays producteurs, mais il faut aussi s'adresser aux consommateurs. Il faut les informer et guider les gestes de consommation. La France est partie prenante de la déclaration de New York de 2014 qui met en avant un objectif : cesser la déforestation à l'horizon 2030. Ce n'est pas gagné, mais ce qui est sûr, c'est que si l'on n'y parvient pas, la bataille climatique est perdue : je ne vois pas comment on pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre si l'on détruit le gigantesque réservoir à CO2 que sont les forêts.

Vous m'avez interrogé sur la pêche électrique : pour être franc, je vous avoue que j'ignorais tout de cette pratique il y a encore quelques jours… Comme quoi on peut toujours s'attendre au pire, et, en la matière, l'ingéniosité humaine est sans limite ! Pourquoi ne pas utiliser la dynamite ou l'eau de javel tant qu'on y est ? La France a évidemment une position très ferme sur ce sujet. Je ne connais pas encore le résultat du vote du Parlement européen.

La Turquie fait partie des États signataires de l'accord de Paris qui ne l'ont pas encore ratifié, et qui profitent un peu du retrait américain pour renforcer leurs exigences. Un rapport de force s'est établi et, lors de la COP 23, les Turcs ont posé leurs conditions pour une ratification. L'action diplomatique de la France contribue à chercher une issue à ce problème – cette action est évidemment plus forte si elle s'inscrit au niveau européen. Mais cela fait effectivement partie des sujets que l'on croyait traités à la COP21 et qui ont ressurgi à la COP23 ; c'est également le cas du problème des « pertes et dommages » qui fait partie de ces ondes de choc inattendues liées au retrait américain. Nous ne pouvons pas dire que la coalition se fissure, mais, alors que nous avions réussi à obtenir un consensus en mettant de côté certaines exigences, elles ressurgissent – cela fait malheureusement partie du jeu de la diplomatie.

Je n'ai pas changé d'avis sur le CETA. Pendant la campagne présidentielle, j'avais interpellé, mais je n'étais pas le seul, le candidat Emmanuel Macron sur la compatibilité d'un traité nouvelle génération avec nos engagements européens, et j'avais dit nos inquiétudes pour l'agriculture et le climat. Une fois élu président de la République, Emmanuel Macron a pris l'initiative de créer une commission d'évaluation de l'impact du CETA dont le rapport, remis en septembre dernier, n'a fait que confirmer nos inquiétudes. Le Président aurait pu choisir de ne pas mettre en oeuvre le CETA, mais telle n'a pas été sa décision et, au sein du Gouvernement, j'assume ce choix. Il a en revanche proposé un plan d'action.

Ce plan comporte énormément d'éléments qui ne dépendent pas de la France mais plutôt de la Commission ou du Canada. Sa mise en oeuvre suppose, par exemple, l'adoption de directives européennes garantissant certaines protections selon les différenciations de la qualité des carburants. Tout cela suppose que la Commission nous suive, mais nous ne pouvons pas en être certains. En tout cas, ce plan d'action a constitué, dès le lendemain de sa formulation, une priorité dans nos discussions avec nos partenaires européens, avec l'Union européenne, et avec le Canada. Je répète ce que j'ai déjà dit lors de son lancement : lorsqu'il vous sera demandé l'autorisation de ratifier le traité, chacun d'entre vous devra apprécier si ce plan a été efficace ou non.

En même temps, je suis d'accord avec Clémentine Autain : il y a dans tout cela une forme de contradiction. Je ne dis pas que les échanges marchands devront s'interrompre, mais il faudra bien que les grands flux de matières se rationalisent un peu si nous voulons atteindre nos objectifs. Nous devons aussi nous interroger sur ces sujets. Chacun a d'ailleurs eu beau jeu de me rappeler cette contradiction lorsque j'ai défendu à l'Assemblée et au Sénat le projet de loi mettant fin à la recherche et à l'exploitation des hydrocarbures. Mais je pense que la messe n'est pas dite. Le Président de la République a compris cette contradiction. Nous suivrons jusqu'à son terme le chemin de ce traité.

Monsieur Petit, vous m'interrogiez sur l'Europe de l'énergie et les smart grids. Nous attendons de voir ce qui se passe en Allemagne, car nous fondons beaucoup d'espoir sur nos visées communes et nos coopérations en matière d'énergie. Nous avons lancé une initiative commune pour identifier et structurer une coopération d'optimisation énergétique locale – la fameuse Smart border initiative (SBI) – afin de capitaliser sur les expertises et les expériences de nos deux pays en matière de développement des réseaux intelligents. J'espère que nous continuerons de renforcer la coopération transfrontalière et le chemin vers un marché européen qui intégrera pleinement les enjeux de l'énergie.

Les interconnexions sont évidemment essentielles. Nous avons un petit souci s'agissant de l'interconnexion avec le Royaume-Uni en attendant de connaître l'issue du Brexit. Il est très clair que, sans harmonisation européenne, la transition énergétique sera plus délicate. La première chose à faire sera de s'harmoniser avec nos voisins allemands mais aussi avec les autres partenaires. Autre sujet important, il faudra impérativement, pour réussir la transition énergétique, traiter de l'un de ses maillons faibles : la question du stockage. Il faut notamment avancer sur les batteries si nous ne voulons pas reproduire ce qui s'est passé avec les panneaux solaires. La France et l'Allemagne doivent très rapidement affirmer une ambition industrielle en la matière.

Les négociations dans le cadre du paquet énergie propre, et, notamment, de la directive sur la gouvernance de l'Union de l'énergie, devraient permettre une meilleure coordination de notre programmation énergétique. La France pousse à l'élaboration de plans nationaux sur le long terme, mais, évidemment, autant que possible en lien avec la Commission européenne.

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