Je voudrais remercier toutes les mains qui m'ont été tendues. J'ai bien conscience que ces sujets sont d'une grande complexité. Ne nous cachons pas les yeux : il s'agit d'une remise en question profonde et fondamentale d'un modèle de société, mais aussi d'un modèle énergétique et marchand. J'ai conscience de mes limites et de mes capacités, mais j'ai surtout conscience que nous pourrons aboutir ensemble, pour peu que nous nous enrichissions et nous nourrissions mutuellement, dans une attitude de proposition plutôt que de dénonciation. Ce sujet mérite, non de s'affranchir du dialogue – il est très constructif –, mais peut-être de mettre en veilleuse certaines attitudes. Du reste, depuis que je suis au gouvernement, j'ai vu des comportements plutôt constructifs : tout le monde a pris conscience qu'il s'agit d'un sujet d'une gravité absolue. Si nous unissons nos intelligences, un saut qualitatif est possible. Mais il est vrai que la fenêtre est courte. Vous avez raison d'évoquer la somme des mauvaises nouvelles… Je le dis souvent : garder espoir devient parfois un acte de bravoure. Certes, nous disposons des technologies, du bon sens, de l'intelligence. Mais une course contre la montre est engagée…
Je me souviens de ce philosophe qui déplorait que le sort de l'humanité soit dans d'aussi mauvaises mains que les siennes. Et de cet autre qui ajoutait : « L'avenir est incertain parce qu'il dépend de nous »… Je persiste à penser que c'est tout de même une bonne nouvelle : notre avenir ne dépend que de nous : nous avons encore les cartes en main et ne devons donc pas perdre espoir. Le problème, c'est dès qu'on essaie d'avancer, des forces de rappel nous ramènent toujours vers le plus petit dénominateur commun, alors qu'il faudrait faire preuve de l'ambition maximale qui, seule, est rentable.
Monsieur Jérôme Lambert, vous avez évoqué les technologies visant à capter le CO2 : elles n'ont pas abouti pour l'instant car c'est très cher. Elles aboutiront peut-être, je ne sais pas. Mais il y a tellement plus simple qui nous tend la main ! Il y a quelques années, je n'aurais pas tenu ces propos avec la même assurance : ayez foi dans les énergies renouvelables, jumelées aux smart grids, aux stockages déjà existants et aux technologies à venir, notamment l'hydrogène.
Certains l'ont compris, même l'Inde : je me souviens de mon premier rendez-vous avec M. Narendra Modi. J'étais envoyé spécial de François Hollande et allais plaider pour la COP21. Il m'avait envoyé dans les cordes en me répondant que j'étais bien gentil, mais qu'il avait été élu pour apporter de l'électricité aux 500 millions d'Indiens qui n'y avaient droit qu'une heure et demie par jour et aux autres 500 millions qui n'y avaient tout simplement pas accès, et qu'il avait du charbon à foison sous les pieds… Or, désormais, l'Inde a décidé de se lancer dans l'alliance solaire internationale.
Ne tardons pas sur ces sujets-là, le train est parti… Ayons foi là-dedans, au-delà des divisions que nous pouvons avoir sur la part du nucléaire dans la production énergétique française. Le vent, le soleil, le gradient thermique, la houle, la biomasse, la géothermie, c'est de l'énergie simple, de l'énergie gratuite. La combinaison de toutes ces énergies nous permettra de retrouver une forme de liberté. C'est ce qui fait que je garde ma propre énergie et que je recharge avec des paroles bienveillantes… Je sais que les solutions existent. Si nous avions perdu la main, si nous ne savions pas faire, ce serait différent. Mais nous savons faire ! À service égal, à confort égal, les gisements d'économies et d'efficacité énergétiques sont monstrueux… C'est normal : nous avons vécu dans une civilisation du gâchis. L'énergie nous paraissait abondante et bon marché, nous n'avions pas visualisé l'impact de cette attitude sur les changements climatiques. La France ne doit pas laisser les autres pays profiter seuls de ces évolutions technologiques. Croyez-moi, les Chinois n'ont pas d'état d'âme ; il serait vraiment dommage que le bénéfice économique de ces évolutions ne profite qu'à cette partie du monde.
Beaucoup d'entre vous m'interrogent sur les résultats de la COP23. Vous avez raison, le bilan est en demi-teinte. Mais c'était une simple étape, nous n'en attendions pas des merveilles : les décisions seront actées et les signaux envoyés lors de la COP24. Notre ambassadrice, derrière moi, me rappelait que des avancées concrètes ont été obtenues. Elle a raison, car, de temps en temps, je cède à ce petit défaut de voir le verre à moitié vide plutôt qu'à moitié plein… Trois avancées sont à souligner : le Plan d'action Genre a enfin été adopté – c'est très important car cela touche les populations les plus exposées ; la plateforme des communautés locales et des peuples autochtones est intégrée dans le processus de la COP ; enfin, la COP va travailler avec le secteur de l'agriculture sur les changements climatiques. Ce n'est pas totalement insignifiant. Par ailleurs, le « dialogue de facilitation » est engagé. Cela a l'air accessoire, mais c'est très important en termes d'évaluation : les États vont désormais expliquer les uns après les autres comment ils vont tenir leurs engagements. Il va falloir entretenir cet élan jusqu'à la COP24.
Monsieur Fuchs, vous me demandez quand Fessenheim va fermer : Fessenheim fermera quand Flamanville aura démarré, et Flamanville démarrera quand l'Autorité de sûreté nucléaire me dira que Flamanville peut démarrer… Cela étant, vous avez raison, il faut que nous fassions de Fessenheim un exemple, un exemple de conversion, de contrat de transition, de reconversion à l'échelle du territoire. J'en parlais d'ailleurs avec mes homologues allemands. Ils ont pris un peu d'avance dans la fermeture de leurs réacteurs nucléaires – parfois un peu trop rapide… Nous devons tirer des leçons de leur expérience car il nous faut devenir une filière d'excellence en matière de démantèlement. Je n'ai pas encore le calendrier exact des opérations et la liste des compétences nécessaires. Mais, même si Fessenheim s'arrête, les emplois ne disparaîtront pas instantanément. L'évolution est prévisible ; elle se fera avec une certaine progressivité. Il faut que nous en fassions quelque chose d'absolument exemplaire. Je vous remercie de nous proposer des pistes ; nous les étudierons.
J'ai déjà répondu à la question de M. Lambert : d'autres technologies me semblent plus rapidement opérationnelles. Certaines ont déjà fait leurs preuves. Non seulement le coût des énergies renouvelables baisse, mais, et c'est d'autant plus intéressant, leur rendement énergétique augmente. C'est assez spectaculaire dans le solaire, un peu moins dans l'éolien. Nous pourrons bientôt faire des appels d'offres sans subvention publique. Le verrou est donc ailleurs.
S'agissant de la biodiversité, il est toujours facile de proclamer qu'il faut zéro carbone, zéro artificialisation des sols, zéro extinction. Cela étant, madame Sylla, vous avez raison, il faut être ambitieux. Je serai présent à la prochaine COP « biodiv » en Égypte en 2018. J'aurais aimé que la France accueille celle de 2020. Malheureusement, quand je suis arrivé au Gouvernement, elle avait déjà été préemptée par la Chine. Mais nous allons accueillir le congrès de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Ce sera donc une occasion de faire le point sur la mise en oeuvre des objectifs d'Aichi et de l'accord de Nagoya.
Mme Krimi, nous soutenons l'initiative initiative conjointe Chine-Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD). Stéphane Travert l'a réaffirmé à Bonn, après Stéphane Le Foll. Dans le même esprit, des financements européens sont disponibles, notamment pour l'Alliance pour le Sahel que nous avons lancée avec l'Allemagne. Il faut multiplier les projets.
Vous évoquiez également les énergies fossiles et la nécessaire accélération de la transition énergétique. En discutant avec les plus hauts responsables de la Banque mondiale, avec qui nous coorganisons le sommet international sur le climat du 12 décembre, j'ai appris que nous subventionnions toujours les énergies fossiles à hauteur d'environ 320 milliards de dollars par an. Certes, il y a quatre ou cinq ans, c'était de 500 milliards. Cela a diminué, mais n'est quand même pas rien…
On peut s'interroger, même si le raisonnement est un peu simpliste, je vous l'accorde : les externalités négatives des énergies fossiles sur l'environnement ou la santé coûtent plusieurs milliers de milliards de dollars et l'on n'arrive pas à trouver les 100 milliards d'euros nécessaires au Fonds vert… Nous devons être plus exigeants dans notre approche et garder à l'esprit que nous soutenons par ce biais des énergies qui appartiennent au passé et sont terriblement coûteuses en externalités négatives. Ces énergies ne sont plus la solution, mais le problème. Tout cet argent serait mieux utilisé s'il permettait de doper la transition énergétique.
Pour atteindre notre objectif, nous devons trouver une forme de parité entre l'argent investi pour l'atténuation et l'argent investi dans l'adaptation. Nous avons rapidement besoin de nous adapter car, malheureusement, vous l'avez rappelé, les changements climatiques sont à l'oeuvre. Il y a quelques années, on ne l'imaginait pas, y compris sur notre territoire.
Madame Chapelier, on parle effectivement de stress hydrique mondial depuis des années, et la situation ne va évidemment pas s'améliorer. Dans tous nos territoires, les paysans constatent, année après année, que les périodes d'étiage remontent vers le printemps. Nous devons avoir une approche intégrale sur ce sujet. Il ne suffit pas de faire des réserves d'eau, comme certains voudraient m'y pousser. Je suis prêt à étudier toutes les options. Des Assises de l'eau, qui permettraient d'asseoir tous les partenaires autour d'une table, sont-elles nécessaires ? J'y réfléchis et vous réponds très vite. Il nous faut, en tout état de cause, avoir une vision d'ensemble : je veux bien que l'on s'évertue à recréer des conditions d'atmosphère tropicale par brumisation pour continuer à cultiver certaines céréales. Mais il faut aller plus loin, car cela ne sera pas tenable. Ce sujet mérite une réflexion apaisée, mais urgente, car la situation devient excessivement tendue.
Monsieur Son-Forget, notre modèle français d'aire marine protégée est assez particulier. Il est volontairement diversifié, avec un gradient qui va de la protection totale – les réserves sont alors intégrales et strictes – à une forme de gestion durable de l'espace maritime, en fonction des réalités et des enjeux territoriaux. Cela nous donne de la souplesse car elles n'ont pas toutes le même cahier des charges. Cette démarche est conforme aux catégories établies par l'UICN. Des débats scientifiques sont en cours sur les degrés de protection ; nous les suivons évidemment avec l'attention qui s'impose.
La révision de la stratégie française en matière d'aires marines protégées débutera en 2018, car notre stratégie actuelle va jusqu'en 2020. C'est dans le cadre de l'élaboration de cette nouvelle stratégie que nous pourrions inclure ce que vous appelez des « protections renforcées ». Cette stratégie sera évidemment élaborée en étroite collaboration avec les populations concernées.
La fameuse réserve naturelle des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) a fait l'objet d'une extension en 2016. En 2017, une nouvelle extension incluant les îles de Saint-Paul et d'Amsterdam a permis la création de ce qu'on appelle une « zone tampon », qui n'a pour l'instant pas encore le statut d'aire marine protégée. Là encore, le dispositif d'évaluation juridique et de concertation est en cours, notre objectif étant bien d'étendre le statut de protection d'ici à 2020.
Messieurs Mbaye et Bouyx, au-delà du glyphosate, je répondrai également à votre question sur la parole de la science. Je suis un décideur politique et ne suis pas scientifique. Quand bien même je serai scientifique, il faudrait que je sois extrêmement spécialisé pour avoir un avis tranché sur ces questions… Il me semble important de rationaliser les peurs ou, lorsque les études scientifiques le permettent, de les valider. Mais dans tous les cas, il n'est pas question de prendre des décisions à l'emporte-pièce.
Quand on prend l'avis des agences françaises, européenne et mondiale, on n'a pas nécessairement une convergence totale des points de vue, ce qui rend les décisions politiques assez compliquées. Et je ne parle même pas des expertises dites indépendantes, que je ne remets pas en cause : elles sont parfois carrément orthogonales par rapport aux autres avis… En ce qui concerne le glyphosate, j'ai quand même une certaine confiance dans le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui ne s'est jamais trompé dans ses diagnostics et dépend de l'Organisation mondiale de la santé.
Nous sommes face à un double problème. D'abord, même si je n'ai pas de raison de mettre en doute la parole de la science, il y a une toujours une suspicion sur l'indépendance des experts : dans leur cursus, ils ont toujours, à un moment ou un autre, été en contact avec l'industrie. Cela crée, d'une manière probablement exagérée et injuste, une forme de soupçon et cela ne permet pas d'avoir une approche apaisée. C'est un vrai sujet, y compris avec notre propre agence nationale. Nous sommes en train de voir comment rétablir la confiance. À cela s'ajoute une autre difficulté : avec ces nouvelles molécules, l'évaluation de la dangerosité ou de la toxicité – je ne sais pas quel terme employer – est beaucoup plus compliquée. Autrefois, on vérifiait la toxicité immédiate d'un produit en considérant simplement ce qu'on appelle « l'effet de dose ». Il y a en réalité un double effet : l'effet de bio-accumulation et ce que l'on appelle vulgairement « l'effet cocktail » – une molécule combinée à un adjuvant peut avoir d'autres effets sur le plan sanitaire ou environnemental. Et pour établir un diagnostic imparable, il faudrait davantage de moyens et de temps.
Pour être le plus objectif possible, on peut dire, pour reprendre une terminologie judiciaire, qu'un faisceau de présomptions s'accumule, et je préfère que l'on soit trop prudent plutôt que pas assez. Dans beaucoup de domaines, on a tergiversé tant et si bien que lorsque la démonstration est arrivée, c'était finalement une liste de victimes… Je n'ai aucunement envie de prendre ce risque-là. Mon intention est d'appréhender l'ensemble des sujets de santé-environnement, qui sont très sérieux, avec deux ministères complémentaires du mien, celui de la santé et celui de la recherche. Et cela ne vaut pas seulement pour la question du glyphosate, des perturbateurs endocriniens ou des néonicotinoïdes : il faut avoir une stratégie d'ensemble, qui ne soit pas seulement émotionnelle et réactive. C'est important.
S'agissant plus spécifiquement du glyphosate, on a un peu changé d'approche. Je le dis franchement et sans chercher à m'en attribuer tous les mérites : que se serait-il passé si la France n'était pas intervenue dans le débat ? On allait réautoriser pour dix ans, sans autre stratégie, une molécule dont on sait maintenant qu'elle a un impact sur l'environnement et très certainement sur la santé, pour les consommateurs comme pour les agriculteurs. Ce ne serait pas responsable. Entre réautoriser sans autre prescription et programmer une sortie en regardant les alternatives, il y a une différence. Depuis longtemps, on me soutenait qu'il n'y avait pas d'alternative. Et maintenant que nous nous sommes mis dans une perspective de sortie, comme un fait exprès, voilà que je reçois chaque jour des courriers d'agriculteurs qui me disent de venir les voir, qu'ils font du sans labour en semis direct et sans glyphosate… Je ne prends pas cela pour argent comptant, j'entends que c'est difficile, mais dans ce domaine-là, comme dans d'autres, vous verrez que l'on va trouver des solutions, en douceur et avec les agriculteurs. Il faut en finir avec la certitude qu'il n'est pas possible de faire autrement. Je l'entends dire sur tellement de sujets, comme le nucléaire, les énergies fossiles ou notre capacité à nourrir la planète avec l'agroécologie… Si, on peut faire autrement, il faut le faire calmement, mais avec méthode.
J'espère ne rien avoir oublié d'important dans mes réponses ; sinon, j'espère que vous ne m'en voudrez pas.