Je suis sûre qu'il est passionnant, mais il nous faudrait aussi en parler de vive voix pour envisager sa mise en oeuvre concrète. Nous souhaitons également aborder la question des subventions aux énergies fossiles – peut-être l'évoquez-vous aussi dans votre livre, monsieur Le Foll, mais mieux vaut en parler directement. Nous prônons le traitement de ces questions auprès de nos partenaires européens. Votre suggestion n'est donc pas tombée dans l'oreille d'une sourde.
S'agissant de l'empreinte carbone du CETA, madame Autain, vous contestez la compatibilité du commerce avec les objectifs de réduction des émissions de dioxyde de carbone. Conformément au premier axe du plan d'action sur le CETA, adopté le 25 octobre, nous allons évaluer de près cette empreinte carbone dans l'ensemble géographique que constituent l'Union européenne et le Canada – dont je rappelle qu'ils sont les deux entités ayant négocié l'accord – ainsi que les émissions liées au transport international entre les deux entités dans le cadre de cet accord. Nous pensons que cette évaluation est possible, nous comparerons les deux situations, avec et sans CETA, et nous modéliserons cette dernière. Au total, il est vrai que l'impact du CETA devrait être légèrement défavorable, surtout si le surcroît de transport international induit par l'ouverture commerciale est émetteur. Le transport maritime est très en retard dans l'élaboration d'une stratégie crédible de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Ces études sur l'empreinte carbone vont permettre d'améliorer l'appareil statistique de l'Union européenne comme celui du Canada et d'avancer ainsi sur la mesure précise des émissions liées aux transports transatlantiques. Quant aux émissions territoriales de l'Union européenne et du Canada, elles sont déjà précisément mesurées et font l'objet d'un reporting annuel au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Conformément au second axe du plan d'action gouvernemental, qui vise à réduire l'empreinte carbone, nous envisageons de demander à des chercheurs en économie de modéliser l'impact spécifique du CETA en comparant le scénario de libéralisation des échanges qu'implique le traité à un scénario contrefactuel, dans lequel il n'y aurait pas d'accord. Pour information, le CETA a d'ailleurs déjà fait l'objet en 2011 d'une étude d'impact sur la durabilité, réalisée alors que le texte final de l'accord était loin d'être finalisé.
Réduire l'empreinte carbone passe par une série de mesures, au premier rang desquelles des actions de coopération avec le Canada. Dans cette perspective, nous mettons en place avec le Canada un partenariat bilatéral ambitieux : Jean-Baptiste Lemoyne était au Canada récemment, et j'ai moi-même dialogué avec plusieurs membres du gouvernement canadien.
Nous prônons l'introduction de clauses spécifiques sur le transport international, et la France soutient d'ailleurs les initiatives multilatérales dans ce domaine, notamment au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et de l'Organisation maritime internationale (OMI). Dans ce dernier cas, il est indispensable d'engager le mouvement de réduction de l'empreinte carbone liée au transport maritime de manière beaucoup volontariste que ce n'est actuellement le cas.
Nous entendons également que les parties à l'accord compensent les émissions additionnelles de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques dans les secteurs aérien et maritime.
Au niveau européen, nous souhaitons, en accord avec nos partenaires et conformément aux souhaits du Président de la République, la mise en place d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne.
Enfin, nous voulons favoriser la levée des barrières tarifaires et non tarifaires concernant les biens et services vertueux pour l'environnement, car c'est ainsi que nous parviendrons à réduire l'empreinte carbone du CETA. Certes, le rapport de la commission Schubert considère le CETA comme une occasion manquée en termes de développement durable, et je ne vais pas ici prétendre le contraire, mais il s'agit désormais, d'abord d'en limiter les impacts négatifs sur l'environnement, ensuite de faire en sorte que les futurs accords commerciaux ne puissent plus être qualifiés à leur tour d'occasions manquées.
En ce qui concerne à présent le veto climatique, je veux m'assurer que nous parlons tous de la même chose et que vous comprenez dans quelle perspective nous nous situons. Le Gouvernement a fait sienne la proposition du groupe d'experts, qui préconise d'introduire un mécanisme de veto pour « permettre aux parties contractantes (d'un commun accord), ou à un comité de suivi du traité, de déterminer, en cas de plainte d'un investisseur, si une telle mesure est ou non conforme au traité ». Pour ce faire, nous allons mobiliser l'article 8.31.3 du CETA, qui permet au Comité des services et de l'investissement, lorsque des questions d'interprétation susceptibles d'avoir une incidence sur l'investissement suscitent de graves préoccupations, de recommander aux parties de l'accord d'adopter des interprétations conjointes ayant force obligatoire pour le tribunal, mais aussi pour les panels de règlement des différends.
Cela signifie en clair que l'Union européenne et le Canada vont adopter une interprétation conjointe qui aura force contraignante et explicitera qu'une réglementation climatique, à condition bien sûr qu'elle s'applique de la même façon à tous les États tiers et soit donc non discriminatoire, ne pourra pas être remise en cause, si elle est attaquée devant l'Investment Court System (ICS). Ce mécanisme va permettre à la France d'anticiper et de contenir les éventuels contentieux visant des mesures environnementales, susceptibles de surgir entre les investisseurs et les États. Ainsi sera préservé le droit des États à réglementer.
Dans le même esprit, une attention toute particulière sera accordée aux mesures permettant d'atteindre les contributions nationales (NDC) adoptées au titre de l'accord de Paris.
Nous allons donc proposer dans quelques jours à la Commission européenne, dès que le comité sur les services et l'investissement aura été mis en place l'élaboration d'un projet d'interprétation conjointe, qui devra ensuite être adopté par le Canada et l'Union européenne.