Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, c'est pour moi et pour ACTED un honneur d'être invités pour la première fois à l'Assemblée nationale. Nous nous félicitons de l'intérêt que vous portez au Yémen, et je viens témoigner devant vous du drame que vit la population de ce pays, en particulier depuis quelques semaines.
Demain, mille jours auront passé depuis le début de l'escalade du conflit en 2014. La population du Yémen est aujourd'hui plongée dans une grave crise humanitaire : les Yéménites sont très résilients, mais leurs mécanismes d'adaptation sont épuisés. Plus de 22 millions de personnes au Yémen ont besoin d'une aide humanitaire, sur une population de l'ordre de 29 millions. Les derniers affrontements qui se sont déroulés à Sanaa, et dont j'ai été le témoin il y a deux semaines environ, pourraient changer la dynamique du pouvoir et modifier la façon dont travaillent les organisations humanitaires.
La crise yéménite est la pire crise humanitaire créée par l'homme aujourd'hui ; les populations sont de plus en plus vulnérables. Les besoins humanitaires ont augmenté de manière dramatique dans tous les secteurs depuis 2015 : sécurité alimentaire, accès à l'eau et à l'hygiène, protection individuelle, santé, déplacements… Ces nouveaux besoins viennent s'ajouter à ceux qui préexistaient. Des restrictions sévères sur les importations, les mouvements et les transactions étouffent les échanges commerciaux, ce qui menace la survie de la population et nous empêche d'apporter une action humanitaire efficace. Les populations locales, directement ou indirectement affectées par le conflit, s'appauvrissent et sont de plus en plus dépendantes de l'aide humanitaire. L'épidémie de choléra n'est hélas pas contrôlée. Des millions de personnes sont en danger de mort.
Non seulement le conflit fait de nombreuses victimes, mais il cause de graves dommages aux infrastructures publiques et privées. Toutes les parties en conflit se désintéressent de façon manifeste des principes du droit humanitaire international, et empêchent les organisations humanitaires de mener leur travail sans danger. En un an seulement, près de 9 000 incidents – raids aériens, bombardements, conflits armés… – ont été relevés. On compte plus de 50 000 victimes déclarées, c'est-à-dire que 65 personnes sont tuées ou blessées chaque jour depuis le début de l'escalade. Malheureusement, ces chiffres sont largement sous-estimés. Moins de la moitié des infrastructures de santé fonctionnent, et il est impossible d'obtenir des données complètes et actualisées.
Le Yémen connaît aujourd'hui, je le disais, la plus grande crise alimentaire causée par l'homme. Cette crise n'est pas seulement causée par le manque de nourriture dans le pays : de nombreux facteurs contraignent l'approvisionnement, la distribution et le pouvoir d'achat de la population. Plus de 8 millions de personnes risquent, si un soutien immédiat ne leur est pas apporté, de mourir de faim ; ce chiffre a augmenté d'un quart en un an. La situation se détériore très rapidement.
Plus de 3 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays. Il faut comparer ce chiffre avec les quelque 5 millions de déplacés syriens, auxquels le monde porte davantage attention. Les Yéménites n'ont pas, contrairement aux Syriens, la possibilité de fuir le conflit.
J'ai assisté moi-même, il y a deux semaines, aux affrontements armés qui se sont déroulés à Sanaa. J'ai pu quitter le Yémen, contrairement à mes collègues yéménites et au reste de la population. La décision, prise le 6 novembre 2017, de fermeture des ports, aéroports et accès routiers, menace la vie des Yéménites. Le prix des denrées alimentaires, du carburant et de l'eau ont grimpé en flèche, les mettant hors de portée des populations les plus vulnérables. Le nombre de personnes dépendantes de l'aide humanitaire a augmenté. Si la réouverture partielle de l'aéroport de Sanaa et du port de Hodeida est bienvenue, elle ne suffit pas à répondre aux besoins critiques sur place. Les accès au Yémen doivent pouvoir fonctionner à pleine capacité si nous ne voulons pas voir la famine et la maladie se propager.
Le Yémen a besoin de 350 000 tonnes de nourriture par mois pour répondre aux besoins alimentaires des populations les plus vulnérables. L'aide alimentaire humanitaire ne répond hélas qu'aux besoins les plus criants d'un tiers de la population ; 18 autres millions de personnes dépendent directement du bon fonctionnement des marchés commerciaux. Les opérations d'aide humanitaires sont nécessaires pour soutenir les marchés et les communautés. Le manque de carburant, qui permet aux transports de fonctionner mais aussi de faire tourner les moulins pour produire de la farine, est à l'origine d'une inflation supérieure à 28 % des denrées alimentaires. Sans carburant disponible via l'approvisionnement commercial, les organisations humanitaires ne peuvent pas assurer livrer les biens de première nécessité aux populations qui en ont besoin. L'aide humanitaire ne pourra pas répondre seule aux besoins des populations yéménites : seul un accès aux produits commerciaux, comme la nourriture ou le fioul, permettra d'éviter la famine et la maladie. Nous avons apporté une aide alimentaire indispensable à 7 millions de personnes cette année. L'approvisionnement en fioul commercial est nécessaire pour que les marchés fonctionnent et pour que les populations aient accès à la nourriture. Une famille de sept personnes pouvait avant la guerre faire face à ses besoins en eau, nourriture, vêtements, mais aussi assurer l'éducation des enfants, avec 24 000 riyals yéménites ; ce budget ne lui permet plus aujourd'hui que de payer l'eau potable indispensable à sa survie. Le blocus a énormément augmenté le coût de l'aide, et celle-ci parvient de moins en moins facilement aux populations.
Plus que la violence du conflit, c'est aujourd'hui l'effondrement des services publics qui prive les Yéménites d'accès à l'eau, à la santé, à l'assainissement et aux denrées alimentaires. Plus de 8 millions de Yéménites pourraient être en situation de famine dans trois mois si le blocus n'est pas levé très rapidement. La crise au Yémen est évitable, et je redis que l'action humanitaire ne peut pas être la seule réponse. Une solution politique est indispensable. Des pourparlers de paix doivent être engagés. En tant que membre permanent du conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies (ONU), la France doit jouer son rôle dans l'engagement d'un tel processus.
Merci, mesdames et messieurs les députés, de votre écoute. La communauté humanitaire demeure présente au Yémen, malgré tous les défis auxquels nous sommes confrontés, pour soutenir la population. Nous avons besoin de votre appui pour continuer notre travail. Nous avons tous notre rôle à jouer pour mettre fin à cette crise qui dure depuis trop longtemps.