Merci, madame la présidente, de nous offrir de telles auditions aux thèmes essentiels et aux invités de qualité.
Je ne pense pas que l'on puisse parler de guerre oubliée au Yémen. On devrait plutôt dire que cette guerre et ces drames humains se déroulent dans une indifférence coupable des peuples. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette indifférence de la population française et européenne. Nous n'avons pas la même histoire avec le Yémen qu'avec d'autres pays. Même des Français un peu informés et cultivés – voire certains parlementaires – ne sauront pas vous dire qui se bat contre qui au Yémen. Pour ma part, j'avoue que le dossier yéménite n'était pas ma spécialité.
Sans parler d'indifférence coupable de l'ensemble des puissances, on doit admettre qu'aucun pays n'a entrepris d'action majeure par rapport au Yémen. Jusqu'à présent, le président français est peut-être le seul à en avoir parlé. Cette inaction s'explique notamment par le fait qu'il y a un acteur majeur dans ce conflit : les États-Unis d'Amérique. Il est difficile de faire asseoir les États-Unis à une table pour résoudre un conflit dans lequel ils sont eux-mêmes belligérants.
La semaine dernière, Antoine Sfeir, nous alertait sur un point qui pourrait nous faire peur et nous conduire à changer d'attitude : ce conflit recèle un vrai risque d'escalade. Si l'Iran et l'Arabie Saoudite entraient en guerre, la situation pourrait devenir dangereuse pour l'ensemble de l'humanité. Selon Antoine Sfeir, l'Iran se sent menacé et enfermé. Il existe un risque réel de déflagration et celle-ci pourrait se produire plutôt au Yémen – qui compte 60 % de sunnites et 40 % de chiites – qu'ailleurs.
Il est possible aussi de faire réagir les opinions sur le blocus. C'est en effet ce blocus qui explique une grande partie du drame humanitaire car il empêche l'intervention des ONG.
Les peuples et leurs dirigeants pourraient aussi redécouvrir le côté djihadiste de ce conflit. Vous avez eu raison de le rappeler, monsieur Bonnefoy, l'attaque contre Charlie Hebdo venait de là-bas. Nous l'avons tous oublié. Nous nous sommes focalisés sur Daesh et sur le Français qui commandait les opérations depuis la Syrie. Or le Yémen est un élément tout aussi essentiel que d'autres zones de conflit pour notre sécurité nationale et pour la sécurité européenne.
Voilà les trois points sur lesquels il faudrait peut-être agir pour faire monter la pression. Cet appel d'un collectif d'intellectuels dans Le Monde est merveilleux mais son influence est limitée. Pour ma part, je pense qu'il faut faire réagir les peuples. Quand un peuple est motivé, il sait faire bouger ses dirigeants. Pour le moment, les peuples ne se sentent que moyennement concernés.